Titres, préfaces, dédicaces, pseudonyme, radio-télévision sont autant de pistes de lecture de Duras par elle-même, ou autant de manières de se découvrir soi-même auprès du public. Chez Marguerite Duras, la photographie joue, elle aussi, un rôle d’autolecture et de lecture à la fois. Elle parle de l’importance que l’écrivain elle-même et les autres prêtent à son image (vie et œuvre prises ensemble). En effet, ce qui nous intéresse est la façon dont Duras s’est rapportée à l’art photographique durant sa vie, surtout dans son écriture et dans quelle mesure l’art de la lumière constitue un moyen d’autolecture durassienne. Ou encore qu’est-ce que Duras nous fait lire dans les photos où son visage apparaît en premier plan et à la réalisation desquelles elle participe pleinement ? Peut-on parler dans cette perspective d’une photoréception, au sens où la photographie constitue un geste critique auquel les biographes de Duras ont recours pour assaisonner les écrits sur la vie de l’écrivain ? Peut-on parler aussi d’une manière personnelle de se rendre hommage par la photographie devant laquelle l’écrivain revient souvent pour s’admirer et trouver ainsi une source d’inspiration ? Duras se rend, à elle-même, un culte, devant l’icône ou le temple qu’est sa vie ou son œuvre. Peut-on lire à travers ce geste un certain « photocentrisme » 2135 durassien ? Duras s’adore, s’admire, s’aime et ce n’est pas rare que la presse parle, avec une certaine ironie, de ce côté narcissique que l’écrivain n’hésite d’ailleurs pas à confirmer. Ne le dit-elle pas à Pierre Assouline, avec nonchalance, « tant pis si on dit que je suis d’un orgueil démesuré » 2136 ? Pierre Assouline, choisit d’ailleurs une photographie de l’écrivain, à l’âge où elle touche au plus haut de la célébrité, défiant le monde de par son regard, et la met au tout début de son dossier. Pourquoi Alain Vircondelet, Jean Vallier, Sophie Bogaert et Dominique Noguez, même Laure Adler, quoique en moindre mesure, accordent-ils une place privilégiée à l’image de Marguerite Duras prise en photo dans leurs démarches biographiques, en éditant des livres d’images sur l’écrivain ou en rajoutant à leurs livres quelques pages avec des photographies de l’écrivain ? Il faut dire que l’œuvre et la vie de Marguerite Duras, écrivain qui aime tellement l’image photographique ou cinématographique, doivent être illustrées d’images de son visage, de sa chambre d’écriture, de la mer, de ses manuscrits, de ses lieux d’écriture, car elles peuvent offrir des pistes de lecture. Mais avant tout, les livres d’images qui existent sur Marguerite Duras sont un hommage à l’écrivain. Après la disparition de la personne, ses livres et ses images restent à jamais. Ensuite, ils peuvent être lus, surtout La Mer écrite 2137 , réalisé par Hélène Bamberger, avec la complicité de Yann Andréa et bien sûr de Marguerite Duras, comme une autre forme d’expression durassienne et de communication avec ses lecteurs. Effets visuels et effets « personnage » sont au fur et à mesure poursuivis dans ce livre où les images sont à lire et le texte est à déchiffrer à travers elles.
Le terme nous a été inspiré par Philippe Ortel, La littérature à l’ère de la photographie, Editions Jacqueline Chambon, 2002, p. 14
« La vraie vie de Marguerite Duras », entretien de Marguerite Duras avec Pierre Assouline, Lire, octobre 1991
Marguerite Duras, Hélène Bamberger, La Mer écrite, Marval, 1996