On entrevoit dans les années 50-60 une tendance générale de la critique à inclure et à exclure les écrivains de la catégorie du Nouveau Roman à laquelle Duras a été mainte fois rattachée. Le débat autour du Nouveau Roman fait place pendant ces années à de belles polémiques entre les critiques. Claude Mauriac, lui-même entre certitude et hésitation, est le seul, semble-t-il, à défendre publiquement la place que Duras mérite dans le paysage romanesque de l’époque, c’est-à-dire hors de la « légende du Nouveau Roman » 1233 , mais « dans l’équipe des pionniers qui tentent d’ouvrir au roman ses voies nouvelles » 1234 et qui en essence se résume à ce que Eugène Ionesco écrivait en 1962 à propos des changements littéraires de l’époque :
‘« Chaque mouvement, chaque génération nouvelle d’artistes apporte un nouveau style, ou essaie de l’apporter parce qu’elle constate, lucidement ou obscurément, qu’une certaine façon de dire les choses est épuisée, et qu’une nouvelle façon de les dire doit être trouvée, ou que l’ancien langage usé, l’ancienne forme doit éclater parce qu’elle est devenue incapable de contenir les nouvelles choses qui sont à dire. » 1235 ’Il faut bien que la nouvelle littérature soit méritée par son public, considère Mauriac, et ce qui l’y qualifie ce serait sa disponibilité à une lecture des livres de bout à bout, sans paresse et sans obéir à ses propres goûts. Il considère qu’il favorise Duras par son geste de la rattacher à cette nouvelle équipe, puisqu’il y en a qui « ne méritent pas l’honneur d’être nommés en même temps que Nathalie Sarraute et Alain Robbe-Grillet » 1236 . Claude Roy rapproche à son tour Duras, à l’occasion de la parution de Moderato, « aux phénoménologues » du roman « nouveau » « acharnés à porter sur le monde et dans les êtres un regard objectif et froid comme le verre d’un objectif ». 1237 Par ailleurs, Claude Mauriac signale une habitude chez les lecteurs de l’époque de discuter à côté des pièces ou des romans, « non pas sur ce qu’ils sont, mais sur ce que l’on a décidé, sans même y aller voir d’un peu près, qu’ils doivent être » 1238 .
Claude Mauriac, “Marguerite Duras et la nouvelle école du roman français”, Le Figaro, 21/2/62
Le Figaro, 12/03/58
Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, cité par Claude Mauriac, Le Figaro, 21/2/62
Le Figaro, 12/03/58
Claude Roy, « Madame Bovary récrite par Bela Bartok », Libération, 1/3/58
Claude Mauriac, « Marguerite Duras et la nouvelle école du roman français », Le Figaro, 21/2/62