Université Lumière Lyon 2
École doctorale : EPIC (Education, Psychologie, Information et Communication)
Les traces écrites de planification en Education Physique et Sportive, espace de médiation entre les savoirs experts et l’action d’enseignement
Le cas du handball
Thèse de doctorat de sciences de l’éducation
sous la direction de Michel DEVELAY
soutenue le 26 juin 2008
Composition du jury :
Thierry TERRET, professeur à l’université Lyon 1
Michel DEVELAY, professeur à l’université Lyon 2
Christian ALIN, professeur à l’université Lyon 1
Marguerite ALTET, professeure à l’université de Nantes

Dédicace

À Cécile et à Barnabé
Aux enseignants qui ont bien voulu donner leurs traces écrites de planification (une partie d’eux-mêmes)
À Michel Develay pour ses exigences et sa patience, sans lui ce travail de recherche serait resté dans le plaisir d’étude.

Contrat de diffusion

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Présentation

Depuis les instructions données en 1923 aux enseignants d’éducation physique par Léon Bérard, alors Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux Arts, instructions stipulant que « toute leçon d’éducation physique doit être préparée comme les autres, par écrit », l’Institution ne revint plus explicitement sur cet aspect du travail de l’enseignant d’éducation physique.

L’effort de mémoire lié à la recherche des déterminants de cette thèse s’appuie sur les événements professionnels qui ont accompagné un parcours professionnel de vingt-sept années jalonnées de statuts divers en EPS (étudiant, enseignant, formateur, aide-IPR) et en sport (formateur fédéral en handball), événements qui ont témoigné de l’importance de l’écrit dans cette discipline qui ne le fréquente guère.

Pendant ma formation de futur enseignant d’éducation physique, puis lors de mes interventions auprès des élèves, il me fallait faire un effort pour préparer mes interventions sur le terrain de manière à mettre en cohérence le dire et le faire. Je savais quoi faire faire aux élèves sans pouvoir vraiment le formuler par écrit, la tension entre le savoir à transmettre et le comment faire apprendre posait déjà problème. Soucieux de respecter  les cadres préétablis par mes formateurs, les planifications de mes enseignements furent constantes. Elles alliaient la prévision au bilan et à la consignation de ce qui avait été fait. L’angoisse aidant, mes préparations de leçons c'est-à-dire mes écrits de planification m’apparaissaient comme un acte professionnel nécessaire.

Ma première inspection jeta le trouble sur mes manières d’écrire et de planifier mon enseignement. Fier de mes notes et de mes préparations présentées à l’inspecteur, la leçon alors écrite n’en était que l’aboutissement. Elle fût déclinée par les énoncés classiques d’une séance d’athlétisme de course sur piste, lesquels n’avaient pas pris en considération les conditions matérielles dans lesquelles j’allais me trouver. L’entretien suivant l’inspection se déroula directement sur le terrain, et l’inspecteur emporta mes écrits de planification sans que nous puissions vraiment en discuter. Le rapport d’inspection se résuma à une critique des conditions d’enseignement et à l’approche très techniciste de ma leçon. Le commentaire spécifia aussi que je préparais correctement et régulièrement mon travail et que la séance du jour était classique et adaptée, mais que j’aurais pu introduire d’autres points techniques tel que « le placement du bassin ». L’inquiétude germa : je n’avais réellement pu expliquer les causes et les déterminants de mes choix didactiques planifiés.

Après quelques années d’enseignement et de responsabilités en tant que coordonnateur de ma discipline au sein de différents établissements, je fus amené à construire des documents didactiques pour mes collègues. Il m’était difficile de concevoir des documents à usage collectif sans m’appuyer sur mes propres préparations ou vécus professionnels. Les sources écrites de la planification de mon enseignement devenaient le lieu essentiel pour entretenir ma réflexion didactique et pédagogique. Or, ces documents à usage collectif firent l’objet de critiques des enseignants de mon établissement : « c’est de la théorie », « on veut des outils de terrain ». Ces quelques remarques m’amenèrent à considérer que ces documents de communication relevaient d’un autre discours ; il fallait en revenir aux écrits de planification, être plus proche de l’action d’enseignement. Un regard sur les productions ou les travaux relatifs à l’enseignement de l’éducation physique me le confirma : certains étaient trop généraux (discours sur la profession, sur les tâches et les conduites à tenir), d’autres trop spécifiques à une activité sportive. En comparant écrits de planification et écrits didactiques publiés au niveau professionnel, j’avais l’impression que chacun relevait de compétences différentes, l’un étant un document d’information et l’autre un document de travail.

Un engagement de plusieurs années comme formateur me fit aussi prendre conscience que l’éducation physique était perçue par les enseignants des autres disciplines scolaires comme ayant peu de références écrites : on n’avait pas de devoirs à corriger, pas de livre de cours, pas de vraies théories à enseigner. L’enseignant d’éducation physique paraissait en revanche très performant dans l’art d’organiser et de gérer un enseignement : le prof. d’EPS était un professionnel de l’improvisation. À ma grande insatisfaction, on ne pouvait l’imaginer comme un concepteur ni comme un didacticien : le statut d’animateur était attribué au « prof de gym » sans qu’il puisse faire valoir ses tâches d’enseignant.

Mon activité de formation auprès d’enseignants d’éducation physique me confirma que l’écriture était un obstacle pour beaucoup d’enseignants de ma discipline qui aimaient recevoir des consignes, des informations, des outils didactiques mais qui se refusaient souvent à produire eux-mêmes par écrit leurs propositions didactiques à des fins de communication. La plupart préféraient le discours oral à partir d’exemples de terrain. L’intimité de l’écrit professionnel n’était pas à l’ordre du jour ; elle était en opposition avec la réalité du terrain où les enseignants d’éducation physique et sportive étalaient aux yeux des autres leurs savoir-faire professionnels : dans la cour, sur le stade, dans le gymnase, à la piscine.

Ma situation de formateur auprès d’enseignants d’autres disciplines me mit dans la position fâcheuse où l’embarras de l’écriture devint gênant. Me rappelant mes difficultés scolaires à écrire correctement le français sans faute d’orthographe, je pris là conscience du choix d’un métier que j’avais voulu faire, un métier où l’on est censé peu écrire. Mon niveau sportif et le plaisir de l’activité physique n’étaient sans doute pas la raison suffisante d’un tel choix. Au contraire, je paraissais aux yeux des enseignants de terrain de ma discipline comme un "intellectuel" (d’autres diront un "théoricien"), alors que je ressentais toujours un manque de culture. Le savoir me paraissait lié à l’écriture et à la lecture, le savoir-faire à un empirisme professionnel niché dans des habitudes.

Plus tard dans ma carrière, je me suis retrouvé à évaluer l’enseignement de collègues. Je ne comprenais pas toujours les justifications que souhaitait m’apporter l’enseignant lors de l’entretien qui cherchait à lier l’objectif technique de sa leçon planifiée avec une finalité inscrite au programme d’éducation physique, et ce pour légitimer ce qu’il faisait effectivement sur le terrain. La foi dans une justification forcée et dans l’utilisation de concepts nouveaux propres à notre discipline faisait office d’explication. Face aux traces écrites des préparations de leçons parfois faites à l’occasion de l’inspection, je compris plus sûrement l’agencement didactique et les raisons qui poussaient les enseignants à agir de telle façon avec leurs élèves. L’écriture des préparations m’apparaissait comme un discours plus réaliste, plus professionnel qu’un entretien à dominante institutionnelle. J’imaginais que l’enseignant avait peut-être mis dans cet écrit tout son savoir professionnel pour montrer à l’inspecteur ce qu’il savait de son métier. Les traces écrites de planification pouvaient peut-être recéler un savoir professionnel intéressant ; l’idée d’en comprendre le contenu, le sens, devint un but.

Ma position d’enseignant auprès d’étudiants me permet aujourd’hui de constater combien ceux-ci planifient leur intervention en faisant la synthèse momentanée de ce qu’ils savent sur le quoi et sur le comment enseigner à travers leurs documents de planification. Au quotidien, ils abandonnent ainsi progressivement le cadre canonique pour produire des écrits de planification plus personnalisés et opérationnels qui sont devenus de véritables documents d’anthropologie professionnelle. Je pressentais que ces écrits contenaient un savoir professionnel à l’abandon et qu’il était nécessaire d’en interroger la pertinence professionnelle.

Parallèlement à mon activité professionnelle, je m’engageai dans une formation fédérale en handball. Un brevet d’état deuxième degré me permit de m’occuper de la formation de cadres fédéraux et d’entraîneurs de clubs. L’évaluation et le suivi des formations ainsi que les passations de brevets fédéraux m’amenèrent à prendre en considération que, là aussi, l’activité de planification et d’écriture était un moyen d’évoluer et de réussir dans la conception de son enseignement. Je n’avais que des suppositions, des inquiétudes et des intuitions ; rien ne me permettait de prouver que les écrits de planification des enseignants d’éducation physique ou des intervenants dans le milieu fédéral conservaient un savoir-faire professionnel. Devant l’illusion de la connaissance spontanée et du savoir immédiat, il fallait imposer une polémique contre les évidences aveuglantes.