La vie voulue de/par Duras et les coups de tonnerre…

Après ce débat autour du « roman de la vie » de Duras, réalisé par Alain Vircondelet, contredit, soutenu ou complété par d’autres propos biographiques plus récents, appartenant à d’autres biographes de Duras, passons maintenant à la biographie très controversée de Duras écrite par Frédérique Lebelley : Duras ou le poids d’une plume. Son initiative reçoit plusieurs appellations dans la presse ou dans la critique littéraire: « biographie inventée », « pseudo-biographie », « biographie sentimentale », « reality-show ». Difficile d’être classée, contestée par Duras, très appréciée par quelques journaux, cette biographie est le résultat du travail d’un écrivain et journaliste qui dit dès le début s’intéresser à la « vie voulue » 1956 de Marguerite Duras. Vircondelet fait de l’œuvre durassienne l’objet principal de ses recherches. Il satellise l’écrivain, sans avoir accès à sa correspondance, ni aux archives. Lebelley, trois ans plus tard, publie sa version sur la vie de l’écrivain, en disposant à peu près du même matériel que son prédécesseur : ce que Duras a dit, écrit, filmé (70 textes, 19 films, des centaines d’entretiens et d’articles…), ce qui est énorme et public, comme elle-même le souligne. Elle y rajoute l’aventure collective (que ce soit l’histoire de la collaboration, celle de la Résistance, du PCF ou de Mai 68) qui sert de décor à son aventure personnelle. Et pourtant, son livre n’est pas à la hauteur. Il reste dans l’ombre du précédent. On l’apprécie en égale mesure qu’on le critique. Son mérite ? On dit que Lebelley a le courage, dès le vivant de l’écrivain, de raconter tout de suite « son drame, sa détermination, ses ruses. » 1957 Rappelons-nous que Vircondelet s’est autocensuré dans sa démarche et a beaucoup protégé Duras.

« Faut-il attendre qu’un auteur ait disparu pour raconter sa vie telle qu’il l’a vécue, et non telle qu’il la raconte ? » 1958 s’interroge l’écrivain Philippe Sollers fasciné par la biographie de Durasécrite par Frédérique Lebelley, que Le Point salue comme un « événement considérable » 1959 . Mais peut-on parler dans le cas précis de Frédérique Lebelley d’une biographie de Duras qui raconte la vie de l’écrivain telle qu’elle l’a vécue ? On s’interroge sur ce point à partir des aveux de la biographe, qui dit avoir raconté dans son livre la « vie voulue de Marguerite Duras » 1960 , donc la vie telle que l’écrivain la raconte. Sollers se trompe-t-il ainsi dans l’évaluation de cette biographie ? Alain Vircondelet n’enquête pas, n’interviewe jamais Duras pour la retranscrire dans son ouvrage biographique de l’écrivain. Autrement dit, il ne satisfait pas complètement la soif de certains lecteurs pour la vérité racontée par Duras elle-même à son biographe. Dans cette perspective, Sollers trouve inédite l’initiative de Lebelley, dont le livre « passionnant » 1961 , pour les uns, « absurde » 1962 pour les autres, raconte une Duras changée en personnage de fiction. Cependant, ce que Sollers apprécie, d’autres détestent. En effet, peut-on parler d’une biographie si ce qu’on met dans ce livre n’est que ce que Duras raconte ? Et ce que Duras raconte n’est-il pas en fin de compte ce qu’elle écrit dans ses livres ? Peut-on se fier au témoignage de l’écrivain comme à une source qui correspond entièrement à la réalité ? Duras a beaucoup inventé dans ses livres, comme le souligne Lebelley 1963 dans une interview. Il suffit de donner ici un simple exemple qui atteste la transformation de la mère en personnage de fiction. Dans L’Amant, en 1984, Duras dit de sa mère qu’elle joue du piano dans un cinéma pour subvenir aux besoins de la famille. La même année, dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot 1964 , l’écrivain nie que sa mère ait jamais joué du piano dans un cinéma et affirme que c’est une autre femme qui le fait en réalité. Bien plus, lors du même entretien de Duras avec Pivot, l’écrivain fait une affirmation qui décourage les chasseurs de bribes autobiographiques dans ses livres. Elle dit : « Mes livres, c’est que des fictions ! Je n’ai rien fouillé dans des armoires ! Moderato, L’Eté 80, je n’ai connu personne, ce sont des fictions. Beaucoup de lecteurs disent se retrouver derrière Lol, le Vice-consul… » 1965 C’est sûrement cette ambiguïté cultivée par l’écrivain qui explique le grand nombre de biographes lancés dans l’aventure d’explorer la vie de Duras. Plus elle ment, plus ses lecteurs sont curieux d’apprendre la « vérité » sur elle.

Comment Frédérique Lebelley arrive-t-elle à écrire une biographie de Marguerite Duras ? La meilleure manière de résumer ce que la journaliste Frédérique Lebelley ressent à l’égard de Duras est l’association inédite de deux termes qui définissent l’état d’âme de la biographe : elle dit se retrouver devant Duras dans un « émerveillement horrifié » 1966 . Comment la journaliste-biographe explique-t-elle cette association terminologique ? Le travail, cette route de trois ans où elle s’est engagée comme on s’engage dans une histoire d’amour, sans en voir la fin, l’a émerveillée. L’œuvre de Marguerite Duras aussi, alors que la femme ne cesse de la surprendre. Mais, au bout du compte, un autre personnage apparaît devant elle, une femme qui paraît s’éloigner du monde, une femme satellisée « pour laquelle nous sommes tous des abstractions, des êtres inanimés. » 1967 Lebelley connaît ses engagements, ses combats politiques et la croit portée par la générosité et la sensibilité. Et pourtant son désarroi est grand lorsqu’elle la découvre recluse en elle-même à un point qui horrifie la journaliste-biographe. En effet, Lebelley rencontre Duras pour un long entretien commandé par Le Nouvel Observateur et elles se sont bien entendues. A la parution de l’interview, plusieurs éditeurs lui proposent d’écrire une biographie de l’écrivain. En hésitant, dans un premier temps, Lebelley décide d’aller à la découverte de cette femme qui la fascine 1968 . Ses mots expriment le mieux les difficultés et la motivation de cette aventure :

‘« Mais il y avait des zones douloureuses : les amours incestueuses avec son jeune frère, l’alcool, la folie, je n’avais pas envie de baigner dans tout cela. Pourtant, c’était cela ou rien. Alors, pourquoi ai-je accepté ? Au départ, parce que c’était difficile, et surtout parce que cette aventure de l’écrit qu’est la vie de Marguerite Duras me fascinait. Sans doute aussi parce que je ressens une sorte de filiation entre elle et moi ; je lui ressemble, je crois. » 1969

C’est donc par fascination que Lebelley part à l’aventure d’écrire la vie de Duras et peu importe si ce qu’elle en dit correspond à l’Histoire. A lire son livre, on se rend compte que la journaliste se fie complètement aux aveux durassiens, qu’elle romance ensuite. Des informations concernant l’enfance de l’écrivain (l’inceste, la pauvreté etc.) ou le rôle de Duras à la Commission de contrôle du papier, qui horrifie Lebelley, seront par la suite niées dans la biographie de Vallier. De ce point de vue, toutes les biographies de Duras sont déficitaires, semble-t-il, en matière de recherches par rapport au travail de Jean Vallier. Lebelley considère l’article écrit par Duras sur l’affaire Villemin comme un abus de permissivité pour sa personne dû à sa liberté de transgression que l’écrivain revendique 1970 . Mais qu’importe ? La journaliste s’identifie à l’écrivain et donc elle revendique à son tour une liberté totale de présenter ses points de vue sur la vie durassienne sur un ton durassien.

Si Duras invente sa vie, Lebelley aussi recourt à l’invention. Elle s’exerce à une forme biographique inédite, basée sur l’invention. Lorsque la « vérité » exposée par Duras, dans ses livres ou dans ses interventions publiques, ne satisfait pas, on invente. Lebelley n’est d’ailleurs pas la seule à être tentée par offrir une version romancée de la vie de Duras. D’autres chercheurs aussi se sont laissé entraîner dans cet exercice. Nous citons ici les « découvertes » faites par deux chercheurs, l’un québécois, l’autre italien, rapportées par Bernard Pivot et Laure Adler. En effet, lors de l’entretien de Duras avec Bernard Pivot à Apostrophes, le réalisateur réussit à faire rire l’écrivain en lui racontant qu’au Québec un chercheur fait une thèse où il prouve que le vice-consul est une femme. Impossible, dit Duras, car le vice-consul est un homme. C’est comme ça qu’elle le conçoit, mais elle laisse le lecteur s’identifier à ses personnages à leur gré. L’autre « découverte » appartient à Angelo Morino, que Laure Adler cite dans un article de Lire 1971 de 1998. Après avoir poursuivi en justice Frédérique Lebelley pour sa biographie, après s’être brouillée avec Jean-Jacques Annaud 1972 à cause de son film tiré de L’Amant, film que l’écrivain renie, car elle ne veut pas de cette biographie filmée, comment Duras reçoit-elle la nouvelle qu’un Italien invente encore une fois l’histoire de sa vie ? Adler ose à peine imaginer la réaction de Marguerite au livre qui n’est pas traduit en français Il Cinese e Marguerite (Le Chinois et Marguerite) 1973 , où Angelo Morino avance que, contrairement à ce qu’elle écrit dans L’Amant, Duras n’aurait jamais eu d’amant chinois lorsqu’elle vivait encore dans son Indochine natale : ce serait plutôt sa mère, la mère folle d’Un Barrage contre le Pacifique, qui aurait vécu cette passion extraordinaire : Marguerite serait née de cet adultère-là ! On ne connaît pas la réaction de Duras à cette anecdote, car elle n’en parle jamais. Quant à la mère, les biographes ne s’accordent pas tous sur le tempérament, la richesse, les terres inondables ou la ruse des agents cadastraux. Duras prête à la fiction…

Pourquoi dit-on en effet que Lebelley invente la vie de Duras ? Au moment où Frédérique Lebelley publie son livre, Duras a quatre-vingts ans et, comme le note Geneviève Brisac, « on se moque d’elle et de son vieillissement ». 1974 A lire l’article du journal Le Monde, écrit par Geneviève Brisac, on pourrait comprendre que l’initiative de Lebelley rejoindrait cette attitude dénigrante. Pourquoi Lebelley ne cherche-t-elle pas à comprendre comment l’histoire de Duras est liée à son parcours d’écrivain ? se demande Brisac. Pourquoi ce livre, qui se veut une biographie, est-il plus proche d’un « reality-show » que de l’enquête biographique (pas d’index, des notes embryonnaires, une bibliographie minimale) ? Ce livre est plutôt adapté aux « shows » de Duras elle-même. Bien plus, Duras peut en être fière, écrit Brisac : elle bat encore un record : « Pas un record de ventes, cette-fois, ni un record d’insolence, ou de transgression. Le record du livre le plus absurde écrit sur un écrivain. » 1975 La pseudo-biographie de Lebelley scandalise Geneviève Brisac. Le nouveau genre que Lebelley inaugure justifie qu’on s’intéresse à son ouvrage. Sa pseudo-biographie de Duras rejoint le pseudo-journalisme, celui des mises en scène et des fausses interviews.

Par ailleurs, le livre de Frédérique Lebelley invente 1976 Duras tout en imitant le style de l’écrivain. Tout le monde n’apprécie pas cette initiative. Selon Brisac, cette biographie sentimentale - kitsch -, serait écrite à dix centimètres de son sujet, prenant ses mots pour les mettre dans d’autres phrases, mélangeant, en toute inconscience, les textes et les descriptions, sans se douter une seconde, du caractère à la fois révoltant et comique du résultat. On reproche à ce type de biographes d’oublier trop souvent qu’avant tout Duras a écrit. Ce constat nous rappelle le nom de Yann Andrea qui, on le verra, subit la même critique. Bien plus, Geneviève Brisac accuse Lebelley de plagiat. Il serait ainsi facile d’en choisir des exemples dans les chapitres consacrés à l’enfance de Marguerite Duras, dans ceux consacrés à sa vie amoureuse ou à l’alcool. Et, « indécent de s’étendre sur les pages plagiées de La Douleur. Contentons-nous de l’écriture », note Brisac. Sans guillemets, Lebelley écrit ces lignes avec des mots empruntés à La Douleur, mais agencés de manière à devenir pure banalité, comme le commente Geneviève Brisac:

‘« De plus en plus ce qu’elle écrit lui échappe. Bientôt elle cessera même de se comprendre. Et se réjouit d’atteindre ce stade de relâchement de la volonté dans l’écriture qu’on pourrait qualifier de pure imbécillité. […] Après elle se relit [ Bravo !]. Moment décisif où l’écrivain devient son premier lecteur. Ou bien L’harmonie de son texte s’impose, ou bien elle le reprend [incroyable !]. Le plus souvent elle le refait interminablement. Elle se méfie de sa trop grande facilité. De cette vulgarité qu’elle a de pouvoir expédier un livre en quelques jours. [Ces phrases ne contiennent que des mots de Duras agencés de manière à devenir pure banalité.] Alors elle s’inflige des relectures inspirées et besogneuses[ ?!]. Jusqu’à la correction calamiteuse des épreuves. »  1977

Certes, ces divers commentaires faits par les critiques sur le livre de Frédérique Lebelley sont des points de vue émis par des personnes qui font autorité dans ce domaine. Mais nous lui accordons malgré tout une attention particulière pour sa grande importance qui réside surtout dans le triangle biographe-biographié-lecteur. Lebelley inaugure, pour les biographes durassiens, un effet de lecture digne d’être retenu : lectrice de Duras dans un premier temps, elle en devient le biographe et réalise une biographie romancée inédite dans un style très proche de celui du biographié. Sa biographie de Duras a beaucoup d’inventé et confirme ce que l’écrivain dit d’elle après le succès mondial de L’Amant : « Ça commence à s’imiter, Duras… » Lebelley n’est-elle pas plus proche des vœux durassiens que ne le sont les autres biographes ? C’est-à-dire cette biographe respecte le pacte autobiographique conclu par Duras avec elle-même, en racontant la vie voulue par l’écrivain, mais en même temps, en n’hésitant pas à contester ce pacte et en affirmant que Duras ment :

‘« M.- F. Leclère : avez-vous l’impression qu’elle a beaucoup réinventé sa vie ?’ ‘Frédérique Lebelley : Elle a beaucoup menti. Mais mon propos n’était ni de juger ni d’apporter des corrections. Ce qui m’intéressait, puisque j’essayais d’approcher ce lieu de l’écrit dont elle parle, c’était la vie voulue de Marguerite Duras. Par exemple, elle s’est vantée d’avoir eu beaucoup d’amants, et je ne pense pas qu’elle en ait eu autant qu’elle veut bien le dire, mais en l’occurrence, sa vérité m’intéresse plus. De même Mme Donnadieu et ses trois enfants n’ont peut-être pas touché le fond de la misère, mais qu’importe… Néanmoins, tout ce que faisait Marguerite en Indochine, pour les Blancs, était extravagant et elle l’a fait. L’amant chinois a bien sûr existé. » 1978

Sans nier les ressemblances de style, ni l’emprunt de mots durassiens auquel recourt Lebelley, et qui sont évidents, nous soulignons encore une fois le pouvoir que Duras exerce sur son lecteur : elle prête à la caricature, à la parodie (le livre de Lebelley pourrait être une reprise parodique de son œuvre, une imitation stylistique), à la biographie, tout cela en précisant que le mot-clé propre à cet écrivain reste l’ambiguïté. Peut-on écrire la biographie de Duras ? Réussit-on jamais à faire concorder les versions des biographes ? Sinon, vaut-il mieux faire le roman de la vie de Duras, comme Vircondelet affirme le faire et qui ne tient pas tout à fait sa parole, car il se lance parfois dans une exploration inavouée de la vie de l’écrivain 1979 , ou bien, à l’exemple de Frédérique Lebelley, se laisser emporter par l’imagination et le style durassiens, quitte à voir son entreprise biographique rejetée par Duras, mécontente que quelqu’un ose écrire comme elle. Le livre de Lebelley est un autre regard sur Duras. A en croire ce biographe, elle ne fait que répondre à la curiosité de l’écrivain de savoir comment les gens la voient :

‘« Ainsi les textes biographiques sur Marguerite Duras, le plus souvent hagiographiques, abondent : elle observe de loin sa légende se faire, flattée de voir s’étendre son rayonnement, son empire. Dans l’arbitraire, l’approximation, la maladresse, l’ingénuité, la louange ou la critique, avec ou sans talent, tous ces commentaires qui circulent sur elle consacrent sa gloire. L’immortalisent. A cet hommage-là, l’écrivain ne résiste pas. Aussi Duras reviendra-t-elle sur sa réserve de principe pour ajouter : La seule chose dont je suis curieuse, c’est de savoir comment les gens me voient. Votre regard à vous sur moi, ça oui, ça m’intéresse ! » 1980

Et pourtant, Duras n’en lit que les premiers chapitres et ne reconnaît rien 1981 … Bien plus, les imprécations sont la seule réaction de l’écrivain à cette initiative qui est d’abord un hommage rendu à un écrivain qui fascine. Que dirait-elle aux biographes qui écrivent après sa mort ? Comment envisagent-ils la vie de Duras ?

Notes
1956.

« Les ambiguïtés de Marguerite D. », entretien de Frédérique Lebelley avec M.-F. Leclère, Le Point, 5 février 1994

1957.

« La détermination et les ruses d’un grand écrivain. Comment elle est devenue Duras » par Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur, 3-9 février 1994

1958.

Ibid.

1959.

Le Point, 5 février 1994

1960.

Entretien de Frédérique Lebelley avec M.-F. Leclère, Le Point, 5 février 1994

1961.

Le Nouvel Observateur, 3-9 février 1994

1962.

« Pour Duras, romancière française » par Geneviève Brisac, Le Monde, 11 février 1994

1963.

Le Point, 5 février 1994

1964.

Apostrophes, 28 septembre 1984, émission réalisée par Bernard Pivot et Jean-Luc Léridon

1965.

Ibid.

1966.

« Les ambiguïtés de Marguerite D. » entretien de Frédérique Lebelley avec M.-F. Leclère, Le Point, 5 février 1994

1967.

Ibid.

1968.

« Mais en même temps que je protestais, je pressentais déjà le livre inévitable. » Frédérique Lebelley, Duras ou le poids d’une plume, Grasset, 1994, p. 9

1969.

Le Point, 5 février 1994

1970.

Frédérique Lebelley, op. cit., p. 320

1971.

« L’impossible vérité sur Marguerite Duras » par Danielle Laurin, Lire, juin, 1998 (un témoignage de Laure Adler, biographe de Marguerite Duras)

1972.

Il est bien connu que Duras a rejeté le film de Jean-Jacques Annaud à cause du caractère autobiographique qu’il attribue à L’Amant. Il veut faire la biographie filmée de Marguerite Duras. Dans ce but, demande à l’auteur de travailler à l’adaptation de son propre livre. Duras écrit quatre moutures de son scénario. Transformé à nouveau, il est devenu L’Amant de la Chine du Nord, un livre parsemé de notes techniques commençant par ces mots : « En cas de cinéma… » Une manière bien à elle de prendre ses distances avec un film qui en était alors au stade de tournage. Annaud et son complice, le scénariste Gérard Brach, écrivent finalement l’adaptation de L’Amant. Même si cette version tient largement compte du script de l’écrivain, la rupture avec Duras était inévitable. Elle lui reproche d’en faire un film à très gros budget, de le tourner à plateau fermé, de ne pas l’informer de l’évolution du projet, de la tenir éloignée de l’entreprise, de confondre son texte avec une simple autobiographie, de ne pas tenir compte de ses indications… (Cf. Lire, octobre 1991, « Cinéma, cinémas »)

1973.

La biographie de Duras due à Angelo Morino, Il Cinese e Marguerite. Una Biografia, Sellerio, Palermo, 1997, ne fait pas d’échos en France, mais en Italie il passe pour une biographie de Duras qui révèle des choses inédites sur l’écrivain. Le point chaud du livre est la « découverte » que fait Angelo Morino sur Duras. On ne sait pas comment il fait ces découvertes, mais on apprend par Angiola Codacci-Pisanelli (L’Espresso, Italie, repris dans Lire d’avril 1997, « Marguerite Duras et l’amant chinois de sa mère » par Angiola Codacci-Pisanelli) que l’auteur « devine l’enfance et l’adolescence difficiles » de l’écrivain, ainsi que l’origine mi-française mi-annamite d’après « la peau de la pluie » pareille à celle des Asiatiques. L’histoire que Duras ne raconte pas, c’est Morino qui la narre : l’amant chinois qui a marqué la vie de l’écrivain français aurait été non le sien – celui immortalisé dans L’Amant – mais l’amant de sa mère. Lequel aurait été le véritable père de Marguerite, née au Vietnam en 1914. Vérité ou fiction ? Qui faut-il croire ? Est-ce en France ou en Indochine que Marie Legrand, la mère, rencontre « leur père, le seul homme qu’elle avait aimé » ? C’est sur mille indices subtils de ce type, note Angiola Codacci-Pisanelli, que s’appuie Angelo Morino dans sa quête du père de l’écrivain, qui finit par investir toute l’œuvre littéraire et cinématographique de Marguerite Duras. Les photographies de l’écrivain sont très parlantes pour Morino. Le secret qu’il dévoile se cache derrière des phrases et des demi-phrases des livres durassiens, ainsi que dans les interviews accordées par Duras. Tout cela se retrouve confirmé par les photos. Duras serait née d’un adultère consommé par sa mère en l’absence du père, cet Henri Donnadieu dont l’auteur ne veut pas porter le nom. L’amant de la mère est un asiatique. Un Chinois, peut-être, comme celui avec lequel la toute jeune Marguerite, réexplorant inconsciemment la passion à laquelle elle devait sa naissance, vécut sa première histoire d’amour. En tout cas, comme l’explique Angelo Morino, on « devine un enfance et une adolescence difficiles, avec pour toile de fond une société coloniale prodigue en gestes humiliants à l’égard d’une jeune fille dont l’aspect trahissait une origine métisse. » (Cf. Angiola Codacci-Pisanelli, op. cit.) Bien plus, Marguerite n’aurait pas été le seul fruit de cet amour adultère, son frère aussi arait été issu de cette liaison – Paul, son cadet, avec qui elle entretenait des liens étroits, incestueux même (l’inceste, à en croire Duras, n’a jamais eu lieu). Contrairement à Pierre, son frère aîné, Paul avait comme Marguerite la « peau de la pluie » et l’aspect asiatique. Des traits qui faisaient murmurer aux gens. A ces insinuations répondrait, selon Morino, son visage, qui devenait de plus en plus chinois au fur et à mesure qu’elle vieillissait. Comme si, écrit Morino, « avec l’âge et le passage progressif de la censure à la révélation, les traces de cet autre père avaient affleuré peu à peu pour ressortir sur le corps de sa fille. » (Cf. traduction de Angiola Codacci-Pisanelli, op. cit.)

1974.

« Pour Duras, romancière française » par Geneviève Brisac, Le Monde, 11 février 1994

1975.

Ibid.

1976.

Ibid.

1977.

Ibid. Geneviève Brisac reprend et commente ici le texte de Lebelley, avec une ironie acide. Ses propos deviennent très agressifs vers la fin de l’article : « Les lecteurs – il y en aura, malheureusement – auront bien du mérite s’ils gardent ensuite du respect pour les livres, la littérature, les écrivains. […] Et voici que des personnes à qui l’on a fait croire que tout était permis se glissent dans la vie, dans les mots de celui qui écrit, et sans même se douter qu’il s’agit de choses précieuses et délicates – que cela mt du temps, que cela fait du mal – utilisent, en barbares, les formules magiques qu’ils croient pouvoir lire à livre ouvert. Et c’est ainsi qu’au prix d’une compilation, d’un travail qu’on aurait tort de contester, ils obtiennent ce résultat épatant, et qu’on se demande comment en un plomb vil cet or s’est changé ! […] Et si l’on a en horreur certaines formes contemporaines de bassesse, il devient urgent de protéger l’œuvre littéraire de cet écrivain unique qu’est Marguerite Duras d’un certain genre de biographie, de rappeler sa délicatesse, son sens de la beauté. Contre l’alchimie de la sottise. » Op. cit.

1978.

Le Point, « Les ambiguïtés de Marguerite Duras », entretien de Frédérique Lebelley avec M.-F. Leclère, 5 février 1994

1979.

Rappelons-nous qu’il dit avoir évité toute enquête sur la vie de Duras.

1980.

Duras ou le poids d’une plume, Frédérique Lebelley, Grasset, 1994, p. 11

1981.

Le Monde, 11 février 1994