Mise à part la réception de Duras par Duras ou par la presse, d’autres gestes critiques témoignent de l’intérêt que l’écrivain suscite chez d’autres catégories de lecteurs. Dans les pages qui suivent, nous nous proposons d’analyser la perception de l’image de Duras par ses lecteurs éreinteurs, ensuite par ses biographes et enfin par les grands admirateurs de l’écrivain. Cette dernière partie de notre recherche est en fait une analyse des effets de lecture que l’œuvre de Marguerite Duras produit au fil du temps chez ses lecteurs. On peut remarquer ainsi la variété et la richesse des formes d’expression du dégoût, voire de l’éreintement, et d’admiration et d’hommage, que cette œuvre tellement controversée suscite en ceux qui approchent Duras.
« - Et après la mort, qu’est-ce qui reste ? - Rien. Que les vivants qui se sourient, qui se souviennent. » 1650 C’est ainsi que Marguerite Duras anticipe, pour ne pas dire prophétise, en s’inspirant certainement de l’expérience vécue, un segment de l’attitude posthume de la réception à son égard. Le sourire de ses lecteurs s’est d’ailleurs transformé tantôt en rire sain, tantôt en rire méchant, dès le vivant de l’écrivain. A l’origine de cette manifestation se trouve la singularité indéniable du style durassien. Ceci a rendu possible, par exemple, l’écriture imitative à partir de son œuvre, dont les deux parodies de Patrick Rambaud, Virginie Q. 1651 et Mururoa mon amour 1652 , ou bien a donné envie aux journalistes d’associer des caricatures aux articles de presse sur Duras, au lieu de poster une photographie de l’écrivain. D’autres formes d’éreintement peuvent être citées ici, qui sont autant de formes de réception de l’écrivain par la critique, telle la supercherie éditoriale dont parle Le Figaro du 14 septembre 1992 1653 , lorsque Duras est refusée par ses propres éditeurs, ou bien le dossier de Maurice Lemaître, que nous avons trouvé à l’IMEC, et qui est un essai d’anéantir l’image de Duras par la dénonciation des « escroqueries » que l’écrivain aurait faites dans le domaine du théâtre et du cinéma 1654 .
Vu ces formes particulières de réception, on s’interroge sur l’origine de ces jugements critiques. Duras en est-elle consciente ? Les a-t-elle voulues ? Quelle est l’image idéale d’un écrivain pastiché ou parodié ? Autrement dit, quelles sont les conditions qu’un écrivain doit remplir pour être pastiché, caricaturé, dénoncé etc. ? Suffit-il d’en exploiter les défauts ? Quel est le rôle de la caricature et quelles formes revêt-elle dans le cas précis de Duras ? Quelle est la valeur d’un livre durassien signé par le nom sans poids d’un inconnu ? Peut-on lire derrière ces gestes critiques de nouveaux portraits des lecteurs durassiens ? Et enfin, comment l’image de Duras se construit-elle ou se déconstruit à travers ce type de lectures plus ou moins judicieuses ? Parallèlement, on s’interroge sur l’apport de l’approche biographique ou psychanalytique de l’œuvre de Duras pour une meilleure compréhension de cet écrivain tellement controversé. Dans notre analyse, une place importante est accordée aux témoignages des auteurs de ces gestes critiques particuliers, qui expliquent le plus souvent dans des interviews ou dans la presse le mobile de leurs entreprises critiques.
Marguerite Duras, C’est tout, P.O.L., 1995, p. 10
Marguerite Duraille, Virginie Q., Balland, 1988, présenté par Patrick Rambaud
Marguerite Duraille, Mururoa mon amour, JC Lattès, 1996, roman présenté par Patrick Rambaud
« Marguerite Duras refusée par ses propres éditeurs » par Renaud Matignon, Le Figaro, 14 septembre 1992, au sujet du livre Margot et l’important, signé Guillaume P. Jacquet
Maurice Lemaître, Marguerite Duras . Pour en finir avec cet escroc et plagiaire généralisée, Supplément de la revue Lettrisme, n° 15 de la Commission Paritaire de Presse du 11 septembre 1979, éd. Lettristes, pp. 7-64, Bibliothèque de l’IMEC