Outside et L’Eté 80 : pathétique et sublime

Avec l’écriture d’information, dans sa forme purement subjective, qui est l’invention de Marguerite Duras, l’image de l’écrivain se construit et se déforme, se complète et se déconstruit à chaque fois que la réception lance une attaque, exprime une ironie ou bien tout simplement un mot élogieux. Entre 1957, quand Duras découvre avec enthousiasme le journalisme, et 1996, elle investit beaucoup le monde des médias (presse écrite, radio, télévision). Ses interventions télévisées ou radiodiffusées sont complétées par les articles de presse qui sont à égale mesure des stratégies durassiennes d’ exhibition de soi. La « visibilité médiatique » 806 de l’écrivain prend son essor en 1964 et se consolide jusqu’en 1984, quand, comme le note Noëlle Nel dans son article sur l’identité médiatique de Duras, la cohérence de la première construction identitaire de l’écrivain tend à disparaître en faveur d’une nouvelle identité, celle de la « femme aux mille scandales » 807 , fruit de la médiatisation écrite. Autrement dit, Duras passe de la parole et de l’écriture ancrées dans les « archives de soi » ou l’ « ombre interne », aux propos dénonciateurs, accusateurs et polémiques qui concernent le monde extérieur. Admirateurs et durassophobes se montrent intéressés par les propos choquants, pathétiques, moralisateurs que Duras présente dans ses articles de presse. Les deux livres de textes, Outside et L’Eté 80, comprenant des articles écrits pour les journaux par Marguerite Duras, se situent à la frontière du sublime et du pathétique. Duras ne fait pas de politique, comme on est tenté de croire en lisant par exemple le premier article de Outside, « Les fleurs de l’Algérien » ou bien ses propos sur Gdansk dans L’Eté 80. Elle s’élève contre l’injustice sociale, thème originel chez Duras, qui trouve ses racines dans son enfance coloniale. Les obsessions de cette injustice ne la quitteront jamais et si elle veut l’Algérie libre, c’est parce que le souvenir d’une souffrance inguérissable la hante en permanence. D’une part, Duras oriente plutôt son écriture vers des valeurs sociales positives ou vers un intérêt moral commun. Cela peut être un des sens du « sublime », tel que l’écrivain l’envisage dans ses textes. D’autre part, on a affaire à une écriture émouvante, qui touche profondément et qui suscite une vive émotion par son caractère douloureux ou dramatique, voire par la recherche d’effets de style surprenants, tel le passage direct de l’écriture d’information au conte dans L’Eté 80. Où veut aller Duras par ses articles de presse ? Partout et nulle part dans ce monde qui n’arrête pas d’aller à sa perte. Que veut-elle que son écriture devienne ? Une incessante source de plaisir pour ses fidèles et de scandale pour ses détracteurs.

Notes
806.

« L’identité télévisuelle de Marguerite Duras » par Noëlle Nel, in Lire Duras, présenté par Claude Burgelin et Pierre Gaulmyn, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, Collection « LIRE » dirigée par Serge Gaubert, p. 601

807.

Ibid., p. 602