Histoire et fiction

Selon Claude Burgelin, faire de Duras un témoin de l’histoire tout simplement, c’est une « impudence » 76 . Au moment où Duras raconte quelque chose dans ses livres, qu’il s’agit d’une expérience personnelle ou de ses proches, d’un événement politique ou d’un fait divers, elle « déforme, affabule, mythifie » 77 . Claude Burgelin distingue même dans l’œuvre durassienne trois univers d’inspiration, traversés tous par la réalité historique et conflictuelle de ce temps : la fiction, l’autofiction et la mémoire. Cette combinaison de réalité, de fictif et de mémoire est à la base de la tension et de l’énergie dégagées par l’œuvre. Duras confirme ce phénomène dans une de ses interviews au sujet de l’Amour : « L’écrivain de l’Amour traverse cet espace comme moi. Quand je dis je traverse, c’est que j’ai été traversée moi-même. Je ne peux rendre compte que de ça, de ce mouvement qui m’est arrivé. » 78 Cette subjectivité de Duras crée dans la tête du lecteur une sorte d’ambiguïté et lui laisse la possibilité de voir dans son œuvre une autobiographie. Mais il faut toujours se méfier du « moi » durassien. Claude Burgelin recommande avec raison de prendre le mot « témoin » en un sens élargi. L’histoire, Duras la vit et la dit comme force qui déplace, détruit, déborde. Ce dont elle témoigne, c’est de ce choc, de cette violence telle qu’elle l’a ressentie, mais qui ne touche pas qu’elle. Duras témoigne avoir écrit sur la « femme du monde » qu’est Suzana, l’un de ses personnages féminins, qu’elle n’a jamais rencontrée, mais qu’elle invente 79 . Elle dit aussi de Anne-Marie Stretter et de Lol qu’elle n’a rien à voir avec elles, « ce sont des personnes qui ont leur vie, qui n’améliorent en rien la mienne, qui ne me font jamais rêver. » Il lui arrive de tomber à l’endroit où elles sont et alors elle commence à écrire : « Cet endroit est derrière moi quelque part. C’est mon enfer à moi » 80 . Cet endroit des femmes, comme l’appelle Duras, correspond à l’endroit du langage. C’est ici le point commun du « moi » et du monde. C’est un endroit où Duras invite à la prudence.

Quel est le rapport de Duras à l’Histoire ? Elle n’a pas peur de la raconter, ni de tenter la changer par son écriture ou en entrant dans la politique. En effet, elle aime cultiver le doute, le scandale par ses positions tranchées, ses partis pris. Ne partageant pas la réserve de Nathalie Sarraute, écrivain qu’elle admire, Marguerite Duras occupe la scène culturelle, très tôt, avec le groupe de la rue Saint-Benoît. Avec ses compagnons successifs, Robert Antelme et Dionys Mascolo, elle y côtoie le philosophe Merleau-Ponty, l’écrivain Elio Vittorini, Edgar Morin et bien d’autres. Sans trop insister ici sur son penchant pour la politique et sur la grande déception qu’elle subit avec l’exclusion du parti 81 , nous rappellons qu’elle prend très vite des engagements dans le domaine sociopolitique, comme son engagement dans la Résistance, suivi de son adhésion au Parti Communiste jusque vers 1950, sa participation aux événements de mai 1968. Duras occupe également la scène médiatique à partir des années 80, ce qui lui vaut parfois le reproche d’avoir un avis sur tout, et de donner voix, pour ses détracteurs, à toutes les interprétations du réel. Ses œuvres reflètent le XXe siècle, et ses principaux événements (notamment la seconde guerre mondiale, l’utilisation de la bombe atomique, le militantisme…). Ce qui est intéressant à remarquer chez Marguerite Duras, c’est l’utilisation des événements de l’Histoire dans les livres. Duras est une combattante qui entend vaincre la souffrance, provoquée par l’Histoire, en se servant de l’écriture. Puisqu’on ne l’écoute pas en tant que femme engagée dans la politique, elle choisit d’écrire sur Hiroshima (Hiroshima mon amour), sur l’Algérie (dans Outside) ou sur le Holocauste et sa fascination pour le judaïsme (La Douleur, Abahn Sabannah David) etc. Duras reprend l’Histoire et la fictionnalise par l’écriture.

La littérature comporte donc pour Duras deux avantages : premièrement, elle est une manière de parler de la souffrance et de l’injustice sociale, pour ne pas céder à la dépression 82 , quitte à la transformer ou à l’exagérer, la poussant ainsi vers le mythe ; deuxièmement, la littérature est un moyen formidable de faire passer ses messages politiques au lecteur, tout en les faisant passer par le filtre de la passion ou du pathétique. Pourquoi son livre La Douleur est-il reçu avec enthousiasme par ses admirateurs, ainsi que par ses détracteurs ? Le succès pourrait être mis au compte du mélange que Duras fait entre douleur, passion, pathétisme, fiction et Histoire. Dans les années 50, pour sensibiliser le lecteur sur la souffrance des Algériens, par exemple, elle ne tient pas un discours politique contre la guerre en Algérie. Elle va écrire un article très touchant dans France-Observateur, en 1957 83 , intitulé « Les fleurs de l’Algérien ». Le régime d’adresse au lecteur choisi par Duras lorsqu’il s’agit de l’Histoire est marqué donc par le pathétisme. Elle embellit ou adoucit la souffrance, la réalité dure de l’Histoire. « Lire la liste de ses œuvres, c’est une plainte d’amour, un refrain populaire », dit Joëlle Pagès-Pindon. 84 Amour, amants, amantes (Hiroshima, mon amour, L’Amour, L’Amante Anglaise, L’Amant, L’Amant de la Chine du Nord), Duras ne cesse de moduler ce chant de la passion : vécue sous toutes ses formes, mais toujours invivable, la passion durassienne abolit les frontières entre les âges, les sexes, les conditions sociales, les cultures, les époques et les lieux. Et si le tragique de l’histoire individuelle croise parfois l’Histoire collective, « c’est dans l’éternité du mythe » 85 .

Sur sa vie même, sa propre histoire, Marguerite Duras semble avoir tout dit aussi, tout écrit : la mère, ses frères, l’Indochine, l’amant chinois, Trouville, l’amant atlantique, dans une œuvre qui serait comme une interminable autobiographie. L’écriture absorbe la vie, la digère et la transforme. Bien plus, elle confronte l’écrivain à sa propre mort. L’autobiographie n’est pas chez Duras la possibilité pour l’écrivain de « se raconter », en assignant au livre le rôle de lui construire une unité. Le livre n’est pas garant de l’Histoire de soi, il ne certifie pas l’authenticité des faits évoqués, comme le dit Sylvie Loignon. 86 Après la lecture des premières pages de L’Amant, la mise en scène d’un moi auctorial imposant crée l’impression pour le lecteur de se retrouver devant une autobiographie incontestable. Or, ce texte organise une distorsion des règles de l’autobiographie (puisqu’il n’y a pas adéquation entre le narrateur, le personnage et l’auteur) et n’offre de clés autobiographiques que dans la mesure où il peut être rapproché de véritables constellations romanesques. Certes, l’écriture durassienne ne peut pas se dissocier d’une mise en fiction du biographique : elle y trouve son fondement et ses scènes matrices, affirme Sylvie Loignon. 87 Mais considérer que Duras fait dans ses livres le récit de sa vie, est une grave erreur. C’est la raison pour laquelle l’écrivain refuse de voir le film L’Amant, de Jean-Jacques Annaud, parce que le réalisateur ne voit dans ce livre durassien qu’une opportunité de faire une biographie filmée de l’auteur. Duras se montre très intriguée par ce geste 88 . L’autobiographie ne se donne à lire que comme une autofiction ou un autoportrait fictionnalisé. On a affaire à un véritable « imaginaire autobiographique ». 89

Il faut donc croire l’auteur quand elle affirme le primat de l’imaginaire dans sa création et proclame : « Le roman de ma vie, oui, mais pas l’histoire » 90 Loin de se confiner dans les limites étroites d’un moi biographique, la création durassienne se déploie dans un espace immense qui va du Pacifique à l’Atlantique, du « cycle indien » des années soixante, soixante-dix, à ce que la critique propose d’appeler « le cycle atlantique » des années quatre-vingts, quatre-vingt-dix. Elle circule librement à travers les catégories génériques pour investir tantôt le roman, tantôt le théâtre, tantôt le scénario ou le film.

On pourrait dire que « Duras » est le plus beau cadeau offert par…son œuvre, car c’est l’écriture qui lui donnera son nom. C’est à travers ses livres qu’elle se fait un nom. Notons ce que Marguerite Duras confie à Michèle Manceaux : « J’ai découvert que le livre, c’était moi. Le seul sujet du livre, c’est l’écriture et l’écriture c’est moi.» 91 En somme, Marguerite Duras assume la responsabilité de ce qu’elle écrit, car cela la représente.

S’il y a donc une philosophie de l’Histoire chez Duras, elle se concentre dans les paroles de la femme du Camion, qui constituent la seule politique : « Que le monde aille à sa perte ! ». Ces mots inspirés de l’Ancien Testament investissent l’Histoire de la puissance symbolique de la survie 92 . Le « pessimisme » issu de cette phrase offre à Duras les ressources pour survivre : « Le joyeux désespoir n’est pas une raison de vivre, c’est une raison pour ne pas se tuer. » 93 La perte du monde est synonyme de la perte politique, mais aussi de la destruction capitale et de la reprise à zéro que vit cette femme écrivain. Si Duras surpasse l’Histoire, c’est parce qu’elle a trouvé ses ressources dans le pouvoir de l’écriture. Duras transforme en mythe la perte politique, par la force du Mot, et la revêt d’une aura féminine : « La perte du monde a les yeux verts de la beauté, de la jeunesse, de la femme. Elle est féminine, la perte du monde ! » 94 L’Histoire est vue par Duras sous l’angle du « moi », de l’autre et de la politique. Ce dernier domaine a d’ailleurs beaucoup attiré l’écrivain.

Duras croit à l’utopie politique, car, dans l’entretien qui suit le texte du Camion, elle dit qu’ « il n’y a qu’à tenter les choses, même si elles sont faites pour échouer. Même échouées, ce sont elles qui font avancer l’esprit révolutionnaire ». 95 C’est cette croyance par delà l’échec qui l’amène à prendre souvent position et à s’impliquer politiquement dans la vie sociale en tant que journaliste. Ses prises de position sont doublées d’une réflexion philosophique sur différents aspects de la réalité. (L’Eté 80)

On sait qu’en 1944 Duras s’est inscrite au Parti Communiste. Elle en est exclue quelques années plus tard, entre autres prétextes, pour avoir été surprise en train de danser 96 , pour avoir critiqué les camarades dans une boîte de nuit avec ses amis ou pour le ménage à trois qu’elle faisait avec Dionys et Robert. On garde le silence en général quand il s’agit de parler de son exclusion. La critique n’en parle pas trop, seuls les biographes fouillent dans le passé de l’écrivain pour trouver la vérité 97 . Cette exclusion entraîne une série de déclarations virulentes, directes, dans les entretiens, ou indirectes, à travers les textes. Duras dénonce dans ses textes et ses interventions publiques la tournure staliniste du communisme. Elle reproche en particulier au Parti Communiste d’avoir refusé les événements de mai 68, alors qu’elle-même participait activement aux réunions du Comité d’action Etudiants-Ecrivains. Le PCF serait ainsi un « refus fondamental de la vie, de vivre ». Ce refus est la source de la détestation des principaux dirigeants du PCF, notamment de Georges Marchais dont Duras parle dans l’article « Les Chiens de l’Histoire » : « A pic au-dessus du vide, Marchais. Vaincu. Au-delà de tout. Il est arrivé. Il est à la fin de sa folie, à la fin de sa croyance, il ne bouge plus. » 98

L’exclusion de Duras du PC a en fait comme fondement son refus du simplisme dictatorial. Dans un entretien 99 avec Jean –Marc Turine, Duras dénonce l’atrocité d’« égaliser les choses » commise par le communisme. « On m’a appris à mépriser les autres, à mépriser les catholiques, les croyants. On m’a appris à mépriser les riches, comme si c’était une définition d’être riche. Dans la richesse il y a une immense pauvreté, une misère des riches. C’est toujours fasciste de mépriser les riches », disait Duras, dont la déception produite par le communisme lui a fait mettre des années à s’en guérir. 100 L’idée de perdition de l’esprit révolutionnaire est terrible pour elle à tel point qu’elle reste « inconsolable, inconsolable… ». Il faudrait peut-être repartir à zéro, se disait-elle, pour en finir avec l’égalitarisme. « C’est ça le travail politique ». Duras exprime très poétiquement cette perte politique et écrit :

‘« Elle est la perte de soi, la perte de sa colère, autant que de sa douceur, la perte de sa faculté d’aimer, autant que de sa haine, la perte de son imprudence, autant que de sa modération, la perte d’un excès autant que la perte d’une mesure, la perte de sa folie, de sa naïveté, de son courage, comme celle de l’épouvante devant toute chose, autant que de sa confiance, la perte de ses pleurs, comme celle de sa joie ». 101

Ce sont des contradictions qui sont fondamentales et qu’il faut garder intactes, à son avis. Chez Duras, tout passe par l’écrit, par le poétique. Les faits divers, la guerre, les camps de concentration et d’extermination, le génocide des Juifs, la destruction atomique, le colonialisme, la misère sociale, la décomposition des villes deviennent des sujets d’écriture et rejoignent le « je » intérieur de l’écrivain, tout en passant par la philosophie et par le mythe.

Les événements historiques passent donc chez Duras par un processus de littérarisation qui les projette dans le mythe ou dans l’autofiction. « J’ai tout de suite fait des livres dits politiques », dit Duras dans Ecrire 102 . Ils sont « politiques » au sens où ils rejoignent l’immanent du monde. Le cadre d’Un Barrage contre le Pacifique « n’est nullement imaginaire », précise Duras lors d’une discussion avec Jean-Marc Turine 103 , car « l’histoire est dans son contexte rigoureusement vraie ». En revanche, avec Le Marin de Gibraltar, nous nous retrouvons dans la fiction, l’écrivain s’étant « lancée dans une aventure totalement imaginaire » 104 . Si les choses sont clairement précisées pour ces deux romans, Le Square nous projette déjà dans l’ambiguïté, car Duras avoue n’avoir rien inventé, mais précise que le réalisme ne l’intéresse en rien. Au fil des livres, nous constatons que toute son œuvre oscille entre réel et fictif, entre autobiographie et autofiction ou mythographie. L’histoire est construite autour d’une  « légende particulière, d’une fiction, d’un mythe personnel » 105 . Dans son article portant sur le rapport entre l’Histoire et la fiction dans l’œuvre durassienne, Claude Burgelin évoque les « brûlures » de l’histoire immédiate, qui sont aussi présentes dans les chroniques (L’Eté 80, La Vie matérielle), dans un glissement entre fantasmatisation et propos de la marge, entre textes du dehors et textes du dedans, en des « aller-retour entre moi et moi, entre vous et moi dans ce temps qui nous est commun » 106 .

Duras dit que la violence est une chose que l’on reconnaît. Ce n’est pas une chose que l’on doit apprendre, c’est une chose dont on a donc toujours, tout au long de sa vie, la vocation profonde. Christiane Blot-Labarrère voit en Duras, à travers cette conception de « vocation profonde », un écrivain en l’histoire plus qu’un écrivain de l’histoire. 107 Ce que Duras veut capter, c’est l’ « ombre interne » des événements de l’Histoire, l’ « ombre historique des êtres » 108 ou des sociétés : « [Le noir est] dans tous mes livres. Ce noir, je l’ai appelé “ombre interne”, l’ombre historique de tout individu. » 109 Non point illuminer l’être ou l’événement comme le tente le journaliste ou l’historien, mais le couvrir d’ombre, voire d’obscurité, considère Claude Burgelin. 110  Dire la vérité, considère le critique, suppose avoir fait en soi une sorte de vide qui ne laisse passer que la colère fondatrice. C’est ce que dit Duras dans La Vie matérielle : « Je ne pense rien, en général, de rien, sauf de l’injustice sociale ». 111

« Ecrire », pour Duras, signifie raconter une histoire et « l’absence de cette histoire » 112 . En effet, la tâche de l’écrivain est à son avis de raconter une histoire prise dans son ombre, sa nuit ou son vertige, une histoire prise dans ce qui la désancre ou la rend opaque, une histoire sans fond qui ne peut être rendue ou entendue qu’au prix de cette folie de La Douleur. L’Histoire, dans les fictions de Duras, est prise, comme le note Claude Burgelin, dans les « filets d’une anecdote sous le signe de la contingence : une ex-Nivernaise rencontre on ne sait comment un Japonais à Hiroshima ; un clochard amnésique erre autour d’un bistrot ; une Française parmi d’autres attend en même temps que d’autres le retour de son mari d’un camp en Allemagne. La vérité de l’histoire en passe par la médiation d’histoires individuelles (un homme, une femme, un homme et une femme…), hasardeuses ». 113 A ces scénarios de dérive ou de ravissement, Duras donne force et forme à travers la singularité d’un destin, comme le dit Claude Burgelin, qui cite le cas du jeune aviateur mitraillé en Normandie, dont Duras se sert pour évoquer la France qui se libère, la guerre qui s’achève.

L’Histoire chez Duras est ensuite étroitement liée à une certaine politique de la mémoire, qui est très singulière 114 . L’histoire collective est « mémoire commune, construction symbolique partagée ». 115 Dans l’œuvre durassienne, la mémoire est une impossibilité de l’oubli et de mise à distance des émotions. La Douleur est issu de cette impossibilité de l’oubli. Un Barrage contre le Pacifique, dont l’histoire est « rigoureusement vraie », est écrit parce qu’on ne pourrait pas oublier les injustices faites à sa mère par les concessionnaires de terres infertiles et il « fallait [donc en] parler » 116 . S’il convient de ne penser « rien » en général, pour autant, il y a « horreur de l’oubli ». Ce sont les mots du Japonais après l’écoute de l’histoire de Nevers : « Je penserai à cette histoire comme à l’horreur de l’oubli. » En commentant ce passage, Blot-Labarrère dit que l’ « horreur de l’oubli l’emporte sur la duperie de la mémoire. Le passé ne renvoie plus à l’histoire, mais au véridique ». 117 Claude Burgelin considère essentielle cette façon d’opposer l’historique au véridique. Ainsi, l’amnésique d’Une aussi longue absence, avec sa mémoire perdue, « incarne une souffrance mate, incolmatable et indicible ». 118 La mémoire, explique Claude Burgelin, a à réaliser ce paradoxe de ne pas s’inscrire de manière figée dans l’historique, ce qui est son destin, mais de rester vérité brûlante, de demeurer « une inconsolable mémoire, une mémoire d’ombres et de pierre » 119 . La Française peut dire de Nevers que « c’est la chose du monde à laquelle, la nuit, je rêve le plus. En même temps que c’est la chose du monde à laquelle je pense le moins. 120  »

Il s’agit donc « d’une mémoire qui, telle le rêve, abolit et annule le temps » 121 devenant ensuite mythe. En avouant : « Je ne connais pas mon histoire. Je n’ai pas d’histoire » 122 , Duras refuse d’écrire à partir de sa propre vie. A la base de son écriture se trouve le « mythe personnel » 123 , notion qui définit le caractère mythographique de l’œuvre durassienne. Cela n’empêche que son œuvre se nourrisse d’un « excès de réel » 124 qu’elle transforme ensuite, comme nous l’avons déjà dit, en mythe à travers l’universalité des faits ou de ses personnages. « Lui » et « Elle » sont les noms de la plupart des personnages durassiens, tels que ceux du récit « Les Chantiers » ou de l’Homme assis dans le couloir. Ils désignent l’Homme et la Femme universels, mythiques. Ce sont des anonymes. Nous constatons qu’il y a aussi chez Duras une certaine politique des noms. La tendance est de garder l’anonymat, de se cacher derrière les noms fictifs ou les jeux de noms. Seuls quelques personnages de Duras reçoivent des noms. Le nom même de Duras est un pseudonyme. L’onomastique, les titres, ou tout autre élément à l’intérieur ou à l’extérieur du livre, formant le paratexte (Genette), pourraient constituer autant de pistes de lecture de Duras par elle-même.

Notes
76.

« Duras témoin de l’histoire », par Claude Burgelin in L’Ecriture de soi peut-elle dire l’histoire ?, sous la direction de Jean-François Chiantaretto, Actes du colloque organisé par la BPI les 23 et 24 mars 2001, dans la Petite Salle du Centre Pompidou à Paris, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2002, p. 203-214

77.

Ibid.

78.

Marguerite Duras ou le ravissement de la parole, entretiens radiophoniques choisis et réunis par Jean-Marc Turine, coffret de 4 CD d’archives sonores de la BPI, Centre Pompidou

79.

Ibid.

80.

Ibid.

81.

Nous reviendrons sur les engagements de Duras dans le domaine de la politique au fur et à mesure que notre recherche avance, car, faut-il le préciser, l’écriture de son œuvre, ainsi que sa réception, sont étroitement liées aux choix politiques de l’écrivain qui rêve d’un communisme idéal.

82.

Voir dans cette perspective Julia Kristeva, Soleil noir, dépression et mélancolie, « La maladie de la douleur : Duras », Gallimard, 1987 Nous reviendrons sur cet article dans le chapitre consacré au journalisme durassien.

83.

Cet article, « Les fleurs de l’Algérien », paru dans France-Observateur, en 1957, sera repris dans Outside, P.O.L., 1984

84.

Joëlle Pagès-Pindon, Marguerite Duras, Ellipses, 2001, p. 5

85.

Joëlle Pagès-Pindon, op. cit.

86.

Sylvie Loignon, Marguerite Duras, L’Harmattan, Paris, 2003, p.11

87.

Sylvie Loignon, op. cit

88.

« La vraie vie de Marguerite Duras », entretien de Pierre Assouline avec Marguerite Duras, Lire, octobre 1991

89.

Pour utiliser l’expression de Joëlle Pagès-Pindon, op. cit., p.14.

90.

Marguerite Duras, entretien avec Aliette Armel, Magazine littéraire, juin 1990.

91.

Michèle Manceaux, L’Amie. Des journées entières avec Marguerite Duras, Ed. Michel Albin, 1997, p.53.

92.

Cf. « Duras témoin de l’histoire », par Claude Burgelin in L’Ecriture de soi peut-elle dire l’histoire ?, sous la direction de Jean-François Chiantaretto, Actes du colloque organisé par la BPI les 23 et 24 mars 2001, dans la Petite Salle du Centre Pompidou à Paris, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2002, p. 203-214

93.

Loignon, Sylvie, Marguerite Duras, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 81

94.

Marguerite Duras ou le ravissement de la parole, entretiens radiophoniques choisis et réunis par Jean-Marc Turine, coffret de 4 CD d’archives sonores de la BPI, Centre Pompidou

95.

Duras, Marguerite, Le Camion, suivi de Entretien avec Michèle Porte, éd. de Minuit, 1977, p. 115

96.

Cf. Loignon, Sylvie, op. cit., p. 82

97.

Voir à ce sujet le chapitre consacré aux biographies de Marguerite Duras par Laure Adler, Jean Vallier etc.

98.

« Les Chiens de l’Histoire », L’Autre Journal, n° 6 (hebdo), 3 avril 1986

99.

Marguerite Duras ou le ravissement de la parole, entretiens radiophoniques choisis et réunis par Jean-Marc Turine, coffret de 4 CD d’archives sonores de la BPI, Centre Pompidou

100.

Ibid.

101.

Ibid.

102.

Duras, Marguerite, Ecrire, Paris,éd. Gallimard, 1993, p. 27

103.

Marguerite Duras ou le ravissement de la parole, entretiens radiophoniques choisis et réunis par Jean-Marc Turine, coffret de 4 CD d’archives sonores de la BPI, Paris, Centre Pompidou

104.

Ibid.

105.

Cf. Claude Burgelin, op. cit.

106.

Duras, Marguerite, La Vie matérielle, éd. Gallimard, 1999, collection « Folio », p. 8

107.

Blot-Labarrère, Christiane, Marguerite Duras, éd. du Seuil, collection « Les contemporains », 1992, p. 18

108.

Cf. Claude Burgelin, op. cit.

109.

Duras, Marguerite, Le Monde extérieur, P.O.L., 1993, p. 16

110.

Ibid.

111.

Ibid., p. 7

112.

Ibid., p. 31-32

113.

Burgelin, Claude, op. cit.

114.

Ibid.

115.

Ibid.

116.

Marguerite Duras ou le ravissement de la parole, entretiens radiophoniques choisis et réunis par Jean-Marc Turine, coffret de 4 CD d’archives sonores de la BPI, Paris, Centre Pompidou

117.

Christiane Blot-Labarrère, Marguerite Duras, Ed. du Seuil, coll. « Les contemporains », 1992, p. 68

118.

Claude Burgelin, op. cit.

119.

Marguerite Duras, Hiroshima mon amour, scénario et dialogues, éd. Gallimard, 1960, p. 32

120.

Ibid.

121.

Claude Burgelin, op. cit.

122.

Marguerite Duras, op. cit., p. 88

123.

Claude Burgelin, op. cit.

124.

Ibid.