La représentation de l’écriture

L’oeuvre durassienne représente aussi l’endroit où se rejoignent la magie, l’ambiguïté et les fantasmes. Les trois caricatures qui suivent réussissent à exprimer de manière remarquable ces notions pourtant abstraites et donc difficilement représentables par des images. Où est-ce qu’on arrive si l’on poursuit Duras ? Partout et nulle part à la fois…

Dans la troisième image, l’écrivain flotte à la dérive sur les eaux du Pacifique, ou peut-être qu’elle prend le chemin inconnu du marin de Gibraltar. Les yeux fermés, Duras invite le lecteur à la suivre dans ses livres, sans lui indiquer aucune direction, car, en écrivant, elle-même va vers l’inconnu, vers nulle part. Cette caricature 1770 très expressive, datant de 1972, assaisonne magnifiquement un article du Figaro qui accueille L’Amour. « Depuis Détruire, dit-elle, qui fut aussi un film, Marguerite Duras avance dans le noir en effaçant à mesure ses traces » 1771 , écrit ce journal. La seule possibilité de comprendre Duras est de se rapporter à tous ses livres : « Peut-être trouverait-on l’origine de ces fantasmes dans l’obscur ravissement de Lol V. Stein… ?[…] Ou plutôt : il n’y a plus besoin d’explication. » 1772

La quatrième image est la plus ancienne caricature 1773 de Duras dont nous disposons, datant de 1970. Elle offre une représentation concrète de la double identité que la critique évoque à l’égard de cet écrivain : Duras est moitié sorcière (et pythie), moitié un être normal. Bien plus, cette image est une représentation du paradoxe d’un « écrivain à deux faces » 1774 . C’est peut-être la meilleure représentation du lieu magique de l’écriture durassienne où peut se « déployer librement l’aspect de convertibilité de destins singuliers en une aventure universelle » 1775 , comme c’est le cas des « âmes mortes » que sont Abahn, Sabana, David et l’autre Juif de la pièce homonyme de Duras. A travers l’opacité des corps, c’est la transparence des êtres, leur possibilité de métamorphose, qui est constamment l’enjeu du dialogue de cette pièce de théâtre. Les quatre êtres en présence ont des identités délibérément brouillées et on peut les voir comme les quatre visages d’une seule et même conscience, d’un seul être humain, à la fois bourreau et victime, pris entre le feu de l’amour et la glace de la mort. Cette caricature dit tout sur l’art de Duras à entraîner le lecteur dans le jeu de présence-absence que jouent tous les personnages durassiens, sans exception.

L’oeuvre durassienne est aussi connue comme le territoire des silences et des fantasmes. On a même défini l’art de Duras comme « la glorification des silences » et cette formule est d’autant plus juste, considère Claude Damiens, que « l’auteur cherche à percer au-delà des mots, ces valeurs invisibles et méconnaissables qui restent muettes faute de mots. » 1776 La cinquième caricature 1777 est une représentation de toutes les voix féminines qui parlent dans l’œuvre durassienne, mais aussi de celles qui s’entretiennent avec Duras, à savoir Xavière Gauthier, Marcelle Marini 1778 etc.

Notes
1770.

Figaro, 11 février 1972

1771.

« Une autre façon de comprendre Marguerite Duras », Figaro, 11 février 1972

1772.

Ibid.

1773.

La Quinzaine littéraire, 1-15 juillet 1970

1774.

« Duras la reine Margot » par Jacques-Pierre Amette, Le Point, n° 1008 di 11 janvier 1992 : « Elle est à la fois une artiste inspirée, exigeante, impériale, mais aussi une pythie fumeuse qui crache, dans ses interviews autant de crapauds que de diamants. »

1775.

« Un lieu magique », par Anne Fabre-Luce, La Quinzaine littéraire, 1-15 juillet 1970

1776.

« Marguerite Duras ou le silence au théâtre » par Claude Damiens, Paris-Théâtre, n° 198, 29 août 1963, p. 38

1777.

Le Monde, 28 octobre 1977, Copyright Tim

1778.

« Marguerite Duras et les territoires du silence » par Claude Mauriac, Le Monde, 28 octobre 1977 Il s’agit d’un article de presse qui accueille le livre de Marcelle Marini, Territoires du féminin avec Marguerite Duras, Minuit, 1977