Deuxième partie :
Eclats de sublime : le journalisme durassien

Marguerite Duras et la presse

Après avoir assisté à la mise en scène de Duras par elle-même à travers les éléments qui se trouvent en marge de son écriture (titres, préfaces, pseudonyme, dédicaces) ou à travers les éléments qui forment son épistolaire, sa télégénie et sa radiogénie, notre regard se dirige maintenant vers le rapport de l’écrivain à la presse. S’agit-il d’une autre scène où Duras se produit et aime faire spectacle ? Les articles de presse, par exemple, qu’elle écrit pour diverses publications, peuvent-ils être considérés comme un « Duras par Duras » ? On se demande si l’activité journalistique durassienne offre des renseignements sur la personnalité de l’écrivain et si elle contribue à la construction de l’image d’ensemble de Marguerite Duras. Les articles de presse écrits par Duras pourraient-ils être rattachés au corpus littéraire durassien ? Et bien sûr, comment Duras est-elle reçue en tant que chroniqueuse ? Comment se présente-t-elle aux journalistes de presse qui l’interviewent ? Quels sont les thèmes qu’elle aborde lorsqu’elle est interviewée ou lorsqu’elle interviewe quelqu’un ? Voici quelques repères qui vont guider notre recherche sur le rapport de Duras à la presse, chapitre qui précède et introduit la partie la plus importante de notre étude, portant sur la réception à chaud de l’œuvre de Marguerite Duras par diverses voix de la critique littéraire ou journalistique.

Parallèlement à son grand plaisir d’apparaître dans le public, devant les caméras de télévision ou à la radio, Duras est attirée par la presse, avec laquelle l’écrivain collabore, mais aussi, il est déjà temps de l’annoncer, avec laquelle elle entretient des rapports tendus tout au long de sa vie. Dans ce domaine, elle se sent encore plus à l’aise que devant les caméras. C’est parce que l’écriture la rend libre. Ecrire signifie pour elle liberté, car « l’écrit vient d’ailleurs, d’une autre région que celle de la parole orale. C’est une parole d’une autre personne qui, elle, ne parle pas. » 538 Ce silence d’une « personne qui ne parle pas » est rempli par les pages écrites lors de la « traversée éperdue des mots » 539 de ce double de l’écrivain à l’écoute de soi. La Duras chroniqueuse ou celle qui est engagée dans des interviews ne diffère en rien de la Duras qui écrit des livres ou qui parle devant les caméras de télévision. On est heureux, agacé, révolté, content, surpris etc. de retrouver dans ses articles la même « écriture courante », « presque discrète, qui court, qui est plus pressée d’attraper les choses que de les dire, qui court sur la crête des mots pour ne pas les perdre » 540 .

Par ailleurs, il est important de dire que son activité journalistique a lieu parallèlement à l’écriture de ses livres ou à ses engagements politiques. Duras aime avoir une vie très active et s’investir dans plusieurs domaines à la fois. C’est pourquoi notre approche visant les rapports de Duras au journalisme passe par une courte présentation du contexte politique, social et culturel des années 50-70, qui explique parfois les différentes manières de recevoir l’écrivain et son œuvre par ses contemporains. On se demande ainsi si le politique influe sur le journalisme durassien et dans quelle mesure Duras se laisse entraîner dans les combats politiques de l’époque.

Notes
538.

Le Magasine littéraire, n° 278, juin 1990

539.

J.-P. Martin, La Bande sonore, José Corti, 1998, p. 173

540.

M. Duras fait cette description dans l’émission « Apostrophe » de Bernard Pivot en 1984.