Alain Vircondelet et Dominique Noguez accordent une importance majeure à Marguerite Duras et à son œuvre, dans le paysage littéraire français. Biographe, écrivain et universitaire, Alain Vircondelet s’attache au nom de Duras et outre les livres qu’il dédie à l’écrivain, il organise en 2001, en tant que président d’honneur de l’Association Marguerite Duras, la création du Prix littéraire Marguerite Duras, en collaboration avec le conseil général de Lot-et-Garonne. Depuis 2002, ce prix est remis au moi de mai, lors du salon du livre de la ville de Duras, et récompense alternativement un livre, une pièce de théâtre et une œuvre cinématographique 2124 . Il faut aussi noter qu’Alain Vircondelet participe en 1997 à un autre événement à caractère d’hommage rendu à Duras : l’auteur de l’Amant donne son nom à la place du presbytère du village de Lot-et-Garonne où se trouve la maison de son père Emile Donnadieu. « C’est à quelques kilomètres d’ici, au lieu-dit Le Platier, à Pardaillan, que se trouvait la maison de son père Henri Emile Donnadieu, un instituteur. Aujourd’hui en ruines, elle pourrait être rachetée à son propriétaire par les dix-sept communes du canton pour en faire un lieu de pèlerinage » est le message du conseil général du Lot-et-Garonne du 27 avril 1997, à l’occasion où, en présence d’Alain Vircondelet et d’Yvette Amelin-Barreau, amie d’enfance de la romancière qui habite toujours à Pardaillan, le maire dévoile la plaque commémoratrice : « Marguerite Duras a vécu au Platier de 1922 à 1924. Dans son premier roman Les Impudents elle décrit minutieusement l’endroit. C’est son livre que je préfère. » 2125
C’est un geste qui témoigne de l’amour et de l’admiration dont Duras jouit de la part d’un public anonyme peut-on dire, du lecteur commun 2126 , qui ne l’a peut-être jamais connue, mais qui sait qu’elle tire son nom de ce pays. Toujours lié par une grande admiration pour Marguerite Duras, Dominique Noguez organise la première grande exposition consacrée à l’écrivain : « Marguerite Duras, une question d’amour », présentée par l’IMEC à l’Abbaye d’Ardenne, à Caen, du samedi 4 novembre 2006 au 21 janvier 2007. C’est un parcours dans l’œuvre et la vie de l’écrivain qui propose la découverte des manuscrits de quelques-uns de ses livres devenus célèbres, traduisant le souci constant de l’écriture. 2127 Elle en évoque aussi les variations amoureuses et affectives à travers des documents d’archives, des photographies, des extraits de films et d’entretiens, retraçant un parcours fait de passions, rencontres, amitiés et engagements. Dominique Noguez retrace le portrait de l’écrivain sous l’angle de l’amour, sentiment qui définit la vie et l’œuvre de Marguerite Duras :
‘« Il y a, bien sûr, plusieurs formes d’amour : celui qu’on attend et celui qu’on obtient, celui qu’on donne et celui qu’on reçoit, celui qu’on éprouve au sein de la cellule familiale et celui qu’on trouve très loin d’elle, l’amour chaste et l’amour physique, le grand amour ou les amours passagères ; enfin, quand il manque, tout ce qui peut en tenir lieu : formes atténuées (tendresse, compassion, camaraderie, amitié, convivialité) ou substituts (la gloire). Duras, au cours de sa riche existence et dans ses oeuvres de papier, de théâtre ou de pellicule, en a connu et représenté toutes les modalités. » 2128 ’Cette exposition a lieu alors que les éditions POL, avec l’IMEC, publient Cahiers de la guerre et autres textes 2129 . Dix ans après sa mort, « la grande dame des lettres françaises revient plus alerte que jamais avec ces quatre petits Cahiers de la guerre, ainsi baptisés par la romancière elle-même » 2130 . Rédigés entre 1943 et 1949 et réunis dans une simple enveloppe longtemps nichée dans les fameuses armoires bleues de Neauphle-le-Château, évoqués dans le préambule de La Douleur, ils font aujourd’hui l’objet d’une remarquable édition dirigée par Sophie Bogaert et Olivier Corpet. On y découvre la matrice d’une œuvre, l’imbrication originelle de l’intime et de la fiction, la circulation permanente, d’un texte à l’autre, des personnages et des lieux.
Un livre issu de l’exposition réalisée par Dominique Noguez est également édité, Marguerite Duras , l’œuvre matérielle, par Sophie Bogaert. On a beaucoup écrit sur Marguerite Duras, mais on a besoin aussi de la regarder, de la voir marcher sur les plages, de la voir à sa table d’écriture, de la regarder se faire photographier. On a besoin de voir les manuscrits, « la boue du brouillon », qui permet de découvrir les « repentirs et ratés » comme le note Sophie Bogaert 2131 . C’est de ce « ventre de Dieu » que surgit le texte publié, comme « le produit d’un cheminement laborieux » 2132 . Les photographies de manuscrits et de documents inédits, portant l’intervention impitoyable de Duras qui les corrige, ainsi que les photographies de l’écrivain dans diverses hypostases, accompagnées de courts commentaires faits par Sophie Bogaert, invitent le lecteur à redécouvrir Duras. D’autres initiatives existent, qui se veulent une remémoration de la vie de Duras en images, tel le livres d’Alain Vircondelet, Marguerite Duras, vérité et légende 2133 , ou encore celui de Jean Vallier, Marguerite Duras. La Vie comme un roman 2134 , autant de manières de « raconter » Duras.
Le rapport de Duras à l’image nous entraîne dans ce territoire à découvrir qu’est la photographie. Qu’est-ce la photographie pour Duras sinon un autre lieu d’écriture (L’Amant a à l’origine une photographie) ? Elle représente pour le lecteur d’aujourd’hui une autre manière de ne pas oublier l’écrivain, de lui rendre hommage, car la photographie est une image souvenante, comme l’appellerait Barthes. Vu l’importance de l’image pour Marguerite Duras, il est temps à cet état de nos recherches d’accorder une place particulière à la photographie et son rôle dans la vie et l’œuvre de cet écrivain, sans pour autant nous éloigner de notre trajectoire d’analyse, qui vise les hommages rendus à Marguerite Duras.
Voir le site de l’Association Marguerite Duras : www.marguerite-duras.org
« Marguerite trouve sa place à Duras », Le Figaro, 26 avril 1997
Après la mort de l’écrivain, les gestes admiratifs à l’égard de Marguerite Duras ne cessent d’apparaître tant de la part de lecteurs avisés, connus comme des analystes de son œuvre faisant autorité (biographes, écrivains, universitaires, artistes), mais aussi de la part de lecteurs anonymes, comme cette lettre ouverte à Marguerite Duras, écrite avec une tendresse infinie par Christine Brulé. Ses propos empreints de nostalgie, ainsi que d’une touche légèrement critique, ne nécessitent aucun commentaire, tellement ils sont clairs, sincères, vivants :
« Je vous ai aimée, madame. Passionnément. Le Barrage contre le Pacifique, Le Ravissement de Lol V. Stein…J’ai vite rattrapé le retard entre les années où vous avez commencé d’écrire et les années où j’ai eu l’âge de vous lire. Vous écriviez si bien. J’aimais tant votre univers. Vous écriviez la nuit et j’imaginais les bleus sombres, tous ses mystères et ses chuchotements. Vous écriviez le fleuve et j’entrevoyais les touffeurs de l’Asie, la boueuse lenteur du Mékong. Vous écriviez la mère et je souffrais à vos côtés de la misère, de l’eau qui envahissait les rizières, de la folie qui guettait, de l’amour qu’elle vous refusait.
Nous étions quelques copines à attendre vos livres, vos films, et la voix grave et délicieusement affectée de Delphine Seyrig qui disaient vos mots comme s’ils nous sortaient du cœur. Parfois, notre impatience à vous lire était déçue. “Tu as lu le dernier Duras…Tu as compris quelque chose ?” Et il fallait bien répondre, en tiédissant notre passion, aux copains qui se moquaient : “ Duras ? Mais c’est à peine un écrivain !” Vous nous gêniez à la fin, à vous répandre dans les journaux, pour donner votre avis sur tout et n’importe quoi. A interroger Mitterrand, Platini, et à accuser Christine Villemin d’avoir tué son gosse. Arrogante, perdue d’alcool. Quel Gâchis ! Vous nous faisiez mal. Forcément mal.
Alors vint L’Amant et revint votre simplicité à dire les choses. Presque un roman à l’eau de rose, ce récit… Mais bon ! Vous écriviez “Le Chinois” et nous nous retrouvions si proches de la petite fille maigre que vous avez été, pauvre et sensuelle, barbouillées de rouge à lèvres et titubante sur des souliers pointus, magnifiques, mais trop grands, offerte par sa mère pour de l’argent. Et nous nous mettions à désirer, à votre image, l’Amant tellement élégant et déchiré, les rencontres à ras la rue derrière les persiennes closes. Et cette fois, nous vous partagions.
Contentes, quand même, que vous receviez enfin le Goncourt, même si ce n’était pas pour le meilleur de vos écrits. Et puis vint La Douleur et nous étions à vos côtés, comme vous l’étiez trente ans auparavant, à attendre votre mari, Robert Antelme, de retour des camps. Et l’on vous découvrait violente, ivre de vengeance. Mais nous retrouvions votre “folie d’écrire”. Il y avait alors un autre homme dans votre vie. Un tout jeune homme, malgré votre visage de vieux Chinois, vos jupes informes et vos bottes inélégantes. Sans doute vous aimait-il pour toutes les raisons qui nous avaient fait vos fidèles : pour votre talent à magnifier votre vie, à recomposer le passé et à dire toujours que vous vouliez être aimée. Désespérément.
Christine Brulé »
Lettre parue dans Ouest France le 7 février 1999 sous le titre « Chère Marguerite Duras… »
« Marguerite Duras à l’Abbaye Ardenne », Le Figaro, 10 novembre 2006
Le site officiel de l’IMEC : www.imec-archives.com
Cahiers de la guerre et autres textes, par Marguerite Duras. Edition établie par Sophie Bogaert et Olivier Corpet, POL/IMEC, 2006
« Duras, Ecrire, dit-elle » par Marianne Payot, L’Express, 22 décembre 2006
« Les archives ou l’écriture matérielle » par Sophie Bogaert, Le Magazine littéraire, n° 452, avril 2006, p. 40, dossier Duras réalisé par Aliette Armel
Ibid.
Alain Vircondelet, Marguerite Duras , vérité et légende, le Chêne, 1996
Jean Vallier, Marguerite Duras . La Vie comme un roman, collection « Passion », les Editions Textuel, 2006