Duras prête à tous…les honneurs et les rires

La notoriété de Marguerite Duras est aujourd’hui incontestable. Le fait même de se voir pasticher par les autres est un geste qui prouve que l’œuvre qu’on écrit est très connue, vivante et unique. A l’origine du rire sain ou méchant, qui entoure l’œuvre de ce grand écrivain, se trouve la singularité de l’écriture de Marguerite Duras et de sa personnalité artistique. Surtout que tout écrivain n’est pas la proie des pasticheurs, car tout le monde ne correspond pas aux critères d’éligibilité de cette catégorie de la critique. Duras est un écrivain célèbre, comme le dit Rambaud, très sérieux, extrêmement prétentieux, elle a une enflure de la tête qui donne envie de dégonfler et par-dessus tout, son style d’écriture irrite et énerve à la fois. C’est la raison pour laquelle Patrick Rambaud parodie Duras. Certes, tout le monde ne goûte pas à son exercice de style, mais les deux parodies qu’il écrit répondent en quelque sorte à la soif de vengeance et au désir d’être soulagés de certains détracteurs de Marguerite Duras.

A ce geste mimétique s’ajoute un autre : les caricatures dans la presse. Bien sûr, le degré d’éreintement des caricatures est variable, selon les articles de presse qu’elles accompagnent. Mais elles témoignent d’une permanente envie de la réception critique de déformer, de détruire ou de s’attaquer à l’image de l’écrivain. Parallèlement, il arrive que le mépris et la colère de la critique à l’égard de la notoriété écrasante de Marguerite Duras connaissent des moments de dénonciations excessives. Tels sont la supercherie éditoriale Margot et l’Important,censée détruire le tabou critique qui entoure dans les années 90 le nom de Duras, et le dossier d’accusations sévères de Maurice Lemaître sur la manière de Duras de faire du théâtre et du cinéma.

En contrepartie, tout le travail biographique sur Marguerite Duras, écrivain polygraphié, mais dont la vie garde encore bien des énigmes, tous les hommages rendus à l’écrivain par la création d’un prix littéraire ou par l’écriture de livres qui lui sont dédiés, sont autant de gestes critiques qui témoignent sur l’amour qu’on porte à cet écrivain. Sa notoriété fait de l’ombre et agace, mais aussi son œuvre ne cesse jamais de susciter de l’intérêt, de faire le délice de certains lecteurs et de donner envie d’écrire.

Entre la vie voulue de l’écrivain, qui brouille sans cesse les pistes lorsqu’elle parle de sa propre vie, et la vie de l’écrivain voulue par les autres, plusieurs formes d’explorations biographiques s’entrecroisent, dont le résultat ne peut jamais être définitif : Duras est trop ancrée dans son univers d’écriture et elle aime tellement l’ambiguïté que le lecteur n’apprendra jamais la vérité sur elle. Les biographies ambitieuses écrites sur Duras par Alain Vircondelet, Laure Adler et Jean Vallier, les bio-témoignages écrits par Yann Andrea ou par Michèle Manceaux, ou bien les livres dédiés à Duras par Dominique Noguez, Enrique Vila-Matas, Pascal Nottet ou Brigitte Giraud, sont avant tout des hommages rendus à Duras, des manières d’exprimer l’affection et l’amour à cette femme qui, toute sa vie, n’a fait que chercher l’amour. Duras invente à sa manière le mythe de la quête d’amour et l’évoque dans chacun de ses livres. Ces gestes critiques favorables, complétés par la valorisation de l’image de l’écrivain par la photographie et la psychanalyse (Lacan), prouvent l’immense considération dont le nom de Duras jouit de son vivant et surtout après sa mort.

Comment faut-il comprendre le rapport de Marguerite Duras à l’écriture et à ses lecteurs ? Que lit-on à travers ces jugements extrêmes de réception critique, insultes et hommages ? Duras divise la critique, mais c’est grâce à cette division que sa construction identitaire se fortifie. Son image d’écrivain n’est pas détruite par les insultes, ni par les méchancetés de la réception critique. Au contraire, elle reste inaltérée et produit des effets de lecture inédits. Duras est la femme écrivain qui révolutionne la littérature de son temps et « apprivoise » le jugement critique.