Orgueil et simplicité : Ecrire

Duras est-elle vraiment un auteur difficile ? Pourquoi dit-on qu’elle n’est jamais là où on s’attend la retrouver ? Ou peut-être que l’étiquette d’écrivain difficile, qu’elle se voit poser par la critique, détermine le lecteur à s’attendre de Duras à des pages indéchiffrables. En réalité, c’est la simplicité de son langage qui met en difficulté la réception, surtout pendant ces dernières années de ce « Buddha vivant », pleine d’ « orgueil, de solitude hautaine et de certitudes absurdes » 1616 , comme la décrit Le Quotidien de Paris, à l’occasion de la parution d’Ecrire. Telle est perçue l’image de Duras deux ans avant son passage dans l’éternité. On a toujours reconnu chez Duras le génie des titres. En 1993, on en reconnaît la simplicité. Ecrire a ce mérite. D’ailleurs, pendant cette période de sa vie, on dit de Duras qu’elle « sait que les choses importantes sont simples et tiennent en peu de mots » 1617 . Mais on lui reproche cette fois le bavardage et les banalités qu’elle met dans ce livre « idiot, sans intérêt » 1618 .

‘« Il n’y a pas beaucoup de mots, il y a des ça partout. […] Il pleut de banalités : La mort de n’importe qui c’est la mort entière. […] Frôle-t-on le génie ? Doutons-en. Pour le moins c’est sincère. Duras ne cache pas le mépris pour les autres. C’est une attitude convenable chez un écrivain depuis longtemps ivre d’elle-même.» 1619

« Sous la banalité, c’est en fait Marguerite Duras en majesté » 1620 , peut-on lire dans un article de La Tribune de la vente.Duras va vers la caricature et « le bla-bla-bla » 1621 , écrit Jean-Claude Lamydu Figaro, alors que André Rollin du Canard enchaîné invite le lecteur à visiter le « durassic parc » pour voir les « durasottises » de cet écrivain, c’est-à-dire les dinosaures ou les mots de M. D., « venus du fin fond de son âge » 1622 . On dit que Duras théâtralise la solitude de l’écriture, elle, « le nombril du monde, extraordinaire et déraisonnable, coupable et innocente », « extravagante » au sens où elle « extravague », c’est-à-dire elle est au-dessus de toute convenance, de toute vague de la mode ou des coutumes sociales 1623 . Tout bat très vite chez Duras, ses phrases comme ses idées. Ses souvenirs comme ses images. Et, subitement un cri :

‘« Etre seule, avec ce livre non encore écrit, c’est être encore dans le premier sommeil de l’humanité. C’est être seule dans un abri pendant la guerre. Mais sans prière, sans Dieu, sans pensée aucune sauf ce désir fou de tuer la Nation allemande jusqu’au dernier nazi. » 1624

Ses propos évoquant son désir de tuer les Allemands ont été d’ailleurs fortement critiqués : « Dire que l’on est anti-allemande, pour exprimer sa haine du nazisme, n’est-ce pas excessivement maladroit ? » 1625 , se demande Olympia Alberti. Cette phrase : « Je suis la banalité : le triomphe de la banalité », la description de la mort de la mouche, ainsi que l’histoire de la mort du jeune aviateur anglais n’ont cessé de provoquer la plupart de la critique à la ridiculiser, car rares sont ceux qui ont trouvé dans ce livre quelque chose à apprécier. Parmi eux, Geneviève Brisac du Monde, qui y voit un « très beau livre libre» 1626 , et qui ressent l’envie d’en remercier Duras, « qui n’aime pas les livres sans risque ». Ecrire est issue de « cette pureté et cette impureté, qui sont le lot de tous les grands. »

Des publications comme Le Monde, L’Humanité et Libération 1627 rendent hommage à Duras pour ce livre d’une « simplicité très touchante » 1628 , qu’on pourrait d’ailleurs considérer le dernier écrit par l’auteur du Goncourt 1984 1629 . Ce qui est intéressant à remarquer, c’est l’intérêt que manifestent pour ce livre des publications moins concernées par le domaine littéraire, mais qui n’y ont rien apprécié. On peut citer ici Le Nouvel Economiste 1630 qui se contente de reproduire une page d’Ecrire, sans aucun commentaire critique, juste une question au début, qui laisse entrevoir un certain ennui du journaliste à l’égard de la création de cet écrivain, comme s’il en avait marre : « C’est un livre. C’est un dernier livre. C’est son livre, c’est le dernier ? » Citons aussi La Tribune de la vente, qui dit sa déception ressentie au sujet de cet ouvrage durassien. Bien plus, cette publication dit qu’on ne peut pas être indulgent face à cette « infatigable dérive » à laquelle Duras expose le lecteur, d’autant plus que « Duras au temps où elle ne se prenait pas pour Duras nous a offert de très beaux livres » 1631 .

Notes
1616.

« Duras bavarde » par B.S.V., Le Quotidien de Paris, 29 septembre 1993

1617.

Ibid.

1618.

J. D. Wolfromm, dans l’émission “Le masque et la plume” de J. Garcin, France Inter du 10 oct. 1993

1619.

Le Quotidien de Paris, 29 septembre 1993

1620.

La Tribune de la vente, novembre 1993

1621.

« Une sauvagerie à la Piaf » par Jean-Claude Lamy, Le Figaro, 24 septembre 1993

1622.

« Durassic parc » par André Rollin, Le Canard enchaîné, 6 octobre 1993

1623.

« Marguerite Duras extravagante forcément » par Nicolas Bréhal, Mercure de France, n° 784, décembre 1993

1624.

Marguerite Duras, Ecrire, Gallimard, 1993, p. 76

1625.

« Durassik park » par Olympia Alberti, source inconnue, archives Duras chez Gallimard

1626.

« L’écriture du doute » par Geneviève Brisac, Le Monde, 17 septembre 1993

1627.

« Duras, elle seule » par Claire Devarrieux, Libération, 16 septembre 1993

1628.

Josiane Savigneau (journaliste au Monde), dans l’émission “Le masque et la plume” de J. Garcin, France Inter du 10 oct. 1993

1629.

Ce livre est, certes, suivi par C’est tout, (P.O.L., 1995), mais il est écrit par Yann Andréa qui recueille les propos de Duras.

1630.

“Ecrire, dit-elle” par Marc Berthon, Le Nouvel Economiste, 8 oct. 1993

1631.

La Tribune de la vente, novembre 1993