L’épistolaire durassien peut être abordé selon deux perspectives différentes : du point de vue des lettres insérées dans les textes et du point de vue de la correspondance personnelle. Les deux perspectives sont importantes, car elles peuvent apporter des informations précieuses liées à sa conception sur l’écriture, mais aussi au rapport que Duras entretient avec les différentes catégories de ses lecteurs. Dans notre étude, nous accordons pourtant une attention particulière à la correspondance privée de l’écrivain, en considérant qu’elle est représentative pour le sujet de notre recherche visant la manière dont Duras parle d’elle-même et dont les autres la reçoivent.
Selon les lettres dont nous disposons, écrites par Duras ou adressées à l’écrivain par diverses catégories de lecteurs, nous proposons dans un premier temps une discrimination catégorielle des lecteurs : les grands lecteurs de Duras (écrivains, journalistes ou cinéastes, comme Beckett, Blanchot, Foucault, Jean-Marc Turine), les éditeurs (Gallimard), ses intimes (sa famille et ses amis) et ses camarades de combat politique. On s’interroge ainsi s’il est possible que Duras dresse son autoportrait à travers les lettres qu’elle écrit à ses lecteurs. Des aspects visant sa personnalité, sa manière de se rapporter à ses lecteurs, ainsi qu’aux membres de sa famille, constituent les cibles de notre analyse. Mais aussi, les lettres sont un bon témoignage de la manière dont on reçoit l’écrivain et son œuvre.
Les correspondances d’écrivains en général constituent un moyen de percevoir les rapports qui existent entre un auteur, une oeuvre et son lectorat 340 . Les lettres accompagnent l’homme-écrivain en marge de l’œuvre. Elles témoignent, comme le note Marie-Claire Grassi, de l’élaboration, de la gestation de l’œuvre, ou peuvent être considérées en elles-mêmes comme une œuvre, une autre forme d’écriture au même titre que l’écriture romanesque. 341
En essayant de distinguer entre la fonction et l’effet paratextuels de la correspondance, Genette 342 constate qu’il y a une grande différence entre ces deux aspects. Ainsi, dans la mesure où la correspondance porte sur l’œuvre de l’auteur, une lettre d’écrivain exerce une fonction paratextuelle sur son destinataire premier, mais un simple effet paratextuel sur le public ultime 343 . En effet, si l’auteur a une idée précise, singulière, de ce qu’il veut dire de son œuvre à son correspondant particulier déterminé, le message peut à la limite n’avoir de valeur ou de sens que pour celui-ci. C’est, par exemple, le cas de la correspondance adressée par Duras à Yann Andréa. Le lecteur d’une correspondance est tout naturellement amené à faire « la part des choses ». S’il s’agit d’une lettre adressée à un éditeur, et dans cette perspective nous parlons des lettres adressées par Duras à la maison Gallimard, la réception est d’autre nature, comme d’ailleurs le but de l’envoi. L’effet en est de valorisation, de précaution ou de feinte modestie.
Selon Genette 344 , la correspondance peut être utilisée aussi comme sorte de témoignage sur l’histoire d’une œuvre, sur sa genèse, sur sa publication, sur l’accueil du public et de la critique et sur l’opinion de l’auteur à l’égard de toutes ces étapes. La correspondance de Marguerite Duras constitue un trésor d’informations pour les chercheurs, surtout pour les biographes, qui peuvent la consulter dans les archives de l’IMEC où elle a été déposée. Tel est le cas, par exemple, de Laure Adler, le premier biographe à avoir eu accès aux archives durassiennes, qui réalise une remarquable biographie de l’écrivain. 345
La thématique des lettres qui composent la correspondance durassienne est assez diverse. Elle envoie des lettres dont le style est parfois très familier, parfois très soutenu, selon les destinataires : ses amis, ses éditeurs, le Parti Communiste etc. Que peut-on lire à travers les lettres qu’elle écrit ? Ses lettres expriment très bien l’état d’esprit de l’écrivain au moment où elle les écrit (bonheur, déception, inquiétude, désespoir, ironie, amour, affection), ce qui permet au lecteur d’ébaucher sa personnalité. Qu’apprend-on d’abord sur Marguerite Duras en lisant la correspondance avec son premier grand éditeur ?
Voir sur la correspondance d’écrivains l’étude réalisée par Marie-Claire Grassi, Lire l’épistolaire, coll. « Lire », dirigée par Daniel Bergez, éd. Dunod, Paris, 1998
Cf. Marie-Claire Grassi, Lire l’épistolaire, coll. « Lire », dirigée par Daniel Bergez, éd. Dunod, Paris, 1998, p. 144
G. Genette, Seuils, Seuil, 1987, coll. Poétique, sous la direction de G. Genette et T. Todorov, p. 343
Ibid.
G. Genette, op. cit., p. 343
Laure Adler, Marguerite Duras, Gallimard, Folio, 1998