Qui est Marguerite Duras ? Cette question revient à la fin de notre recherche et n’attend qu’une seule réponse : Duras est la somme de toutes les réceptions qu’on lui a faites au fil du temps. Notre but n’a pas été celui de changer l’étiquette d’écrivain « difficile », « impudique », fascinant, aimé, détesté etc. qui est attribuée à Marguerite Duras, mais d’essayer de proposer une nouvelle approche de cette figure tellement controversée en interrogeant directement le lecteur. Duras, la reine Margot, est considérée comme l’un des plus grands écrivains français, « impériale, perturbante, insupportable et envoûtante » 2293 qui doit son succès nom seulement au chiffre de vente de ses livres, ou au nombre de distinctions 2294 qu’elle reçoit pour ses écrits, mais à sa qualité d’ « artiste la plus imprévisible » de son temps. Ce qui a été mis en exergue par la critique, surtout vers la fin de sa vie, c’est ce paradoxe à deux facettes, que l’image de l’écrivain représente pour ses lecteurs : elle est à la fois une artiste inspirée, exigeante, dominatrice, mais aussi une « pythie fumeuse qui crache, dans ses interviews, autant de crapauds que de diamants. » 2295 Ce qui attire l’attention et qui donne envie d’une lecture approfondie de la réception de Marguerite Duras au fil du temps, c’est l’intérêt grandissant dont son nom jouit à dix ans de sa mort 2296 , mais surtout la part de moquerie dans sa réception critique, que la presse, même en 2006, ne cesse d’évoquer. Que dit-on dix ans après sa mort au sujet de l’origine des éreintements à son égard, ainsi que de l’image dont elle jouit aux yeux des lecteurs ? Les opinions critiques d’aujourd’hui gardent un caractère partagé comme du vivant de l’écrivain. Si quelques-uns des journalistes mettent en exergue la notoriété grandissante de Marguerite Duras, d’autres, comme Geneviève Brisac du journal Le Monde, annonce ironiquement que l’écrivain n’est pas à la mode car elle est « au purgatoire »:
‘« Il y a peu d’écrivains de cette puissance dont on se sera autant moqué, que l’on aura si peu pris au sérieux, parce qu’elle en disait trop, comme une magicienne qui donnerait les trucs du métier.[…]’ ‘Marguerite Duras n’est pas à la mode. Son œuvre est passée aux pertes et profits des excès post-soixante-huitards. Son affectivité est embarrassante. Tout juste fait-elle l’objet de colloques universitaires organisés par des fidèles, tels le professeur Claude Burgelin, ou la chercheuse Catherine Rodgers. C’est normal, me dit-on, elle est au purgatoire. Le purgatoire des écrivains morts commence quelques mois ou années après leur disparition, qui a d’abord donné lieu à des agapes commerciales. Et dure un certain temps. […]’ ‘Oreille absolue. Insolence toujours dérangeante. Elle avait horreur de la repentance, de la soumission. Le purgatoire lui va très mal. […] L’esprit d’insoumission. […] C’est cette grandeur que traque la littérature, que cherche inlassablement Duras, qui donne la chair de poule, cette beauté innommable. Inoubliable. Ce goût de nommer les émotions qui peuvent couver des vies entières dans le corps.’ ‘Le purgatoire, quelle triste obligation, qui prive les lecteurs d’aujourd’hui de la force de cet étonnement intact. » 2297 ’En constatant le « comment elle est, Marguerite Duras » selon les divers articles analytiques et livres critiques parus au fil du temps sur cet écrivain, pour la plupart d’entre eux soumis à l’herméneutique traditionnelle de la critique littéraire, nous nous sommes proposé de trouver le « pourquoi » de toutes ces démarches et de toutes ces perceptions, en les recontextualisant, en confrontant les perceptions sur cet écrivain en synchronie et en diachronie, en écoutant à chaud les diverses voix des lecteurs, en analysant les différents effets de lecture que l’œuvre de Duras a produits, en écoutant des témoignages, mais surtout et avant tout, en écoutant Duras parler d’elle-même à travers son œuvre, sa voix, sa présence physique devant le petit écran ou devant l’objectif de l’appareil photo etc. Oui, Duras est la somme de toutes les lectures qui existent sur elle. En affirmant ceci, on reconnaît au lecteur le rôle incontestable qu’il a dans la vie et la mort d’une œuvre et d’un nom d’écrivain. Duras, quant à elle, survit grâce au lecteur. Même passée « vers un autre degré », Duras continue de vivre dans la conscience du lecteur contemporain. Les gestes critiques entrepris au fil du temps à son égard, qu’ils soient des exercices de mise à mort ou d’admiration, mais surtout l’attention qu’on lui accorde aujourd’hui (livres écrits sur Duras, recherches universitaires, manifestations culturelles annuelles, pièces jouées etc.), à dix ans passés de sa mort, prouvent que l’unité de mesure de la valeur d’une œuvre est le lecteur.
Nous avons voulu faire la connaissance du lecteur durassien. Dresser son portrait n’a pas été chose facile, surtout que son identité cache plusieurs facettes. Il a fallu consulter les archives de l’écrivain, les articles de presse écrits au fil du temps sur elle, il a fallu aussi déterminer et analyser les différents effets de lecture que son œuvre a produits chez ses lecteurs. Ainsi, on a pu déterminer une typologie du lecteur durassien et faire la part de l’adulation et de la moquerie suscitées par la personnalité de Marguerite Duras dans la conscience et les manifestations de ses lecteurs, représentatifs de milieux professionnels et de goûts très variés. Charles Dantzig, dans un article récent, réussit à rendre en quelques phrases l’effet-écrivain que fut Marguerite Duras :
‘« Marguerite Duras a reçu sa part de moquerie de son vivant. A propos de Hiroshima mon amour, Marguerite Yourcenar aurait dit : “Et pourquoi pas Nagasaki, mon chou ?”, et au moment de L’Amant, Patrick Rambaud l’a parodiée dans Marguerite duraille. Railleries proportionnelles à l’emphase où elle avait enflé. Eh ! Ella avait vendu un million d’exemplaires de L’Amant, et un fan-club à la Céline Dion lui susurrait jour après jour une vénération idolâtre. Il faut beaucoup d’esprit pour ne pas en conclure que les critiques sont amères et les ventes méritées. » 2298 ’Notre étude s’est d’abord donné pour visée d’interroger Duras, en considérant que chaque écrivain est le premier et le plus important lecteur de soi-même. On ne lui a pas demandé de dévoiler la vérité historique sur sa vie, car le discours « autobiographique » qu’elle tient à travers les éléments paratextuels suffit pour nous faire comprendre la dimension mythographique de son écriture. Duras est un écrivain ambigu qui aime brouiller les pistes, très narcissique, qui aime filtrer la vie et l’Histoire par son écriture. C’est ici la source de bien des malentendus dans le champ critique, qui n’a pas toujours accepté cette « vérité » de l’écrivain. La réalité immédiate (l’Histoire) et l’art de l’affabulation, de la suggestion, de l’ambiguïté, composent la double face du mythe de Marguerite Duras et du meilleur lecteur d’elle-même, qu’elle-même représente. Il est important de rappeler que Duras participe activement de son vivant à sa construction identitaire. Hormis les titres, les dédicaces, les préfaces, la correspondance, le pseudonyme, la présence de l’écrivain dans l’univers médiatique, sur les plateaux de télévision et à la radio, constitue une manière d’exposition ou d’exhibition de soi, une manière de mieux cacher la vérité sur elle et de mettre en déroute le lecteur par le « moi » trompeur qu’elle affiche. Qu’est-ce que Duras dit-elle d’elle-même à la télévision ou à la radio ? Quelle est l’image qu’elle veut qu’on retienne sur sa personnalité ? Elle s’acharne contre quelques-uns de ses confrères (Sartre, Robbe-Grillet) et en loue d’autres (Blanchot, Bataille, Queneau), elle parle de son cinéma et de son théâtre différents, elle tient des discours autobiographiques, parsemés de silences poétiques et oraculaires, tournés vers le mythe, soumis à son narcissisme déconcertant et au parlécrit durassien dont la principale caractéristique est le désordre intelligent d’idées. On a insisté ainsi sur les particularités de sa personnalité telles que Duras les affiche à travers ces éléments discursifs.
Un autre domaine où Marguerite Duras s’expose et se produit est le journalisme. Son activité dans ce domaine, qu’il s’agisse de la posture d’intervieweuse, d’interviewée ou d’auteur d’articles, est soumise à la logique de son écriture. Ceux qui n’ont pas compris ce déguisement de l’écrivain en journaliste, l’ont mal jugée pour les sujets scandaleux qu’elle aborde et pour le journalisme subjectif qu’elle propose au lecteur. Engagée sur la grande autoroute de la parole, Duras court sur la crête des mots pour les attraper et les insérer dans ce qu’elle appelle « l’écriture courante ». L’article qu’elle écrit sur l’affaire Villemin suit cette logique d’écriture. Duras transgresse les lois du journalisme. Elle est perçue comme une transgresseuse. De même, L’Eté 80 combine l’écriture d’information au conte. Que dire aussi des Parleuses ? C’est un livre issu d’un entretien, dont la typographie garde les silences. C’est un livre sur la parole, le livre de la transgression des lois de la littérature par excellence. Son narcissisme fait que tout soit ramené à elle, à son univers personnel et transformé en mythe. L’écrivain qui s’émeut et s’étonne devant sa propre personnalité agace. Duras journaliste déçoit l’horizon d’attente de ses lecteurs, le défie, le transgresse. Le côté fantasmatique de son journalisme lui procure beaucoup d’ennuis et l’image d’ « hérétique de la féminité » et d’écrivain impudique. Comment expliquer la part de malentendu dans sa réception par la critique de l’époque ? Comment l’expliquer autrement sinon par son désir de renouveler la conception de l’écriture ?
A partir de l’analyse des articles de presse écrits à l’occasion de la parution de chacun des livres de Marguerite Duras, on a pu observer en détail les courbes du succès de son œuvre, les réactions du public, les silences significatifs de la réception à son égard. On a ensuite pu repérer les moments de rupture ou les tournants dans l’œuvre, réaliser une typologie de ses lecteurs, définir leurs goûts littéraires et reconstituer la toile de fond politique et culturelle de l’époque. On a pu constater aussi les stylographèmes durassiens qui sont les thèmes récurrents et obsessionnels de l’écriture de cet écrivain (la mendiante, l’enfance, la mort, l’amour, l’inceste, le vent, la mer etc.). Mais par-dessus tout, on a vu combien la construction identitaire de l’écrivain est l’œuvre de toute sa vie, marquée par des rapports très tendus avec la critique et par des moments de gloire écrasante. Si dans la première partie de sa carrière d’écrivain Duras se montre très réceptive aux remarques de la critique liées à son manque d’originalité, après 1955, l’écrivain commence à définir et à imposer son style qui ne la quitte jamais, caractérisé par l’ambiguïté de l’écriture, par l’art de la suggestion, par des silences qui irritent, par des bavardages parfois interminables qui agacent. La critique littéraire est dépourvue d’indulgence à son égard et rares sont les livres qui ne reçoivent pas de reproches. En revanche, Duras, dont la notoriété ne cesse de croître, répond par l’entêtement d’écrire à son goût, en transgressant les lois de la littérature et en défiant ceux qui osent la critiquer. Quant à la critique des années 60 et même des années 80, on constate encore un attachement profond aux critères de l’herméneutique littéraire traditionnelle. On reproche par exemple au Ravissement de Lol V. Stein l’absence de jalousie de Lol, la fin indécise du livre, l’absence de chronologie dans le déroulement des faits, le dépaysement du lecteur par des imprécisions géographiques, l’absence d’intrigue linéaire. Dans les années 80, on lui reproche parfois le nombre réduit des pages, la manière d’écrire « sans lever la plume », qui fait que Duras « séduit et estomaque » le lecteur au rythme d’un livre par an, mais surtout le recyclage thématique scandaleux (inceste, homosexualité, sexualité). La critique réagit dans les années 70 par un silence très parlant à l’égard de cet écrivain réputé difficile. Duras contre-attaque et se moque à son tour de cette attitude critique. La confiance exagérée en son quasi-génie, le Goncourt et la présence télévisuelle des années 80 font de Marguerite Duras un vrai spectacle médiatique. Des noms lourds de la critique littéraire sont prêts à lui rendre hommage, d’autres la ridiculisent. Comme le disait Claude Mauriac, Duras prépare au roman des voix nouvelles. La critique littéraire reconnaît dans les années 90 être en difficulté devant les livres de Duras. Une sorte d’orage se déchaîne dans le champ de la critique avec L’Amant de la Chine du Nord, en 1991 : des blâmes et des éloges se combinent dans les mêmes articles critiques. Comment définir le rapport de Duras à ses lecteurs ? La construction identitaire de l’écrivain a-t-elle souffert suite à ce corps à corps avec la critique ? Si l’accueil aux tout derniers Duras laisse entrevoir un manque d’intérêt profond envers cet écrivain non-conformiste et des éclats d’ironie sévère par des invitations adressées au lecteur de rendre visite au « durasic park » pour voir les « durassottises » d’Ecrire, après sa mort on constate un intérêt grandissant de la critique à son égard. Cet intérêt est partagé entre des exercices de démolition et d’admiration qui témoignent du don que Duras a de diviser la critique, mais aussi de l’attirer et de la faire réagir.
Dans le dernier espace de notre travail réservé à la réception de Marguerite Duras, nous avons tenté de repérer différentes manières dont cet écrivain a été perçu au fil du temps et surtout après sa mort. Nous les avons appelées des « effets de lecture », selon la théorie de l’impact de l’œuvre sur le lecteur, soutenue par Iser et Jauss. Nous avons cherché à découvrir des effets de lecture moins exploités par la critique, tels les parodies de Rambaud ou les écrits-hommages dédiés à Duras par divers auteurs qui l’ont côtoyée et qui ont été ses disciples en matière d’écriture. On constate ainsi que Marguerite Duras divise ses lecteurs, de manière volontaire, entre des adulateurs et des détracteurs. Le délice de notre entreprise a été d’analyser les perceptions de l’écrivain d’une façon spécifique pour chaque catégorie de lecteurs, ainsi que les effets de lecture qui leur sont propres. On s’est ainsi amusé à découvrir Patrick Rambaud, lecteur déçu, énervé, ennuyé par Duras, et ses deux livres-parodies qui constituent un remarquable exercice de moquerie par la charge. Mis à part ce côté éreinteur du geste rambaldien, on a pu discerner l’importance de la figure de Marguerite Duras dans le paysage littéraire français, ainsi que l’importance qu’on accorde à son œuvre qui est lue de bout à bout, chose dont l’écrivain est très fière. On a pu constater aussi l’intérêt que l’œuvre de Duras présente dans le milieu universitaire où les étudiants travaillent leur style en s’exerçant à pasticher les livres durassiens.
L’écriture imitative se joint à un autre exercice basé sur la charge : la caricature. On a pu voir combien l’écrivain et son style de vie et d’écriture prêtent à la caricature. Certes, l’intensité de l’éreintement dans le portrait à charge de Duras est variable. Mais on ne peut pas s’empêcher d’y lire des gestes censés déformer la perception sur cet écrivain. On a exploité dans ces portraits le vieillissement de l’écrivain, ses grosses lunettes, son col roulé, ses bijoux, ses traits asiatiques, le côté ambigu de l’écriture, le recyclage thématique, bref, tout ce que la critique reproche et tourne en dérision chez cet écrivain au fil du temps. Mais peut-être que la forme la plus agressive de critique négative appartient à Maurice Lemaître, dont les accusations de plagiat et de manque d’originalité, adressées à Duras, nous ont fait penser sérieusement à l’impact que « le théâtre et le cinéma différents » durassiens ont eu sur le jugement artistique de l’époque, ainsi qu’à l’image que Duras elle-même s’est faite, celle d’un artiste qui fait de l’ombre.
Enfin, la richesse biographique qui existe au nom de Duras, les écrits-hommages de Bernard Sarrut, de Brigitte Giraud, d’Enrique Vila-Matas ou encore de Pascal Nottet, ainsi que les livres sur la photoréception de l’écrivain et l’intérêt de la psychanalyse pour son œuvre, témoignent de l’impact local, individuel, que l’œuvre de cet écrivain a pu exercer sur ses lecteurs. Que peut-on constater après l’analyse de tous ces gestes critiques ? Comment les lecteurs se rapportent-ils à Duras ? Journalistes, écrivains, historiens, universitaires ont été touchés par l’œuvre de Marguerite Duras et ont été suscités à écrire. Les uns se retrouvent dans la situation des personnages durassiens et la lecture des livres de cet écrivain les soulage de leur souffrance et les guérit. Cela confirme le propos lacanien sur la qualité de « clinicienne sans le savoir » de Marguerite Duras. L’effet de lecture est alors la biographie, forme d’hommage et de reconnaissance, qui se propose de trouver la vérité de et sur celle qui reste à jamais inconnaissable. Les autres attendent de leur rapport à l’écrivain une sorte de transsubstantiation de génie. L’effet de lecture est alors l’écriture de livres très durassiens qu’ils dédient, reconnaissants, à leur égérie. D’autres encore sont charmés par la présence physique de l’écrivain et ils ne peuvent pas faire mieux que l’immortaliser dans des livres conçus à la manière de Marguerite Duras. C’est-à-dire, dans des livres où texte et image s’inventent mutuellement, sans jamais se toucher.
Emu, agacé, vaincu, hésitant, charmé, élogieux, dénonciateur, ennuyé, le lecteur de Marguerite Duras est là pour participer volontairement ou sans son accord à la construction identitaire de l’écrivain, mais aussi pour prolonger la vie de son œuvre monumentale. Notre étude a mis délibérément l’accent sur les questions visant le lecteur et le rapport de Duras à cette instance critique prioritaire, car il nous est apparu que ce type d’approche a été insuffisamment entrepris jusqu’à ce moment. L’image de Duras, écrivain « difficile » et mal jugée, a besoin de cette étude comparée des réceptions qu’on lui a faites au fil du temps. Les gestes critiques toujours divisés entre des adulations et des attaques phobiques sont là pour reconnaître à Marguerite Duras sa graphogénie, sa photogénie, sa télégénie, sa phonogénie. Ils sont là pour reconnaître à Duras qu’elle s’est beaucoup investie affectivement dans la relation avec le lecteur, qu’elle aime séduire, qu’elle aime troubler par sonambiguïté, qu’elle aime choquer et qu’elle aime déranger par son refus desnormes.
Notre étude a permis d’éclairer la source des malentendus à son égard en interrogeant directement ses lecteurs. En même temps, on a désiré rendre accessibles au public des exercices d’admiration et de démolition moins connus et moins exploités, qui risquaient de rester encore longtemps peut-être dans l’ombre. Le renouveau dans l’approche critique sur Marguerite Duras, que nous avons voulu proposer, porte sur le recentrage du regard critique vers la figure du lecteur et sur le rapport de l’écrivain à cette instance. De la confrontation des divers points de vue critiques, ainsi que de l’interaction entre auteur-œuvre-lecteur, on obtient une construction identitaire de Marguerite Duras sinon complète, car la lecture est en soi un univers illimité et donc toute prétention d’exhaustivité serait injuste, du moins proche de la réalité voulue par l’écrivain et par la critique. Réussir cette « confrontation » témoigne d’abord d’une volonté de défier la curiosité scientifique et de prouver que Duras est avant tout un grand écrivain et non seulement objet de recherche, d’écriture, d’éreintement ou d’admiration. Duras n’est d’ailleurs pas un objet, elle une personnalité artistique bien vivante grâce à ses lecteurs. Bien plus, elle est la somme de tous ses lecteurs. En affirmant ceci, nous ouvrons une autre piste de recherche sur Marguerite Duras, qui pourrait compléter incontestablement et de manière enrichissante notre étude : la réception de l’écrivain à l’étranger. Un grand défi, certes, mais toujours envisageable.
« Duras la reine Margot » par Jacques-Pierre Amette, Le Point, n° 1008, du 11 janvier 1992
Prix Goncourt 1984 pour L’Amant, Grand Prix de l’Académie du cinéma pour India Song (1973), grand prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre (1983), Prix Ritz-Paris-Hemingway pour L’Amant (1986)
Le Point, n° 1008, du 11 janvier 1992
L’Express du 21 décembre 2006 fait le point sur la notoriété de Marguerite Duras en 2006 et attire l’attention particulièrement sur le fait que tous ses éditeurs se frottent les mains : Marguerite Duras a acquis aujourd’hui le statut de grand classique français. Alors que les lycéens de France décortiquent L’Amant, Moderato cantabile ou Un Barrage contre le Pacifique, les Chinois se délectent d’une grande partie de son œuvre, tout comme les Anglais, les Allemands, les Italiens … Les ventes réalisées à l’étranger impressionnent (certains de ses livres sont traduits en 35 langues – dont les exotiques géorgien et cinghalais), et, dans l’Hexagone, elles explosent. Chez Gallimard on annonce plus de 4 millions d’exemplaires, toutes éditions confondues, pour 32 titres, avec, comme trio de tête : Un Barrage (700000 exemplaires), Hiroshima (600000) et l’Amant de la Chine du Nord (300000). Aux éditions de Minuit, c’est l’Amant qui pulvérise les records : 1,5 million d’exemplaires vendus, sans compter 1 million d’autres « labélisés » France Loisir. Mais tous continuent à vivre, de Moderato cantabile (10000 par an) à La Maladie de la mort (4800 en 2006)/ Même les plus difficiles, comme Détruire dit-elle, s’écoulent plus de trente ans après leur parution. Grande satisfaction aussi chez POL, qui réimprime deux fois les Cahiers de guerre et autres textes (40000 exemplaires en 2006), exportés dans 13 pays.
« L’émotion Duras » par Geneviève Brisac, Le Monde, 31 mars 2006
« Mitterrand et moi » par Charles Dantzig, Le Magazine littéraire, n° 452, avril 2006, p. 65