B – A National Conversation  : quel avenir pour l’Ecosse ?

Le livre blanc publié en août 2007 ne fait guère mystère de son objectif indépendantiste et il est significatif de noter que le gouvernement nationaliste écossais a souhaité l’introduire par une citation de Charles Stewart Parnell (1846-1891), leader du mouvement nationaliste de l’Irlande du XIXe siècle :

‘« No man has the right to fix the boundary of a nation; no man has a right to say to his country ‘Thus far shalt thou go and no further’ »373.’

En choisissant de citer Parnell en introduction à son livre blanc, Salmond voulut évoquer à la fois le combat d’une nation pour son indépendance et le succès d’une nation irlandaise indépendante. En effet, l’Irlande est aujourd’hui devenue un modèle économique qu’Alex Salmond aime citer en exemple pour donner plus de poids à ses arguments indépendantistes, à l’instar d’autres petits Etats européens indépendants brandis comme les exemples de ce que serait l’Ecosse si elle devenait indépendante. L’Irlande, que certains commentateurs politiques qualifieront avec ironie de « second pays préféré d’Alex Salmond »374, prend une part importante dans le programme du First Minister nationaliste car elle fait figure à la fois de modèle à atteindre, d’argument économique pour l’indépendance de l’Ecosse et de partenaire économique et politique privilégié pour une Ecosse indépendante. Dans un nouveau pied-de-nez au gouvernement britannique, Alex Salmond décidera par conséquent de rendre publiquement hommage à la nation irlandaise et l’un de ses héros, Charles Parnell, dans un discours au Trinity College de Dublin (paradoxalement ancien bastion de l’unionisme protestant) la veille d’une réunion du British-Irish Council où devait également se rendre le Premier ministre britannique Gordon Brown le 14 février 2008.

La citation de Parnell donne ainsi le ton d’un document qui, malgré l’esprit d’ouverture voulu par le First Minister nationaliste et son gouvernement, se place fermement du côté de l’indépendance en faveur de laquelle il donne une série d’arguments économiques et politiques. Dans sa préface, le First Minister écossais justifie la décision de publier un livre blanc sur l’avenir constitutionnel de l’Ecosse en évoquant le mandat que les nationalistes ont reçu par voie des urnes. En votant pour le parti nationaliste écossais, les Ecossais ont selon lui voulu signifier leur volonté de faire avancer le débat sur la position constitutionnelle de l’Ecosse et son gouvernement. Il ne fait donc aucun doute pour le gouvernement nationaliste que la position constitutionnelle de l’Ecosse devra évoluer vers davantage de pouvoirs pour son Parlement si ce n’est vers l’indépendance. Toutefois, le gouvernement nationaliste écossais reconnaît qu’il existe un éventail de points de vue différents sur la question au sein de la population écossaise et du Parlement de Holyrood. Il conçoit dès lors son livre blanc comme le point de départ d’un dialogue avec l’ensemble de la population et des acteurs politiques de l’Ecosse. Trois possibilité s’offrent alors : le maintien de l’accord de dévolution tel qu’il fut défini par le Scotland Act de 1998 avec toutefois la possibilité de faire évoluer ses pouvoirs au cas par cas, la révision du Scotland Act 1998 et l’adoption d’un éventail de pouvoirs supplémentaires pour le Parlement et le gouvernement écossais, comprenant probablement l’autonomie fiscale de l’Ecosse, et, enfin, l’indépendance de l’Ecosse telle que la défend le gouvernement nationaliste écossais.

Le livre blanc se divise en six grands chapitres, chacun consacré à l’un des aspects du débat constitutionnel. Ainsi, le premier chapitre traite des pouvoirs du Parlement et de la possibilité de leur extension grâce à des mécanismes prévus par le Scotland Act 1998 ; le second chapitre propose une liste de nouveaux pouvoirs correspondant peu ou prou aux divers points du programme nationaliste et exposant les bénéfices dont profiterait l’Ecosse si les changements proposés étaient mis en place ; le troisième chapitre expose les modalités d’un éventuel passage de l’Ecosse vers l’indépendance ; puis, le quatrième chapitre présente une réflexion sur la dévolution asymétrique au Royaume-Uni et le rôle d’une Ecosse indépendante ou jouissant d’un Parlement aux pouvoirs renforcés au sein des institutions inter-gouvernementales partagées par l’ensemble des îles britanniques ; cette réflexion sera suivie par un cinquième chapitre exposant les options législatives pour un accroissement des pouvoirs du Parlement de Holyrood ou pour un passage de l’Ecosse vers son indépendance ainsi que les modalités d’un futur référendum sur l’avenir constitutionnel de l’Ecosse ; enfin, le dernier chapitre du livre blanc sera consacré à l’organisation d’un « dialogue » à l’échelle nationale sur les diverses options proposées et les modalités de leur mise en place par le biais de réunions publiques, ateliers, services d’information interactifs sur internet, et contributions écrites ou orales de membres du public ou d’organisations représentatives des diverses communautés ou groupes d’intérêts en Ecosse.

Le livre blanc s’accompagne en effet d’un site internet375 consacré à la question de l’avenir constitutionnel de l’Ecosse, permettant aux membres du public de se renseigner et d’exprimer leurs avis. Le site offre au public la possibilité de lire le blog du First Minister, de visionner les vidéos de certains discours des membres du gouvernement, parmi lesquels figure l’hommage rendu à Parnell par le First Minister, ou de conférences d’éminents intellectuels nationalistes comme Tom Nairn. Le site internet permet également de poser des questions ou d’émettre son opinion par courriel, mais aussi de prendre part à un forum de discussion générale sur l’avenir constitutionnel de l’Ecosse ou des forums plus spécifiques sur l’économie, le système électoral, les options d’un référendum, l’indépendance, etc. Enfin, le public peut avoir accès à un éventail de documents de consultation sur des questions diverses et y participer par courriel ou par courrier postal.

Pour le gouvernement nationaliste, ce dialogue national est la suite logique de l’évolution de l’Ecosse vers davantage d’autonomie. Dans l’introduction au premier chapitre du livre blanc, ses auteurs soulignent en effet que l’Ecosse a toujours joui d’un certain degré d’autonomie, certes fluctuant, dans tout un éventail d’activités gouvernementales administrées par le Scottish Office d’abord et par le Parlement de Holyrood ensuite. Le développement des pouvoirs du Parlement écossais s’inscrira par ailleurs dans un mouvement d’évolution naturelle et inévitable car le Parlement devra s’adapter à la progression de l’Ecosse et du monde en général vers de nouveaux défis sociaux et économiques, écologiques ou technologiques. Le gouvernement travailliste de Tony Blair ayant adopté un système de « pouvoirs retenus » lors de l’élaboration du Scotland Act 1998, tout nouveau sujet, relatif par exemple au changement climatique, devrait logiquement échoir au Parlement écossais. Le Scotland Act 1998 prévoit en outre certains mécanismes permettant le transfert de nouvelles compétences législatives ou exécutives au Parlement ou au gouvernement écossais après une période de consultation entre ministres écossais et britanniques et l’accord officiel des Parlements de Holyrood et Westminster. Le second alinéa du paragraphe 30 du Scotland Act de 1998 prévoit une possible révision des annexes 4 et 5 afin de transférer au Parlement écossais des questions autrefois réservées à Westminster. De plus, le paragraphe 63 de l’acte permet de transférer des compétences exécutives auparavant détenues par des ministres britanniques à des ministres du gouvernement écossais. Le livre blanc précise enfin que le Scotland Act 1998 ne contient aucune limitation quant à l’utilisation de ces mécanismes, créant in fine une forme de dévolution « illimitée »376.

La nature changeante de la dévolution en Ecosse est par ailleurs illustrée, selon les auteurs du livre blanc, par l’utilisation de certaines conventions Sewel accordant davantage de pouvoirs au Parlement écossais (chapitre 1, paragraphe 12). Ce fut le cas, par exemple, des pouvoirs permettant de consentir à la construction et au développement de centrales électriques, de provisions relatives aux conditions sanitaires des produits alimentaires, à la vente et l’utilisation de feux d’artifice, ou encore aux retraites des sapeurs-pompiers. Significativement, le livre blanc ne mentionnera pas les nombreuses conventions Sewel utilisées depuis 1999 et accordant à Westminster le droit de légiférer pour l’Ecosse. Comme dans le reste du document, le gouvernement écossais préférera présenter son projet d’indépendance pour l’Ecosse non pas comme un bras de fer avec le gouvernement britannique mais comme une évolution naturelle et un changement minime au regard de la situation actuelle. Les auteurs du livre blanc minimiseront ainsi subtilement les bouleversements qu’entrainerait l’indépendance de l’Ecosse tout en soulignant paradoxalement les divers handicaps que constituent actuellement les matières réservées à Westminster et les bénéfices dont jouirait l’Ecosse si elles lui étaient transférées. Le second chapitre, relatif à l’extension des pouvoirs du Parlement, en sera une parfaite illustration.

En effet, le second chapitre du livre blanc évoque au lecteur l’image d’un gouvernement écossais aux poings liés par son incapacité de légiférer en un certain nombre de matières réservées à Westminster. Si, selon ses auteurs, certaines des matières réservées à Westminster telles que la défense, les frontières et la citoyenneté, les affaires étrangères, la monnaie et la banque centrale peuvent être considérées comme étant fondamentales à l’existence d’un Etat britannique, la plupart d’entre elles sont aujourd’hui gouvernées de facto par des traités internationaux ou des organisations internationales, et tout particulièrement par l’Union Européenne. Cela signifie pour le gouvernement nationaliste que la responsabilité de ces questions peut être mise en commun ou partagée entre les gouvernements (paragraphe 3). Il rappelle en outre que certaines matières réservées à Westminster sont pourtant centrales aux politiques économiques et sociales en Ecosse, à savoir la fiscalité, les politiques économiques et fiscales, le commerce et l’industrie, le chômage, la sécurité sociale et les retraites, l’énergie, les transports, l’éthique, la télédiffusion, l’avortement ou encore l’usage de drogues (paragraphe 4).

Selon les nationalistes, le transfert de ces pouvoirs permettrait à l’Ecosse de poursuivre dans un premier temps les politiques et la législation les mieux adaptées aux intérêts de l’Ecosse et de clarifier dans un deuxième temps les responsabilités de chacun tout en améliorant l’efficacité du gouvernement écossais dans la mise en œuvre de ses politiques (paragraphes 5 et 6). Ils ajoutent que l’Ecosse ne dispose pas aujourd’hui des outils nécessaires à la construction d’une Ecosse plus performante économiquement. Seul le transfert de compétences économiques et fiscales aujourd’hui détenues par Westminster permettrait au gouvernement écossais de créer des conditions fiscales attractives pour de nouveaux investisseurs en Ecosse et d’adapter le régime fiscal de l’Ecosse à ses besoins réels en termes de dépenses publiques (A wealthier Scotland, paragraphes 10 et 11). Il s’agit là d’un véritable plaidoyer pour l’autonomie fiscale de l’Ecosse dont l’impact est chiffré à dix-neuf milliards de livres sterling supplémentaires d’ici 2015 par les nationalistes, soit quatre mille livres sterling supplémentaires par an et par habitant si l’indice de croissance de l’Ecosse est similaire à celui d’autres petits pays indépendants européens. Notons cependant que si cette estimation optimiste est fort alléchante, elle se base sur les indices de croissance d’autres pays européens. Rien ne garantit qu’un Etat écossais indépendant jouirait de la même croissance que celle de ses voisins danois ou irlandais.

Les nationalistes sauront néanmoins énumérer les avantages dont jouirait l’Ecosse si de nombreuses autres compétences aujourd’hui réservées à Westminster lui étaient transférées et suivront pour ce faire les sept points principaux de leur manifeste électoral, It’s time to move forward. Les nationalistes préconiseront ainsi le transfert des pouvoirs relatifs au terrorisme et aux armes à feu pour « une Ecosse plus sûre » (A safer Scotland, paragraphes 19 à 21). Ils suggèreront en outre l’octroi de pouvoirs relatifs à la législation sur le chômage, les syndicats, la sécurité au travail, l’égalité des chances, la protection des consommateurs, les services postaux, le montant des contributions sociales de solidarité, des retraites et des allocations familiales pour une « Ecosse plus juste » (A fairer Scotland, paragraphes 22 à 29). Puis, ils évoqueront à nouveau l’autonomie fiscale de l’Ecosse dans le but de financer de meilleurs services de santé en Ecosse. Ces services pourraient également être améliorés grâce au transfert de pouvoirs sur la taxation de l’alcool et du tabac et la régulation des professions de santé (A healthier Scotland, paragraphes 30 à 32). Les nationalistes prôneront en outre le transfert ou le rééquilibrage de pouvoirs concernant l’énergie, les transports et l’environnement marin (A greener Scotland, paragraphes 33 à 37) ainsi que les agences pour l’emploi (A smarter Scotland, paragraphes 39 et 40), la télédiffusion, les fonctionnaires et les élections. Enfin, le livre blanc revendiquera un rôle plus important pour l’Ecosse dans le cadre de négociations européennes lorsque les intérêts vitaux de l’Ecosse sont en jeu (A stronger Scotland, paragraphes 41 à 43). S’il ne s’agit dans le livre blanc que de suggestions pour l’extension des pouvoirs du Parlement, le transfert de l’ensemble de ces pouvoirs s’ajoutant aux pouvoirs déjà détenus par le Parlement écossais signifierait que l’Ecosse jouirait de fait d’un système politique très proche de celui d’un véritable Etat-nation. Si le SNP s’est ouvert à d’autres options que celle de l’indépendance, il poursuit néanmoins son but en menant une politique de construction étatique de l’Ecosse. En transformant l’Ecosse en un quasi Etat-nation, les nationalistes souhaitent faciliter son passage vers l’indépendance. En effet, cela permettrait de minimiser la perception du risque que présente l’indépendance pour une frange importante de la population écossaise afin de lui permettre de franchir le cap plus sereinement.

Du reste, les nationalistes rappellent dans leur livre blanc que l’Ecosse possède déjà certains éléments essentiels à l’existence d’un Etat, à savoir une intégrité territoriale et une identité politique et institutionnelle distincte. L’Ecosse est en effet déjà une entité politique et territoriale jouissant de son propre système légal, de frontières établies et d’institutions distinctes dont certaines furent délibérément sauvegardées par le traité d’Union de 1707. Dans le cas d’un passage vers l’indépendance, l’Ecosse devrait seulement redéfinir ses frontières maritimes et sa part de la croûte continentale sur la base de principes juridiques internationaux bien établis. Le troisième chapitre du livre blanc sera par ailleurs entièrement consacré aux modalités d’un éventuel passage vers l’indépendance tel que le conçoit le parti nationaliste écossais actuellement au pouvoir.

Selon les nationalistes, le Parlement de Holyrood devrait être ré-établi sur une base juridique autre que celle du Scotland Act 1998 puisqu’il s’agit d’un acte entériné par le Parlement britannique. Toutefois, dans un premier temps, il ne serait pas nécessaire de modifier les fondements du Parlement écossais tels qu’ils furent établis par la Convention constitutionnelle écossaise et le référendum de 1997. Il s’agira seulement d’ajouter de nouvelles provisions. Ainsi, le système actuel servirait initialement de base à la structure d’un nouveau gouvernement écossais indépendant. Le système juridique et les cours écossaises demeureraient à l’identique. Seul le renvoi en appel à une cour britannique disparaîtrait.

Les conditions d’une indépendance écossaise seraient le fruit de négociations entre le gouvernement écossais et son pendant britannique. Il s’agirait de déterminer la part des actifs et des dettes attribués à chacun. En effet, l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni devraient partager de façon équitable la dette nationale, les réserves monétaires, la BBC, le patrimoine britannique situé à l’étranger et les bureaux étrangers du Foreign Office, les futures dettes liées aux retraites des employés du secteur public et aux allocations versées par la sécurité sociale, le patrimoine de la défense comprenant matériaux et équipements militaires et, enfin, la part britannique de la croûte continentale. Au terme de ces négociations, le nouvel Etat écossais jouirait de la responsabilité de ses propres politiques macro-économiques, de sa défense ou de politiques distinctes en termes d’affaires étrangères. L’Ecosse demeurerait membre de l’Union Européenne et jouirait d’une représentation plus importante en qualité d’Etat-membre. Les auteurs du livre blanc évaluent celle-ci à quatorze représentants environ, un chiffre similaire à celui du Danemark, au lieu des sept représentants actuels. L’Ecosse serait en outre un membre à part entière d’autres organisations internationales telles que les Nations Unies ou le Commonwealth. Désormais chargée de sa propre défense, elle serait libre de rester ou non membre de l’OTAN. Les nationalistes prôneront alors la signature du traité de non-prolifération nucléaire et le retrait des côtes écossaises des sous-marins dotés de têtes nucléaires.

Notons toutefois que si les nationalistes souhaitent la dissolution du traité d’Union de 1707, ils souhaitent préserver l’Union des Couronnes de 1603. Cela signifie que l’Ecosse demanderait à conserver son droit de regard sur l’accession au trône et que la Reine demeurerait à la tête de l’Etat en Ecosse comme dans le reste du Royaume-Uni. L’Ecosse chercherait en outre à maintenir un lien privilégié avec les autres nations des îles britanniques par le biais de partenariats économiques et politiques ou des institutions actuellement en place comme le British-Irish Council. En outre, les auteurs du livre blanc ne manquent pas de soulever que l’Ecosse, en tant que membre de l’Union Européenne, aurait pleinement accès aux marchés des nations britanniques et vice-versa.

Le livre blanc consacre par ailleurs un chapitre entier à la constitution fluctuante des îles britanniques (chapitre 4) dont le caractère asymétrique promet de nouveaux développements. Ses auteurs citent ainsi le Government of Wales Act 2006 ou le rétablissement de l’Assemblée nord-irlandaise. Ils reprennent ensuite certaines des idées avancées par un livre vert intitulé The Governance of Britain et publié par le gouvernement britannique le 3 juillet 2007377. Le livre vert se fixait pour objectif de revigorer la participation démocratique à tous niveaux, clarifier les rôles respectifs du gouvernement central et des collectivités locales, rééquilibrer le pouvoir entre le gouvernement et le Parlement en donnant au second davantage de contrôle sur le premier, et, enfin, travailler de concert avec les Britanniques afin de faire sens de ce qu’est être Britannique et lancer un grand débat sur l’avenir de la constitution britannique. Les propositions du livre vert se partageront en quatre chapitres principaux, dont les deux premiers seront consacrés à l’établissement de nouvelles limites sur les pouvoirs de la branche exécutive : le livre vert proposera de transférer certaines de ses prérogatives actuelles au Parlement britannique comme, par exemple, le pouvoir de ratifier certains traités ou de déployer des troupes militaires à l’étranger. Il s’agira également de rechercher plus de transparence au regard des activités de la branche exécutive, surtout en matière de renseignements, de sécurité intérieure, de statistiques ou de dépenses publiques. Le troisième chapitre prônera certaines réformes aux deux chambres du Parlement et évoquera la dévolution. Enfin, le dernier chapitre sera consacré aux questions identitaires.

Dans son livre blanc, le gouvernement nationaliste écossais accueille chaleureusement les réformes évoquées dans ce livre vert mais note que nombreuses d’entre elles affecteraient directement l’Ecosse. Il se propose ainsi de contribuer au débat et promet d’y répondre prochainement. Il ajoute que le Joint Ministerial Committee fournirait selon lui un excellent outil de coordination entre les divers ministres britanniques et préconise le rétablissement de ses séances plénières ainsi que le développement du rôle de ses sous-commissions. Enfin, les nationalistes prônent une plus grande coopération avec l’Irlande et le reste des îles britanniques au sein du British-Irish Council. En souhaitant développer le rôle des institutions de coordination entre les diverses composantes politiques du Royaume-Uni, le gouvernement nationaliste écossais cherche en fait à rapprocher le fonctionnement constitutionnel britannique d’un système plus flexible sur le modèle de l’Union Européenne. A défaut d’une Ecosse indépendante, les nationalistes prônent un système constitutionnel britannique dans lequel l’Ecosse s’apparenterait à un Etat-nation au sein d’une union plus flexible des nations britanniques.

Le gouvernement nationaliste écossais s’engage ainsi dans un cinquième chapitre à organiser un référendum afin de déterminer l’avenir constitutionnel de l’Ecosse et accepte l’éventualité d’un référendum à options multiples. Il note toutefois qu’aucune proposition précise d’extension des pouvoirs du Parlement ne lui a été soumise et que, par conséquent, il ne peut organiser un référendum à options multiples à défaut d’un projet précis (chapitre 5, paragraphe 8). L’organisation d’un grand débat national (national conversation) pourra servir de point de départ à un tel projet. Il propose cependant l’organisation d’un référendum sur l’indépendance dont un exemple est inclus dans l’annexe B du livre blanc. Les modalités précises de l’organisation du référendum (date, règlement) devront encore être déterminées mais les auteurs du livre blanc proposent de suivre un modèle similaire à celui du référendum de 1997.

Enfin, dans l’attente de l’organisation d’un tel référendum, le gouvernement nationaliste écossais appelle tous groupes d’intérêts, organisations privées ou publiques, associations bénévoles et individus à contribuer à sa « conversation nationale ». Les contributions pourront porter aussi bien sur la formulation des questions du référendum, son organisation, ou même son fondement. Les Ecossais pourront émettre leurs avis sur la question de l’avenir constitutionnel de l’Ecosse par le biais d’outils interactifs mis à leur disposition sur le site internet créé à cet effet par le gouvernement, par courrier ou au cours de nombreuses réunions publiques d’information ou autres évènements organisés dans tout le territoire. Ils pourront alors échanger leurs points de vue avec le First Minister et ses ministres. D’autres évènements impliqueront des représentants du milieu des affaires, de l’administration, de la profession enseignante, mais aussi des dirigeants politiques, des chercheurs, ou des représentants de la société civile. Le gouvernement compte aussi organiser des ateliers ciblant les communautés locales, les jeunes et les minorités ethniques. En somme, les nationalistes ont prévu de mener campagne pour défendre leur projet d’indépendance et d’assurer une forte présence locale. Cette présence sur le terrain et sur internet lui permettra à la fois de défendre ses politiques au gouvernement et de faire avancer son projet. Les nationalistes viseront ainsi à occuper la scène politique au détriment des partis unionistes de l’opposition.

Suite à la publication du livre blanc en août, la réaction des partis d’opposition ne se fit pas attendre et ils se réunirent à plusieurs reprises au cours de l’automne 2007. A l’issue de ces négociations, la nouvelle dirigeante du parti travailliste écossais, Wendy Alexander, choisit le jour de la Saint André 2007 pour annoncer lors d’un discours à l’université d’Edimbourg la création d’une commission constitutionnelle écossaise (Scottish Constitutional Commission) rassemblant les partis d’opposition unionistes sur l’extension des pouvoirs du Parlement de Holyrood. Wendy Alexander déposa une motion au Parlement pour la création d’une commission constitutionnelle écossaise le 6 décembre 2007 sans apporter de propositions précises sur l’extension des pouvoirs en question. Il s’agit là d’un revirement de situation remarquable car les travaillistes, sous Jack McConnell, ont fait campagne contre l’obtention de nouveaux pouvoirs pour le Parlement écossais lors des élections législatives écossaises de mai 2007. Un mauvais pari relevé par l’éditorial du Scotsman du 22 juin 2007 :

‘« Labour lost votes in May because – for the first time – it refused even to discuss more powers for Holyrood, thus conceding the constitutional debate to the SNP »378.’

Au risque de se contredire, le parti travailliste défendit cette fois un accroissement des pouvoirs financiers du Parlement écossais et une révision de la formule Barnett afin de réduire le montant de l’enveloppe bugétaire annuelle reçue par l’Ecosse du Trésor britannique (block grant) et de permettre au Parlement écossais de lever ses propres impôts. Il s’agissait pour les travaillistes écossais d’impliquer le groupe parlementaire travailliste à Westminster et de donner une dimension britannique au débat en évoquant la question financière et certains aspects de la question du West Lothian. Notons par ailleurs que le First Minister gallois, Rhodri Morgan, renchérit quelques jours plus tard en demandant une révision du financement des nouvelles institutions lors d’un discours également prononcé à l’université d’Edimbourg le 7 décembre 2007. Le gouvernement gallois a en effet évoqué en juin 2007 la création d’une commission sur les finances de l’Assemblée galloise, comprenant une étude de la formule Barnett et d’éventuels pouvoirs fiscaux à l’Assemblée. Le gouvernement travailliste britannique se retrouve par conséquent l’objet de pressions croissantes de la part des nouvelles institutions politiques écossaise et galloise pour l’octroi d’une plus grande autonomie fiscale.

Il s’agit là d’un pari gagnant pour le parti nationaliste écossais car son livre blanc a poussé les partis d’opposition écossais à réagir et à défendre à leur tour l’idée d’une extension des pouvoirs du Parlement. Au risque de voir les deux projets se téléscoper, les nationalistes peuvent désormais compter sur les partis d’opposition pour faire campagne en faveur d’un nouveau transfert de pouvoirs au Parlement et une plus grande autonomie fiscale. Si les trois partis unionistes parviennent à un consensus sur la question, les nationalistes pourront se targuer d’avoir lancé l’initiative. D’autre part, les partis unionistes ne manquent pas d’intérêt à accepter l’organisation d’un référendum à options multiples : en faisant campagne pour davantage de pouvoirs au Parlement, ils parviendront sans doute à l’emporter et éluder pour un temps la question d’un référendum sur l’indépendance. Les deux projets rivaux promettent de mettre la question de l’avenir constitutionnel de l’Ecosse au cœur du débat politique. Loin d’avoir fait taire les nationalistes et leurs revendications indépendantistes, le projet de dévolution du gouvernement travailliste de Tony Blair a finalement permis au SNP de faire avancer le débat sur l’indépendance et de créer des conditions politiques et économiques facilitant son avènement. Précisons que si la première phase de la « conversation nationale » s’est surtout déroulée sur internet par manque de moyens financiers, le gouvernement nationaliste écossais est désormais passé à une phase plus offensive. Alex Salmond a ainsi officiellement lancé la seconde phase de sa « conversation nationale » lors d’une conférence de presse à Edimbourg le 26 mars 2008 où étaient également conviés les représentants de la société civile écossaise.

Le SNP est désormais en mesure de travailler avec l’ensemble de la société écossaise pour faire avancer son projet et il doit aujourd’hui convaincre s’il souhaite parvenir à faire accepter son projet indépendantiste. Comme nous l’avons indiqué, le SNP a d’ores et déjà entamé un travail méthodique de préparation à l’indépendance et de construction étatique en Ecosse. En outre, nous avons noté plus haut qu’avant même l’accession des nationalistes au pouvoir, Holyrood s’affranchissait progressivement du centre par des politiques et des choix distincts. La dévolution a donné aux Ecossais les outils nécessaires à leur propre construction étatique, et à la mise en œuvre de politiques reflétant la singularité de la nation écossaise. Les politiques divergentes mises en œuvre par le Parlement de Holyrood et l’Exécutif écossais depuis leur création en 1999 sont le reflet idéologique et le pendant étatique de la nation écossaise. Leur singularité dénote l’existence de l’Ecosse en tant que nation distincte au sein du Royaume-Uni. La nouvelle arène politique écossaise vient compléter la nation écossaise pré-existante et crée une nouvelle entité politique et nationale.

Finalement, le processus de la dévolution est peut-être malgré les ouhaits de ses initiateurs un processus de construction étatique. Les nouvelles institutions, en souhaitant acquérir davantage de pouvoirs et en s’affranchissant progressivement de l’Etat britannique, s’apparenteront bientôt aux structures étatiques d’Etat-nations. Or, selon la théorie de Hobsbawm, ce ne sont pas les nations qui font les Etats et le nationalisme mais le contraire. Gellner, que nous avons également évoqué plus haut, considérait qu’Etats et nations pouvaient émerger de façon indépendante. Une nation sans Etat peut émerger grâce à des structures sociales analogues, comme ce fut le cas en Ecosse et, dans une moindre mesure, au pays de Galles, grâce à l’existence d’une société civile aux caractéristiques distinctes. Toutefois, si l’Etat peut émerger sans l’aide de la nation, la nation ne peut pleinement exister sans l’Etat. Le nationalisme présuppose que l’Etat et la nation ne vont pas l’un sans l’autre, qu’ils sont indivisibles. Tel un système de vases communicants, l’Etat et la nation existent pleinement en se confondant l’un avec l’autre. Jusqu’à présent les nations galloise et écossaise ont reposé sur des structures étatiques de substitution. Aujourd’hui, l’Ecosse et le pays de Galles sont le théâtre d’une construction étatique rapide qui promet de s’intensifier à l’avenir. L’Ecosse et le pays de Galles parviendront-ils à trouver un juste équilibre entre nation sans Etat et Etat-nation ?

Notes
373.

Scottish Executive, Choosing Scotland’s Future, A National Conversation, Independence and Responsibility in the Modern World, août 2007, p. ii. « Nul n’a le droit de fixer les limites d’une nation ; nul n’a le droit de dire à son pays ‘Tu iras jusque là mais pas plus loin’ »

374.

Alan Cochrane, Alex Salmond’s national conversation , The Telegraph, 14 février 2008. « Alex Salmond was in his element in his second favourite country last night… »

375.

http://www.scotland.gov.uk/topics/a-national-conversation

376.

Scottish Executive, Choosing Scotland’s Future, op. cit. p. 4, chapitre 1, paragraphe 10 « The Act therefore sets up a system of “unlimited” devolution, in which any reserved matters could be devolved to the Scottish Parliament, using the mechanisms already in the Act ».

377.

Secretary of State for Justice and Lord Chancellor, The Governance of Britain , Green Paper, H.M.S.O., juillet 2007, 63 p.

378.

Editorial, Labour fails to get message , The Scotsman, 22 juin 2007. «  Pour la première fois, les travaillistes ont perdu des voix en mai car ils ont refusé de discuter d’un éventuel transfert de nouveaux pouvoirs à Holyrood. Ils ont ainsi abandonné le débat constitutionnel au profit des nationalistes »