Le « bavardage »: passion et particularité durassiennes

En mai 1973, Xavière Gauthier propose au journal Le Monde de faire un dossier de presse sur l’écriture des femmes. L’idée est acceptée. Elle interroge donc des femmes-auteurs sur leur écriture. Certaines ont refusé. Julia Kristeva, Luce Irigaray acceptent d’écrire sur ce sujet, Dominique Dessanti, Marguerite Duras acceptent d’en parler avec elle 647 . Quand tout le travail de recherche et d’écriture est fait, quand la double page est prête, que Le Monde l’a acceptée et programmée pour juillet 73, une importante rédactrice du journal, dont Xavière Gauthier ne prononce pas le nom, s’oppose à la publication du dossier. Ce refus est à l’origine de l’ouvrage Les Parleuses qui regroupe les cinq entretiens devenus un livre à part entière 648 . Il s’agit d’un livre mixte au sens où l’on découvre Duras interviewée et intervieweuse à la fois, comme le note d’ailleurs Xavière Gauthier dans l’avant-propos, car, dit-elle, «  il est évident que Marguerite Duras me pose autant de questions que je le fais et que j’y suis impliquée autant qu’elle » 649 . Un livre « phénomène de femmes », « un anti-livre » 650 , qui parle de l’ « essentiel » 651 . C’est une bonne occasion de parler de tout, de la politique, de la littérature, des femmes…, de dire les révoltes, sans censure, sans crainte. Mais d’abord qui est Xavière Gauthier ? Quel rapport y a-t-il entre elle et l’écrivain ?

Il n’y a peut-être pas de meilleur hommage rendu à Marguerite Duras que celui fait par Xavière Gauthier dans une merveilleuse et touchante lettre 652 qu’elle adresse imaginairement à l’écrivain en 1999, après avoir lu la biographie publiée par Laure Adler 653 . Duras et Xavière Gauthier se rencontrent en 1973, d’après ce qui est écrit dans cette lettre, quoique Xavière soit « passagère permanente » chez Duras, rue Saint-Benoît, le soir, durant sept années où elle déclare ne pas avoir pensé à « en savoir plus » sur la vie de l’écrivain. Elle se contente de cette fascination qu’elle éprouve pour ses livres d’abord, et pour sa personne, ensuite. La lecture de ses livres produit en elle un « trouble aigu », explique la journaliste, « émerveillant jusqu’à l’angoisse, jusqu’à la douleur », la déplace vers un autre espace, corporel, « organique », qu’elle identifie à l’« espace de femme ». 654 La lettre de X. Gauthier, sa formule de début, puis le message transmis avec une nostalgie déchirante, prouvent la grande affection de cette journaliste et écrivain à l’égard de Duras:

‘« Chère Marguerite,’ ‘Je viens de finir, dans une sorte d’affolement, d’accélération finale, le livre qui raconte ta vie. Je ne sais pas si tu te retournes dans ta tombe, mais moi je me retourne dans mon lit et je ne parviens pas à trouver le sommeil. Mon émotion, tout au long du livre, c’est : comment as-tu pu subir tant d’horreurs ? […] Te souviens-tu de cette soirée à Neauphle, au village ? […] Tu nous as accueillies, nous groupes de Sorcières préparant la maquette d’un prochain numéro et il faisait si chaud, tout ce week-end-là que tu as sorti ton tuyau d’arrosage et que tu nous as proposé de nous passer au jet. Belle complicité entre femmes. […]’ ‘Bon, je te dirai simplement la place que tu as eue dans ma vie de femme. Quand je t’ai connue, j’étais définitivement décidée à être écrivain […]’ ‘Je pouvais bien te dire tout cela, non ? Puisque tu as écrit sur notre livre : ”D’où vient que ce qui n’est pas fait pour le lecteur retienne à ce point le lecteur ? Quel est le mystère de cet 'écrit' de la parole ? Est-ce que parce qu’il est, enfin, celui de la femme ? celui à venir ? “ […]’ ‘ Je t’embrasse, bien sûr. ’ ‘Xavière » 655

De leur amitié naît Les Parleuses, livre réalisé par plaisir du dialogue. Ce sont des conversations à travers lesquelles Duras expose et approfondit ses idées sur l’écriture, le cinéma, l’univers féminin, l’imaginaire dans l’écriture etc. « Notre livre », dit Duras à X. Gauthier, « est sans modèle, sans plan, sans prudence et, pour la première fois, peut-être, sans la peur du CENSEUR » 656 . La rencontre avec Marguerite Duras l’a complètement bouleversée, avoue la journaliste, surtout le premier entretien, face à son regard, qui a créé chez elle une tension difficilement soutenable. Il était de toute façon regrettable que cet enregistrement soit réduit à quelques lignes dans le dossier du Monde, considère X. Gauthier après la parution du livre, car beaucoup de questions n’avaient été qu’abordées, qui les « tracassaient », les « passionnaient », « mettaient en jeu beaucoup de choses en nous » 657 .

Elles ont alors pensé à continuer à parler dans une ambiance extrêmement favorable et agréable, dans la maison de campagne de Marguerite Duras, celle où a été tourné Nathalie Granger. Pendant tout un été, X. Gauthier avoue avoir été captivée par le charme de cette maison, par la couleur, l’odeur, le goût presque de ses murs épais, de ses tissus aux fleurs fanées qui en font un lieu privilégié, un rêve d’enfance. Captivée aussi par la générosité, l’ouverture de Marguerite Duras, angoissée, ardente, tourmentée, absolue, intransigeante. Et, pour entrer complètement dans l’atmosphère durassienne de l’écriture, entre les enregistrements de leurs entretiens, elles font des confitures 658 . Dans Parleuses, Duras a l’occasion de parler librement d’elle et de son écriture. Elle parle d’un certain « écrit de la parole » qui est à la base de ce qu’elle met sur le papier. La journaliste pousse l’écrivain à dévoiler le mystère de cet « écrit de la parole » qui attire le lecteur. Et Duras se laisse glisser dans le piège. Elle lui dit qu’elle ne s’occupe jamais du « sens », de la « signification ». « S’il y a sens, il se dégage après. En tout cas, c’est jamais un souci » 659 . Pour elle, le mot compte plus que la syntaxe. C’est avant tout des mots, sans articles d’ailleurs, qui viennent et qui s’imposent. Le temps grammatical suit d’assez loin. Et c’est valable pour tous ses livres. Elles prennent en discussion le cas de L’Amour. X. Gauthier avoue avoir senti dans ce livre une espèce de retrait, de reprise du sens grammatical habituel : « Ne sais pas être regardée » 660 . Il n’y a même plus de pronom personnel : c’est « elle » et puis c’est négatif : « Ne sais pas », suivi d’un passif : « être regardée ». Duras explique qu’il s’agit ici et partout dans son œuvre de « blancs » qui s’imposent. « Ça se passe comme ça : je vous dis comment ça se passe, c’est des blancs qui apparaissent, peut-être sous le coup d’un rejet violent de la syntaxe, oui, je pense, oui, je reconnais quelque chose là. » 661 C’est un des traits distinctifs de l’écriture durassienne, synonyme de « creux », de « manque » 662 ou bien d’ « anesthésie » ou « suppressions », comme le dit Duras. Le lieu de l’écriture est noir et blanc et ce sont ces couleurs qui forment l’ « ombre interne » ou l’espace où se retrouvent les « archives de soi » qui sont moins la source des « premiers Duras » (Le Marin de Gibraltar ou Un Barrage contre le Pacifique), mais qui sont à la base des livres qu’elle écrit surtout après 68 (Détruire, dit-elle, par exemple).

Pourquoi cette différence entre les premiers livres et les autres ? Est-ce qu’elle existe vraiment ? Oui, certainement, d’autant plus que Duras en parle très clairement avec X. Gauthier. On n’entre pas dans les détails ici, on dit seulement que Duras considère les premiers livres plus « masculins », au sens où ils sont plus « pleins », où il manque cet endroit d’un possible trou ou blanc. Autrement dit, comme le reformule X. Gauthier, « il n’y a pas encore la place d’un manque, où l’espace n’est pas encore, je ne sais pas, assez grand ou assez silencieux » 663 . En revanche, Duras avoue avoir été avec les autres livres dans « un labeur quotidien ». D’habitude, elle écrit « comme on va au bureau, chaque jour, tranquillement » ; elle met quelques mois à faire un livre, et puis, tout à coup, « ça a viré. Avec Moderato c’était plus du tout ça ; c’est-à-dire que le livre s’écrivait en quelques jours et c’est la première fois que j’ai abordé la peur avec cela » 664 . Cette description correspond à ce que nous appelons « le temps de la peur » ou, tout en utilisant un mot durassien, l’« expérimentation du blanc » 665 .

En effet, la force d’attraction de l’écriture durassienne, et d’ailleurs ce qui la rend différente, ainsi que du livre-« phénomène », Les Parleuses, vient de plusieurs sources : du style lacunaire, de la spontanéité de la parole écrite, des fautes de français, des erreurs de style, des maladresses d’expression, des lapsus et des ratés de la parole. Nous venons d’énumérer les éléments qui forment l’essentiel du livre, comme l’explique X. Gauthier dans son avant-propos : « Ce qui s’entend dans les nombreux silences, ce qui se lit dans ce qui n’a pas été dit, ce qui s’est tramé involontairement et qui s’énonce dans les fautes de français, les erreurs de style, les maladresses d’expression. L’essentiel, ce que nous n’avons pas voulu dire mais qui s’est dit à notre insu, dans les ratés de la parole claire, limpide et facile, dans tous les lapsus » 666 .

L’idée de transcrire à l’identique l’enregistrement sonore, sans aucune intervention ou correction, a comporté le risque d’ « apparaître aux nostalgiques des ordonnances de champs de betteraves (ou de champs de bataille rangée) comme un fouillis inextricable de lianes et de lierres, un enchevêtrement de plantes grimpantes…ou souterraines » 667 . Mais, si l’on en croit R. Barthes, qui dit que « l’écriture n’est nullement un instrument de communication », mais une « voie ouverte par où passerait seulement une intention de langage » 668 , on pourrait être d’accord avec Duras lorsqu’elle choisit d’écrire autrement, pas comme les autres. Elle offre au lecteur « tout un désordre qui s’écoule à travers la parole », dirait Barthes, et lui donne « ce mouvement dévoré qui le maintient en état d’éternel sursis » 669 . L’écriture durassienne est un langage « durci qui vit sur lui-même » et qui impose par l’ombre de ses signes, l’image d’une parole construite bien avant d’être inventée 670 . Son style paraît au lecteur toujours symbolique et « introversé », pour reprendre Barthes, c’est pourquoi assez souvent elle n’est pas comprise. Duras-même le reconnaît et confie à X. Gauthier combien sa vie est dure parce que les gens comprennent mal ce qu’elle fait : « C’est dur d’être avec l’écriture. Dur aussi parce que les gens comprennent mal ce que je fais. Il y a un silence général sur moi. Ça rajoute à la solitude, forcément. » 671 Même les journaux parlent de l’impossibilité de comprendre Duras, à un moment donné, comme le fait La Gazette de Lausanne 672 , par exemple, au moment où paraît Les Parleuses :

‘ « Retour de Marguerite Duras ou retour à Marguerite Duras ? Il se passe à propos de cet écrivain quelque chose d’étrange, on la situait, peut-être un peu rapidement, du côté du nouveau roman (aujourd’hui, de savants classificateurs nous apprennent qu’il n’en est rien). On avait aimé ses livres, Moderato cantabile, Les Petits chevaux de Tarquinia et son film Hiroshima mon amour avait fait le tour du monde. Et puis, au cours des années, bien des lecteurs s’étaient découragés. On ne comprend plus ses livres, disait-on, et quant aux films, seuls les habitués attentifs de quelques salles du Quartier latin les voyaient. Disparition de Duras ? »’

Cet article est extrêmement important pour la manière dont il pose le problème de la compréhension de l’œuvre durassienne dans les années 70. Il reflète en quelque sorte l’image que Duras se crée aux yeux des lecteurs de l’époque. Ce livre que l’écrivain publie avec X. Gauthier arrive à temps pour une mise au point, mais qui ne résout pas , mais qui ne résout pas le problème de l’incompréhension des lecteurs. Le mot-clé de l’article est l’adjectif « étrange » et le mot-clé de l’intention de l’écrivain est le nom « transgression ». Tout est étrange chez cet écrivain-femme, dit, dans l’article, un journaliste-homme.

Question de femmes dans ce livre ? Oui, le féminisme semble dépasser ses limites et entrer dans la littérature par le refus du langage hérité et par le refus de l’ordre de mâle, de l’ordre « phallique ». Duras ose écrire différemment et son geste gène. Même ce livre est une forme d’attaque. Comme on le disait déjà, aucune correction, aucune intervention pour embellir la forme. Il n’y a que le message qui compte, comme le témoignent ces quelques exemples :

‘« M.D. :-L’autre jour, j’ai assisté à une conversation sur le…, c’était le…, ce qui était dit était très simple, c’est qu’une femme commence maintenant à pouvoir voyager seule dans une paix relative, dans les trains, dans les hôtels, dans les rues. […] » 673 ’ ‘« X. G. : -Donc vous ne permettez pas au spectateur de…[fin de la bande] ’ ‘X. G. :-…que vos films ne permettaient pas au spectateur d’entrer dans l’illusion de la réalité ». 674 ’ ‘« M. D. : -[…] Bon, eh bien, il faut que j’aille faire les courses. [silence] […] » 675 ’ ‘ « [interruption]  ’ ‘X. G. : …qu’Alissa a pu opérer parce qu’elle était une femme et, si ça avait été un homme, non, ça n’aurait pas été pareil ? […] » 676 ’ ‘« M. D. : Vous voulez pas un verre de vin ?’ ‘X. G. : Ah si, je veux bien. […] » 677

Ce ne sont pas des erreurs, c’est la transcription fidèle de la langue, du parler, qu’on retrouve aussi chez Mme Dodin (1954), par exemple. C’est le parlécrit durassien, tellement reconnaissable et pourtant si mal compris ! A part cet article paru dans La Gazette de Lausanne, encore deux autres ont accueilli Les Parleuses. L’un met en exergue la soi-disant « beauté » du titre (« Beau titre, non : Les Parleuses ? Marguerite Duras, converse sans contrôle avec X. Gauthier, tandis que s’enroule une bande magnétique. Elles parlent, voilà tout. Ça s’appelle Les Parleuses » 678 ). L’autre met en relief les « transgressions », domaine « réservé très gentiment aux femmes » 679 et le dernier, dont on vient de parler, qui a un regard critique un peu « dur » à cause du goût politique du livre (les sous-titres sont parlants : « Un tournant politique », « Dire les révoltes » 680 ). Rien de plus dans les dossiers de presse sur Duras qui traite de ce livre. Aucun document à l’IMEC, parmi les dossiers ouverts au public, qui parle des Parleuses ou du rapport Duras/Gauthier. On se demande pourquoi ce silence ? Est-ce que ce livre a occasionné une certaine gêne parmi les lecteurs?

Il n’est peut-être pas insignifiant le fait que l’article du Quotidien de Paris soit accompagné d’une caricature d’une femme (Duras ?) dont les mots criés qui expriment son identité se rangent en une spirale sans fin : « femme…femme…femme… femme…» 681 . Ce que met en exergue l’auteur de l’article, elle-même signataire en 1971 du document des 343 - résistante aux côtés de Sartre, de Beauvoir et de Merleau-Ponty - c’est le sujet en vogue dans les années 70 en France : le féminisme affirmé, devenu une « mode ». Les mots durassiens qui défendent ce mouvement sont trop forts : « Je suis femme, et qu’est-ce que ça signifie ? Et qu’est-ce que ça me - ça nous - fait ? » « Pourquoi maintenant, tout d’un coup ? » écrit Dominique Desanti. Mais alors quand convient-il d’en parler ? La journaliste du Quotidien de Paris fait l’historique du féminisme. Les Parleuses, qui vient de paraître, lui sert uniquement de prétexte pour introduire un article qui ignore ensuite le livre de Duras.

Pourquoi associer Les Parleuses uniquement au féminisme ? Pourquoi ne pas parler de ses auteurs ou bien du style durassien ? Comment peut-on oublier d’un coup un nom qui a milité, à travers la littérature, pour la liberté non seulement de la femme, mais aussi de la pensée, de l’expression et de l’amour ? Nous ne voulons pas dire que cet article rend une fausse image de Duras, mais plutôt qu’il est réducteur et sommaire d’autant plus qu’au début il se propose d’accueillir Les Parleuses. Car, comme l’on peut bien remarquer en lisant ce livre, il ne s’agit pas ici uniquement de l’ « utopie » de l’ « équivalence entre les races, entre nature et culture, entre les deux moitiés de l’humanité » 682 . Le féminisme, tel qu’il est envisagé par les deux protagonistes du livre, va plus loin et décrit les sentiments des femmes, leur vision sur l’amour, la vie, l’écriture. Il n’y a pas que le politique qui compte.

Par ailleurs, l’on pourrait dire que Luc Weibel, auteur de l’article de Gazette de Lausanne, tombe, lui aussi, dans le même piège de l’interprétation strictement politique du livre. Il dit que ces pages témoignent de ce qui est peut-être « le grand tournant politique » de l’année 1974 : « le passage au premier plan des luttes de femmes, dans ce qu’on pourrait appeler la seconde étape » 683 . Selon lui, la première étape, c’était la revendication de l’égalité entre homme et femme dans le monde professionnel, suivie du « refus de la duperie et de l’affirmation d’une différence » 684 . Il considère que cette différence n’a rien à voir avec la « complémentarité que naguère on prêchait aux femmes. C’est une différence plus profonde, qui ébranle ». En ce sens, Marguerite Duras reprend à son compte le thème de la « passivité de la femme », mais c’est pour en faire une « force politique », une « résistance passive », bien plus « efficace que tous les activismes ». Ce journaliste a e, quelque sorte le mérite d’essayer de lire à travers les propos des Parleuses une « étrange certitude » : c’est que, en ce qui concerne Duras, ce qu’elle y dit n’est pas le résultat d’une adaptation aux idées du moment, mais s’enracine au plus profond de son œuvre. « A relire certains de ses livres » (certes, il est un bon connaisseur des livres durassiens, puisqu’il invite à une relecture), « on s’avise d’un effet singulier de stéréoscopie. D’une lecture ancienne, nous restait la vision de personnages solitaires, de femmes désœuvrées, en proie à des amours fulgurantes mais brèves, détachées de toute insertion sociale, voisinant la démence, et dont le destin n’avait aucun sens politique » 685 . Au moment où il écrit cet article, le journaliste considère que la conjoncture (le mouvement féministe) modifie cette configuration et donne un sens précis à la force de résistance, de refus de ces femmes, et la folie dont elles s’approchent apparaît comme l’expérience fondamentale de toute vie humaine. Sans aucun doute, l’engagement de Marguerite Duras aux côtés des femmes en lutte est, comme le dit aussi Joëlle Pagès-Pindon, « un prolongement naturel d’une œuvre centrée sur une figure féminine complexe et souffrante » 686 , plongée dans la folie, qui est un masque protecteur contre les attaques de la société et des humains en général.

Par ailleurs, n’oublions pas que, chez Duras, les années 70 correspondent à une période de « vide » littéraire survenu après le « cycle de la folie » des années 60, et dont le personnage principal est le fou, homme ou femme. Dans cette catégorie on retrouve Lol V. Stein, dans Le Ravissement de Lol V. Stein (1964), le vice-consul et la mendiante dans Le Vice-consul (1965), Elisabeth Alione dans Détruire, dit-elle (1969) ou tout simplement Lui et Elle, deux anonymes, dans L’Amour (1971). Ces personnages représentatifs peuplent toute l’œuvre durassienne, même si parfois on en ressent à peine la présence. Ils sont toujours là, fantômes obsédant l’écrivain, preuve de la « destruction capitale » 687 , fruit de l’ « usure par le désir » 688 dont l’écrivain même est touchée. Le drame a pour conséquence l’impuissance d’écrire. Cela dure presque une décennie (les années 70). Pour en guérir, Duras cherche ailleurs, derrière l’ « ombre interne », dans les archives du soi, et découvre son penchant pour le cinéma. Cet art lui permet de (re)trouver l’Autre, de puiser dans les sources bienfaisantes de l’amitié, de la compagnie. De cette entreprise naissent des films, tels que Jaune le soleil (1971), Nathalie Granger (1972), India Song (1975), Baxter, Vera Baxter (1976), Le Camion (1977), Le Navire Night (1978), Césarée (1979) ou Aurélia Steiner (1979).

On se demande pourtant dans quelle mesure l’écriture durassienne aux accents féministes a pu attirer les regards de la critique. Qu’a-t-on apprécié ou détesté chez Duras? Qu’est-ce qu’elle a à dire par l’écriture et qui risque de gêner ou d’affronter directement certaines catégories de lecteurs ? En ce sens, on peut affirmer que Les Parleuses, comme d’ailleurs Détruire ou tout autre livre « révolutionnaire » de Duras, se font remarquer par le caractère « scandaleux » de quelques thèmes durassiens au regard d’ « une stricte orthodoxie féministe », comme l’appelle X. Gauthier en 1980 dans un numéro spécial du Magasine littéraire 689 dédié à M. Duras. En effet, elle y parle entre autres de la « prostitution sacrée » de certains personnages féminins. Dans L’Amour, par exemple, la mendiante attend un enfant dont elle ne connaît pas le père, car elle est « un objet du désir absolu, sommeil de nuit, vers cette heure-ci en général où qu’elle soit, ouverte à tous les vents. Elle est à qui veut d’elle, elle le porte et l’embarque, objet de l’absolu désir » 690 . A son tour, Alissa de Détruire, dit-elle, femme à deux amants - Max Thor, son mari, et Stein - est « à celui qui la veut. Elle éprouve ce que l’autre éprouve » 691 . Cette manière ouverte de Duras de parler de prostitution comme de quelque chose de normal choque. Ensuite, X. Gauthier évoque la revendication d’un silence spécifiquement féminin à l’encontre du discours de l’homme présenté comme un « imbécile théorique », puis le rapport fusionnel des femmes avec une nature sauvage (nous mentionnons le thème de la forêt dont la folle de Détruire, Elisabeth Alione, a tellement peur), sans oublier l’osmose de la femme avec un habitat qu’elle emplit de son corps comme l’enfant emplit le ventre maternel et conclut avec l’appel de Duras à une passivité conçue comme l’arme du refus, de la révolte.

En outre, Luc Weibel fait encore remarquer qu’il y a dans Les Parleuses, sur un mode allusif, des réflexions qui touchent de façon très forte le problème théorique de la différence des sexes. Quand Marguerite Duras dit : « L’inertie, les refus, le refus passif, le refus de répondre en somme, est une force colossale, c’est la force de l’enfant par exemple, c’est la force de la femme. », elle est très proche de dire que la sexualité ne tourne pas autour du phallus : ce n’est pas la femme qui est un homme « manqué » (Freud), mais le contraire. Peu importe, à son avis, l’énoncé de vérités fondées en science ou en raison. La vérité sur l’identité - sur la forme du désir - n’advient pas dans le savoir, mais dans la parole. Et là encore, écrit-il, on rejoint l’une des « veines essentielles » de Marguerite Duras : ce que disent ses personnages ne reproduit pas une pensée, mais marque l’émergence de ce qu’ils ignoraient encore. On cite ici Anne, dans Moderato cantabile, et toutes ses questions qu’elle pose à son interlocuteur, non pour qu’il y réponde, mais pour simplement se dire.

Loin d’être un thuriféraire hypocrite, Luc Weibel semble s’avérer, au contraire, un admirateur de Duras et ose aller plus loin dans son commentaire tout en annonçant au lecteur l’arrivée d’un « nouvel usage de la littérature qui est en train de se définir » 692 . En effet, explique-t-il, il y avait le vieil usage réaliste, qui recherchait dans les livres la description du monde visible et, nous pourrions y ajouter, auquel l’écrivain a fait appel pour ses premiers livres, qui privilégient les descriptions de la nature, des lieux etc. Il y a eu l’usage ésotérique, continue le journaliste, qui ne voyait plus que le déploiement de l’écriture. Là l’on peut dire que le journaliste se « trompe » en quelque sorte sur l’emploi du temps verbal. En effet, il aurait dû utiliser le présent, car Duras reste une ésotérique au sens où son œuvre est réservée aux initiés et aux passionnés. On ne peut pas toujours comprendre Duras. Les premiers mots de l’article écrit par Luc Weibel le confirment : « … quelque chose d’étrange. On ne comprend plus ses livres…Disparition de Duras ? » En effet, ce nouvel usage de la littérature qui est en train de se définir, et que Duras encourage par son écriture, « ne s’adresse plus à la littérature en tant que telle », explique le journaliste, mais sert à « dire les identités, les révoltes jusque-là silencieuses » 693 .

La crise de l’écriture que Duras traverse durant cette décennie (elle consacre la plupart de son temps au cinéma), prépare son esprit pour la confrontation finale avec soi-même des années 80 et 90 quand l’écrivain réussit à extérioriser sa souffrance par l’écriture et à dire l’invivable (l’amour) par l’indicible (certains tabous de la société, tels l’inceste, la homosexualité). La révolte silencieuse devient publique. En ce sens, il suffit de jeter un coup d’œil dans l’œuvre durassienne des années 80-90 et d’y lire telle qu’elle nous est donnée, la littérature (Duras fait la littérature, comme elle le dit dans C’est tout) issue d’une souffrance tue, provoquée par le manque d’amour. Les thèmes les plus fréquents, toujours scandaleux, sont l’absence, l’homosexuel, l’amour-passion invivable, l’inceste etc., tels qu’ils sont reconnaissables dans L’Homme atlantique, La Maladie de la mort, Les yeux bleus cheveux noirs, L’été 80, L’Amant. Les Parleuses ne fait que préparer le terrain pour cette offensive.

Encore plus profond dans l’approche de ce livre se montre l’article écrit par Armando Fernandez Llamas, paru dans Le Combat 694 . En effet, le journaliste, encore un homme, « transgresseur transgressé par Duras et Gauthier », comme il aime s’auto-intituler, invite le lecteur à découvrir lui-même, par la lecture, ce livre de la transgression. « De quoi s’agit-il ? », se demande l’auteur. « Pour le savoir, il suffit de respirer ensemble et de s’offrir aux forces de révolte qui nous criblent, venant de l’extérieur et de l’intérieur. Le silence et l’écoute muette nous rendront plus attentifs. Quelque chose est en train de naître devant nous » 695 , essaie-t-il d’augmenter le mystère. Vers quoi veut-il en fait diriger l’attention dans son article ?

Il est captivé tout d’abord par les silences que la typographie a heureusement gardés. Ils explosent. Ils éclatent de toute leur force. Ils « sont la matière même de ce livre dont on a du mal à parler » 696 . D’où vient cette difficulté à en parler ? De la peur de ne pas les trahir, explique l’auteur. Et pourtant, la découverte du message de ce livre lui donne la force de vaincre cette peur et d’en parler. Le journaliste dit que Gauthier et Duras ont créé le langage féminin dans la littérature. Non, le mot n’est pas « adéquat », revient-il. « Redécouvert, plutôt. Retrouvé. » 697 Dans quel sens ?

Ce n’est pas le contenu du texte qui est important dans Les Parleuses, mais l’apparition du Féminin en liberté, précise le journaliste, fier et satisfait de sa découverte. Elles ont toujours écrit et parlé, « mais voilà, elles avaient une langue différente ». Maintenant, elles se sentent libres et le mot qui revient toujours dans leur conversation est celui qui constitue le thème central du livre, « Transgressions ». L’auteur tient à argumenter son affirmation. Quand Marguerite Duras omet, laisse des blancs, là où les autres (les hommes) auraient rempli, « bouché ou décoré », elle transgresse les règles de la littérature « masculine » : « Elle transcrit un univers qui dérange et qu’on ne reconnaît pas, parce qu’elle transgresse la sphère des sentiments " masculins ", tout en apportant une autre vision du Vécu qui est une autre transgression parce que ce n’est pas le Vécu " masculin ". » 698 Si cette explication ne suffit pas, il n’y a qu’à poursuivre le raisonnement d’Armando Fernandez Llamas qui s’érige en défenseur des femmes en train de re-découvrir leur langage, comme si elles en avaient besoin, puisque le début de leur entreprise comporte des « tâtonnements ». On retrouve ainsi la plus sérieuse, et, pourquoi pas, la plus belle plaidoirie en faveur d’un livre durassien qu’un journal ait jamais publiée :

‘ « La lumière des débuts des tâtonneuses est aveuglante, et il sera inutile que les autres (tatillons contre tâtonneuses) se bornent à critiquer menus détails de forme pour ainsi ignorer le reste, ou à ignorer le livre entier. Sa force et son importance sont en lui-même : dans son existence qui ne demande ni excuses ni permissions, comme les mots d’alerte que l’on se passe de bouche à l’oreille. Dans son absence de peur de ne pas être parfait. C’est pour cela que le livre devient invulnérable : il n’en est pas un. Il montre ses armes, il déploie son jeu, il ne se déguise pas pour plaire ou pour déplaire : C’est la  " révolution du silence " dont parlent les parleuses » 699 . ’

De quelles armes s’agit-il ? Certes, des armes exposées par X. Gauthier dans l’introduction du livre et dont nous avons déjà parlé : les blancs, les non-dits, les erreurs grammaticales, la force et le courage de Duras de parler ouvertement, sans déguisement, au risque de déplaire et d’être considérée comme impudique… « La révolution du silence » est à comprendre comme l’inverse de se taire. Puisqu’il arrive que lire Duras fasse peur, comme le témoigne X. Gauthier dans sa conversation avec l’écrivain, il faut parler pour sortir de l’ « état dangereux » 700 où l’on plonge pendant la lecture : « Je sais que quand je lis vos livres, ça me met dans un état très… très fort et je suis très mal à l’aise et c’est très difficile de parler ou de faire quelque chose, après les avoir lus. Je ne sais pas si c’est une peur, mais c’est vraiment un état dans lequel il est dangereux d’entrer, pour moi » 701 . Nommer l’innommable c’est faire résonner le mot-trou, comme l’écrit Duras dans Le Ravissement de Lol V. Stein, et ouvrir ainsi le tombeau où tous les autres mots auraient été enterrés :

‘« Lol ne va pas loin dans l’inconnu […], dans la définition unique mais innommable faute d’un mot. […] Si Lol est silencieuse dans la vie, c’est qu’elle a cru, l’espace d’un éclair, que ce mot pouvait exister. Faute de son existence, elle se tait. C’aurait été un mot absence, un mot-trou, creusé en son centre d’un trou, de ce trou où les autres mots auraient été enterrés. On n’aurait pas pu le dire, mais on aurait pu le faire résonner. […] Manquant, ce mot, il gâche tous les autres, les contaminent, c’est aussi le chien mort de la plage en plein midi, ce trou de chair. » 702

Les Parleuses, livre de la parole où Duras se manifeste librement en interviewée et intervieweuse à la fois, est passé presque inaperçu au moment de sa parution et, malheureusement, à présent continue de l’être. Trois articles de journaux l’ont accueilli à l’époque et aujourd’hui il est presque oublié. Ça et là, on en parle au passage. Et pourtant c’est un livre fait pour le plaisir de la conversation, une autre scène où Duras se produit, parle d’elle et de son écriture. Duras retrouvée ? Ou à retrouver…? Ecoutons-la maintenant en train d’interviewer pour les journaux ! Quels sont les interlocuteurs qu’elle choisit et sur quels sujets Duras discute-t-elle avec eux ?

Notes
647.

« Avant-propos » par X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 9

648.

Marguerite Duras, X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974

649.

X. Gauthier, op. cit.,Préface

650.

Jean-Louis Ezine, op. cit.

651.

X. Gauthier, op. cit., Préface

652.

« Lettre à Marguerite Duras » par Xavière Gauthier, publiée in Lunes, n° 6, 1999, reprise dans Marguerite Duras, Cahiers de L’Herne, éd. de l’Herne, 2005, pp. 81-82

653.

Laure Adler, Marguerite Duras, Gallimard, 1998

654.

X. Gauthier, op. cit., p. 10

655.

« Lettre à Marguerite Duras » par Xavière Gauthier, publiée in Lunes, n° 6, 1999, reprise dans Marguerite Duras, Cahiers de L’Herne, éd. de l’Herne, 2005, pp. 81-82

656.

Ibid.

657.

« Avant-propos » par X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 10

658.

Nous précisons que Duras sait combiner à merveille son talent d’écrivain avec celui de cuisinière. Il suffit de lire l’article « La soupe aux poireaux » écrit pour Sorcières en 1964 et repris dans Outside (Marguerite Duras, Outside, Gallimard, 1996). Si elle commence l’article par des détails précis sur la manière dont il faut préparer une soupe aux poireaux, l’écriture simple, didactique presque, glisse vers la littérature et fait réfléchir le lecteur :

« On croit savoir la faire, elle paraît si simple, et trop souvent on la néglige. […] Dans les restaurants cette soupe n’est jamais bonne : elle est toujours trop cuite (recuite), trop "longue", elle est triste, morne, et elle rejoint le fonds commun des soupes de légumes. […] Elle a dû être inventée dans une contrée occidentale un soir d’hiver, par une femme encore jeune de la bourgeoisie locale qui, ce soir-là, tenait les sauces grasses en horreur- et plus encore sans doute – mais le savait-elle ? Le corps avale cette soupe avec bonheur. Aucune ambiguïté : ce n’est pas la garbure au lard, la soupe pour nourrir et réchauffer, non, c’est la soupe maigre pour rafraîchir, le corps l’avale à grandes lampées, s’en nettoie, s’en dépure, verdure première […] » (Marguerite Duras, Outside, Gallimard, 1996, p. 346)

Duras anticipe en quelque sorte par ce plaisir d’avaler la soupe le bonheur que procure au lecteur la lecture de cet article. Le mot « ambiguïté », si cher à Duras, encourage à lire à travers lui « dévoration » de l’œuvre, de l’être, du « corps mort du monde », de l’écrivain même qui se sacrifie chaque fois qu’elle remplit une page. Ou peut-être que « suicide », mot qui clôt l’article, réussit à mieux exprimer ce désir de se faire avaler, voire dévorer par le lecteur : « Dans les maisons son odeur se répand très vite, très fort, vulgaire comme le manger pauvre, le travail des femmes, le coucher des bêtes, le vomi des nouveau-nés. On peut ne vouloir rien faire et puis, faire ça, oui, cette soupe-là : entre ces deux vouloirs, une marge très étroite, toujours la même : suicide ». (Marguerite Duras, Outside, Gallimard, 1996, p. 346)

L’odeur qui se répand très intense dans toute la maison et qui est celle de la mort survenue par le suicide, voire l’écriture, ne renvoie-t-elle à l’odeur de la mort qu’on retrouve dans la maison de Mlle Barbet ? Et le plaisir d’avaler la soupe ne renvoie-t-il au plaisir que le boa ressent en dévorant le poulet ? De la même manière, en écrivant sur l’avalement de la soupe, l’écrivain se voit dévorer par ses lecteurs et c’est dans ce sens que le suicide devient un bonheur. L’ingestion du texte écrit par le regard du lecteur rafraîchit le corps de ce dernier et produit, comme X. Gauthier l’a ressenti sur son propre corps, un effet innommable.

On peut donc remarquer le véritable talent durassien, le génie même, qu’elle a à mêler la vie courante à l’écriture et à créer des effets surprenants. Nombreux sont ceux qui en ont parlé, intimes ou biographes. Tel Jean-Marc Turine, qui fait la liste du « bon plaisir de Marguerite Duras » et y intègre la cuisine, la lecture, les voyages, l’écriture, la télévision : « Lire, voyager, cuisiner, rire, écrire, regarder la télévision - le bon plaisir de M. Duras » ( Cf. Marguerite Duras ou le ravissement de la parole, entretiens radiophoniques choisis et réunis par Jean-Marc Turine, coffret de 4 CD d’archives sonores de la BPI, Centre Pompidou). De son côté, Laure Adler la décrit dans son milieu, rue Saint-Benoît, où elle recevait plusieurs fois par semaine non seulement en tant qu’  « intellectuelle dont le métier et la passion étaient d’écrire, mais aussi comme une charmante hôtesse. Les hommes venaient chez elle souvent seuls et papillonnaient autour d’elle. Marguerite entretenait savamment cette passion-admiration. […] Certes, elle a le sens de la convivialité, elle fait magnifiquement la cuisine […] ; elle sait faire les bouchées charcutières à merveille et le riz vietnamien, épicé et gluant à souhait. Elle est gaie aussi, d’une gaîté et d’une facétie qui ne se démentent jamais, drôle, vive […]». (Laure Adler, op. cit., pp. 457 et 459)

« De la ménagère qui renouvelle son stock de produits d’entretien et des denrées alimentaires à la femme soucieuse de séduction, à l’artiste, aucune frontière ne se dessine : "finir confiture" et "finir manuscrit" sont dans une parfaite symétrie ». Duras fait toujours attention à ne jamais « oublier sur le feu » la « soupe aux poireaux » pour qu’elle ne perde pas « son identité », son goût qui fait le plaisir de celui qui la consomme. (Cf. Mireille Naturel, op. cit.) Cette volonté de lui conserver le goût unique, le goût à la Duras, est absolument nécessaire, dit-elle, car « on doit vouloir la faire et la faire avec soin ». L’écrivain fait preuve de cette forte volonté lorsqu’il s’agit de la cuisine, mais elle veut surtout être unique par ses livres. Même si tout le monde sait faire des livres (Duras considère que nous sommes tous des écrivains, que tout le monde peut écrire, la seule différence est que tout le monde ne publie pas), comme d’ailleurs tout le monde sait préparer des soupes aux poireaux, les siens sont différents, uniques, des « chefs-d’œuvre », comme l’écrit Duras dans l’article « Une œuvre éclatante : L’Opoponax, de Monique Wittig ». (Marguerite Duras, Outside, Gallimard, 1996, p. 344) En effet, elle dit que « nous avons tous écrit ce livre [sur l’enfance], vous aussi bien que moi », mais « c’est une fois le livre fermé que s’opère la séparation. Mon Opoponax, le mien, est un chef-d’œuvre ». (Marguerite Duras, Outside, Gallimard, 1996, p. 345) Dans Les Parleuses, Duras insiste sur l’unicité de son style tout en étant sûre qu’elle est connue de tous, qu’elle se distingue parmi les autres écrivains et que personne ne la confond. Lorsque X. Gauthier lui parle du fait qu’à l’époque (les années 70) les éditeurs ne mettaient plus que « Duras » sur ses livres, ce qui pouvait être une source de confusion avec un homme-écrivain pour les ignorants, elle lui montre sa quiétude en lui disant : « Non, ils savent qui je suis ». (Marguerite Duras, X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 18)

659.

Marguerite Duras, X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 11

660.

M. Duras, L’Amour, Gallimard, 1971, p. 10

661.

Marguerite Duras, X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 12

662.

Ibid.

663.

Ibid., p. 13

664.

Ibid., p. 14

665.

Ibid., p. 18

666.

« Avant-propos » par X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 8

667.

Ibid.

668.

R. Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Seuil, 2001, p. 21

669.

Ibid.

670.

Ibid.

671.

Marguerite Duras, X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 60

672.

« Le nouveau féminisme : les femmes ne revendiquent plus l’égalité, elles affirment leur différence », par Luc Weibel, in La Gazette de Lausanne, 27-28 juillet 1974

673.

Marguerite Duras, X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 32

674.

Ibid., p. 93

675.

Ibid., p. 79

676.

Ibid., p. 22

677.

Ibid., p. 48

678.

« Que disent les parleuses ? » par Dominique Desanti, in Le Quotidien de Paris, 13 mai 1979

679.

« Les Parleuses » par Armando Fernandez LLamas, in Le Combat du 13 juin 1974

680.

« Le nouveau féminisme : les femmes ne revendiquent plus l’égalité, elles affirment leur différence », par Luc Weibel, in Gazette de Lausanne, 27-28 juillet 1974

681.

« Que disent les parleuses ? » par Dominique Desanti, in Le Quotidien de Paris, 13 mai 1979

682.

Ibid.

683.

« Le nouveau féminisme : les femmes ne revendiquent plus l’égalité, elles affirment leur différence », par Luc Weibel, in Gazette de Lausanne, 27-28 juillet 1974

684.

Ibid.

685.

« Le nouveau féminisme : les femmes ne revendiquent plus l’égalité, elles affirment leur différence », op. cit.

686.

Joëlle Pagès-Pindon, Marguerite Duras, Paris, Ellipses, 2001, p. 72

687.

Marguerite Duras, Détruire, dit-elle, Minuit, 1969, p. 71

688.

Ibid., p. 131

689.

Magasine littéraire n° 158 (mars 1980), article de X. Gauthier, « Marguerite Duras et la lutte des femmes », pp. 16-19

690.

Marguerite Duras, L’Amour, Gallimard, 1971, p. 50

691.

Marguerite Duras, Détruire, dit-elle, Minuit, 1969, p. 131

692.

« Le nouveau féminisme : les femmes ne revendiquent plus l’égalité, elles affirment leur différence », par Luc Weibel, in Gazette de Lausanne, 27-28 juillet 1974

693.

Ibid.

694.

« Les Parleuses de Marguerite Duras et X. Gauthier » par Armando Fernandez Llamas, in Combat du 13 juin 1974

695.

Ibid.

696.

Ibid.

697.

Ibid.

698.

Ibid.

699.

Ibid.

700.

M. Duras et X. Gauthier, Les Parleuses, Minuit, 1974, p. 15

701.

Ibid.

702.

Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, in Duras. Romans, cinéma, théâtre, un parcours 1943-1993, Gallimard, Quarto, 2002, p. 762