De l’enfance indochinoise, des paysages et du milieu qui avait environné toute sa jeunesse, du drame financier qui s’y était déroulé, rien au premier abord ne subsiste ni ne transparaît dans les deux premiers récits de Marguerite Duras, Les Impudents et La Vie Tranquille. Tous deux ont un cadre résolument français, provincial même, et nous renvoient à cette province profonde dont la peinture, géographique et humaine a apporté une si riche matière à tant d’écrivains depuis le début du XXème siècle.
Jean Pierrot, qui a consacré des études critiques aux premières œuvres de Marguerite Duras, est parmi les seuls 1085 à analyser Les Impudents et de La Vie Tranquille 1086 . Il trouve des ressemblances entre Duras et Mauriac, bien qu’on ne sache pas si ce dernier se trouvait parmi les préférés de l’auteur. Pierrot est quand même tenté de songer, comme d’autres critiques aussi 1087 , à une influence plus proche de Mauriac, que de l’écriture américaine. Entre eux on peut d’abord relever une certaine proximité géographique, puisque ce Lot-et-Garonne où Duras a situé l’action de son premier roman, ainsi que du suivant, n’est pas très éloigné du Bordelais et des Landes tellement chers au grand romancier depuis longtemps consacré. 1088 Typiquement mauriacienne est aussi cette peinture d’un milieu provincial où se trouvent en contact, sans se confondre, bourgeois et paysan ; où se développe la chronique secrète des familles ; où les intérêts de l’argent et ceux du cœur sont indélébilement confrontés et associés.
Certains détails des Impudents relèvent d’ailleurs probablement des réminiscences plus directes. Comme Mauriac, montre Jean Pierrot, Marguerite Duras se plaît à évoquer, et avec un égal souci de poésie, les moments d’attente et d’immobilité d’un être recueilli au milieu d’une campagne gorgée de chaleur et d’été. Comme dans Génitrix, qui évoquait déjà la personnalité envahissante d’une mère abusive, retentit dans la distance nocturne le bruit d’un train, qui vient parler à l’héroïne de choses lointaines et d’évasion. 1089
Jean Pierrot voit dans l’écriture des tout premiers Duras une tentation lyrique que nous ne retrouverons plus aussi souvent dans l’œuvre ultérieure. Le charme de cette écriture est donné par l’ampleur des phrases et la délicatesse des impressions, liées sans aucun doute à des souvenirs personnels. Tout se passe comme si Marguerite Duras avait délibérément cherché à réprimer des dons d’écrivain impressionniste, un type d’écriture romanesque et lyrique hérité sans doute du XIXème siècle, des grands orgues de Flaubert, mais dont précisément elle refuse très vite le classicisme au profit de recherches nouvelles.
Claude Burgelin consacre des articles critiques aux tout premiers Duras, dont un paraît dans Lire Duras (« Le père : une aussi longue absence »), textes rassemblés par C. Burgelin et P. de Gaulmyn, P. U. de Lyon, 2000et l’autre dans Europe (« Duras avant Duras »), n° 921-922, janvier-février 2006, n° spécial Duras
Michèle Tison–Braun aussi s’intéresse aux œuvres de début de Marguerite Duras et leur dédie un livre, Marguerite Duras, Collection Monographique Rodopi en Littérature Française Contemporaine, éd. Rodopi, Amsterdam, 1985
Cf. Henri Hell, Moderato Cantabile, Ed.10 /18, p. 120, Cismaru, p.20
Cf. Jean Pierrot, Marguerite Duras, Ed. Corti, 1986, p.29
Ibid, p.30.