Le préfaciel durassien

En tant qu’élément accompagnateur d’un texte littéraire, la préface doit elle-aussi bénéficier d’une attention particulière dans l’étude de la réception d’une œuvre. Comment expliquer cet intérêt que nous portons aux préfaces ? Nous partons de l’hypothèse que si un écrivain compose une préface, il a quelque chose à annoncer, ou à communiquer au lecteur, soit sur le livre, soit sur lui-même. Comme Marguerite Duras est un écrivain qui aime écrire des préfaces, nous nous proposons donc de parcourir quelques-unes d’entre elles pour être à l’écoute de sa plume. De quoi Duras parle-t-elle au lecteur ? Faut-il s’attendre à des révélations ? A des confidences ou des confessions ? Quels types de préfaces Duras propose-t-elle dans ses livres ?

La préface est définie par Genette comme « toute espèce de texte linéaire, auctorial ou allographe, consistant en un discours produit à propos du texte qui suit ou qui précède. » 238 La fonction de la préface auctoriale (originale) est d’assurer au texte une bonne lecture. Elle est donc conçue et adressée au lecteur. Elle relève, comme le suggère Genette, de ce que la rhétorique latine nomme captatio benevolentiae. C’est ce qui valorise le texte. On y informe le lecteur sur l’origine de l’œuvre, sur les circonstances de sa rédaction, sur les étapes de sa genèse. La préface peut être considérée comme un guide du lecteur, qui le situe et le détermine à la fois. Les auteurs, dit Genette 239 , ont souvent une idée assez précise du type de lecteur qu’ils souhaitent, ou savent parfois toucher. Dans cette perspective, Genette mentionne Balzac qui a une visée particulière sur le public féminin, dont il se veut l’analyste le plus compétent. Quant à Duras, on connaît la confiance qu’elle fait au jeune public :

« Yann Andréa : Qui va se souvenir de vous ?

« M. D. : Les jeunes lecteurs. Les petits élèves. » 240

Une fonction à peu près inévitablement réservée aux œuvres de fiction consiste en ce que Genette appelle une « protestation de fictivité ». 241 Il y a des préfaces où l’auteur met en garde le lecteur contre toute tentation de chercher des clés ou des « applications » aux personnes et aux situations évoquées dans l’œuvre. On tire ainsi un signal d’alarme sur la tentation d’attribuer à l’auteur les opinions ou les sentiments de ses personnages. Flaubert, cité par Genette, dans la préface au Lys dans la vallée, dit : « Malgré l’autorité de la chose jugée, beaucoup de personnes se donnent le ridicule de rendre un écrivain complice des sentiments qu’il attribue à ses personnages ; et s’il emploie je, presque toutes sont tentées de le confondre avec le narrateur ». 242 Il peut y avoir aussi des livres sans préface, comme c’est le cas de la majorité des ouvrages de Duras.

Par ailleurs, intéressé par le texte préfaciel, Raymonde Robert souligne dans une étude, comme l’avait déjà fait Genette dans Seuils, le caractère littéraire de la préface. Ce type de texte marginal est considéré comme « la pratique littéraire la plus typiquement littéraire » 243 . Bien que hors-texte, la préface intègre le plus souvent le corps de l’œuvre, en se littérarisant. C’est l’occasion de mentionner déjà que Duras, dans les préfaces qu’elle écrit aux textes du volume intitulé La Douleur (1985), mêle son écriture littéraire, à la première personne du singulier, à une écriture d’information ou d’avertissement. Ce livre illustre d’ailleurs, par ces préfaces, l’adhésion de Marguerite Duras au concept de pacte autobiographique (Philippe Lejeune). Si la préface n’était pas écrite en italiques, on aurait du mal à reconnaître la frontière entre le texte préfaciel et le corps proprement-dit de la production littéraire. Comment reconnaître alors la frontière entre la préface et le texte ? Dans ces conditions, écrire sur la préface est l’unique solution proposée par Genette pour la détacher du texte, pour « la surpasser de ces divers excès ». 244 C’est l’une des idées qui nous animent dans notre entreprise et qui s’annonce prometteuse sur le plan de la réception de Duras par elle-même.

Notes
238.

G. Genette, Seuils, Seuil, 1987, coll. Poétique, sous la direction de G. Genette et T. Todorov, p. 150

239.

Ibid, p. 197

240.

Marguerite Duras, C’est tout, P.O.L., 1999, p. 10

241.

G. Genette, op. cit., p. 200

242.

Extrait de la Préface au Lys dans la vallée, de Flaubert, cité par G. Genette, op. cit., p. 201

243.

Cf. Raymonde Robert, Introduction in Actes du Colloque de Clermont-Ferrand des 17 au 19 septembre 1999, « Le texte préfaciel », textes réunis par Laurence Kohn-Pireaux, Presses Universitaires de Nancy, 2000, p. 5

244.

Ibid.