I.3. Résultats quantitatifs du questionnaire et interprétation.

Tableau 1 : Les populations de l’enquête.
Nombre d’enseignants d’expérience par tranches années de 5 ans. Nombre d’enseignants débutants.
1 à 5 ans 12 Licence 74
6 à 10 ans 20
11 à 15 ans 09 PLC2 45
16 à 20 ans 16
+ 21 ans 37 Total 119
Total 94
Tableau 2. Question 1 : Est-il utile en éducation physique de préparer par écrit ses situations d’apprentissage?
  Enseignants d’expérience Enseignants débutants
OUI 56,38% 70,58%
ÇA DÉPEND 43,62% 29,41%
NON 00,00% 00,00%

Discussion : Compte tenu de la valeur que nous accordons à l’objet traces écrites, nous relevons ce double constat. D’une part, la majorité des enseignants considèrent qu’il est utile de préparer par écrit ses situations d’apprentissage, mais un fort pourcentage d’entre eux implique qu’il n’est peut-être pas toujours nécessaire de passer à l’écriture pour planifier son enseignement. D’autre part, quelques enseignants sollicités par voie postale ont répondu qu’ils ne préparent pas par écrit leur intervention sur le terrain et qu’ils enseignent à partir d’une idée générale de ce qu’ils vont faire sur le terrain. Pourtant, il semble difficile de classer ces derniers dans la catégorie des enseignants qui ne planifient pas.

François Victor Tochon (1993) fait remarquer que les enseignants n’ont pas toujours recours à l’écriture pour programmer ce qu’ils vont faire en cours, qu’ils agissent parfois simplement à partir d’une structure mentale mobilisée juste avant l’intervention. Un plan, un scénario, des décisions apparaissent dans les quelques instants qui précédent l’intervention. Se pose bien le problème de l’écriture et de la planification d’un enseignement.

Si la majorité des enseignants du secondaire se disent favorables à l’écriture de leur travail, aucun n’envisage l’inutilité de tels écrits même si quelques uns se sentent capables de penser leur enseignement avant intervention sans passer par la phase d’écriture. Nous remarquons que les enseignants débutants se soucient plus que les enseignants d’expérience de l’utilité du passage à l’écriture pour planifier leurs situations d’apprentissage. La légitimité de l’écrit demande donc son explication.

Avertissement : La hiérarchisation par ordre de préférence de un à trois était une stratégie permettant aux enseignants de bien sélectionner la réponse préférée sans condamner d’autres choix. Mais nos commentaires s’établissent sur la totalité des réponses les plus significatives, c'est-à-dire celles qui obtiennent le plus de suffrages. Nous avons alors procédé à un classement par ordre d’importance. Pour comparer les deux groupes d’enseignants, nous avons fait apparaître le classement correspondant de l’autre groupe par rapport aux trois premiers choix de chacun. Parfois, lorsque les réponses sont significatives nous faisons apparaître le classement au-delà du troisième rang.

Tableau 3. Question 2 : De quelles façons les écritures de situations d’apprentissage faites par un enseignant d’éducation physique et sportive peuvent-elles l’aider ?
Libellés Enseignants d’expérience Enseignants débutants
Avoir un plan d’intervention 1 2
Pour gérer, rationaliser sa leçon 2 5
En écrivant, on améliore sa réflexion 3  
Pour suivre l’évolution du cycle 4 1
Supprimer l’anxiété, être plus confiant   3
Avoir des repères   3

Dans l’ensemble, les réponses des enseignants d’expérience sont attendues et sont pratiques ; les écrits aident d’abord à avoir un plan, permettent ensuite de gérer et de rationaliser leur leçon pour finalement favoriser la réflexion. Pour les enseignants d’expérience, les écrits ont un effet prédictif et un effet rétroactif avant d’avoir un effet « réflexif »9.

Nous comprenons que les enseignants débutants considèrent les écrits de planification comme une aide pour construire une expérience professionnelle et comme un moyen de prendre des repères sur leur enseignement.Ces enseignants donnent plus d’importance à l’aspect rétrospectif de leur enseignement qu’à son anticipation. La priorité serait de suivre le cycle10 (quatrième position pour les enseignants d’expérience), d’avoir un plan, d’avoir des repères, de supprimer l’anxiété, d’être plus confiant. Pour la réponse classée en troisième position, deux réponses viennent à égalité : « supprimer l’anxiété, être plus confiant » et « avoir des repères ». Ces réponses correspondent à une vision (plus) classique de l’utilité des écrits de planification.

L’idée de gestion ou de rationalisation ne vient qu’en cinquième position pour les enseignants débutants. Ce résultat mérite qu’on le souligne car l’analyse des traces écrites fait apparaître une contradiction ; en effet, ce sont les enseignants débutants qui accordent le plus d’énoncés à cet aspect du travail de planification. Les enseignants d’expérience disent l’importance qu’ils accordent aux processus organisationnels ; la réponse à la question : « pour gérer, rationaliser sa la leçon » vient en deuxième position et leurs énoncés analysés confirment ce classement.

Les réponses des enseignants débutants et des enseignants d’expérience repoussent l’idée qu’il y aurait à concevoir les traces écrites comme la raison principale à vaincre l’anxiété. Sur la base des études de Yinger et Clark, Evelyne Charlier11 rappelle que la planification a parmi ses trois grandes fonctions celle de diminuer l’anxiété et de sécuriser l’enseignant en priorité. Involontairement ou pas, elle place cette raison en première position. Les deux autres fonctions des traces écrites sont d’organiser l’environnement éducatif ainsi que les activités d’enseignement et d’apprentissage. En rapprochant les réponses de notre questionnaire aux bilans qu’elle dresse, nous remarquons que ces réponses obtenues se lisent de manière proportionnellement inverse à ces bilans et qu’elles entrent en contradiction avec eux. Ainsi, les réponses font état que les enseignants débutants et d’expérience donnent une priorité à la fonction d’organisation des activités d’enseignement et d’apprentissage.

La seconde fonction qui a trait à l’organisation de l’environnement éducatif (temps d’enseignement, minutage, choix des lieux, choix de matériel) est considérée comme moins importante dans la phase de planification par les enseignants que nous avons questionnés. Cela dit, nous avons relevé que seuls les enseignants débutants arrivent à planifier des énoncés concernant le matériel et accordent un peu d’importance au minutage des situations proposées.

En général, les écrits sont considérés dans le sens d’une aide professionnelle pour fixer l’enseignement et pour entamer une réflexion sur ce dernier.

En voulant avoir un plan d’intervention et suivre l’évolution du cycle, nous retenons que les enseignants des deux groupes considèrent les traces écrites comme traces d’une organisation. À lire Bruno Latour développant l’argument selon lequel l’écriture n’est « pas tant une méthode de transfert d’information qu’une opération matérielle de création d’ordre »12, cette mise en ordre permet d’identifier des scénarii de leçons et de justifier la lecture scénarisée que nous en avons faite.

Tableau 4. Question 3 : Quelle(s) forme(s) prennent vos préparations écrites des situations d’apprentissage ?
Libellés Enseignants d’expérience Enseignants débutants
Dessins et plans 1 1
Libellés des objectifs 2 3
Plan du déroulement de la leçon 3 2

Les enseignants des deux groupes répondent en priorité que leurs préparations écrites prennent la forme de dessins et de plans. Nous avions volontairement choisi de libeller la question dans ce sens, car nous savions déjà que l’ensemble des écrits correspondait souvent à un plan agrémenté de dessins. Ce qui nous semble important dans la hiérarchisation des réponses, c’est que les enseignants pensent d’abord aux plans et aux dessins avant de libeller leurs objectifs. Un indice nous fait penser que la préoccupation première des enseignants est d’avoir un plan d’intervention et des dessins dont l’un sert à fixer le déroulement temporel de la leçon, les choses les plus importantes à faire, et l’autre à symboliser le contexte d’intervention, l’aspect spatial. Il est remarquable que bon nombre de notices d’utilisation, de sécurité et de planification proposent croquis et dessins associés à un plan chronologique d’explication.

Les quelques études faites dans d’autres disciplines au niveau des écrits de planification ne mentionnent pas l’usage de dessins concernant l’espace de travail ou d’action. Par contre, des études sur la planification (en simulation) dans d’autres milieux professionnels (les sapeurs pompiers par exemple) montrent très bien l’usage de cartes, de plans et de dessins pour préparer l’intervention.

Les enseignants d’expérience placent en seconde position l’écriture des objectifs d’enseignement. Cependant, nous constatons plus loin que les objectifs planifiés sont souvent d’ordre technique et qu’ils constituent à eux seuls le contenu d’enseignement. L’énoncé de l’objectif technique semble suffisant pour lancer l’action d’enseignement.

Les résultats de ce deuxième type de questions sont à mettre en relation avec ceux que nous avons obtenus au niveau de l’analyse des profils didactiques à venir. La mobilisation de l’unité didactique « mettre en relief des connaissances et compétences » montre bien que les enseignants d’expérience donnent plus d’importance à l’écriture des objectifs d’enseignement (73,84%) que le font les enseignants débutants (49,18%). Pour les experts handball, le pourcentage est de 68,37%.

Selon une première interprétation des traces écrites, plus les enseignants ont de l’expérience et plus les descriptions de la situation d’apprentissage cèdent le pas au plan et au libellé des objectifs ; parfois, un libellé d’objectif et un plan ou quelques énoncés d’organisation suffisent à planifier la situation d’apprentissage pour les enseignants d’expérience. Par contraste, les enseignants débutants décrivent en priorité et abondamment la situation d’apprentissage avant de libeller des objectifs. Leur préoccupation est bien le « quoi faire faire aux élèves » plutôt que « quel objectif et comment l’atteindre », ce que confirme notre analyse des énoncés des situations d’apprentissage pour les enseignants débutants. Ceux-ci ont plus le souci de mettre en activité les élèves et de faire fonctionner la situation d’apprentissage (penser sa situation dans le détail) que d’atteindre un objectif éducatif précis. En outre, on est plus du côté de l’animation chez les enseignants débutants que du côté de la visée éducative ; chez eux, nous avons parfois affaire à des leçons entières sans que des objectifs soient déclinés. Les réponses au questionnaire semblent confirmer cette tendance.

François Victor Tochon rappelle que « plusieurs synthèses des travaux sur la planification des enseignants ont indiqué que les objectifs ne font pas partie de leurs priorités »13. Cela nous apparaît plus significatif chez les enseignants débutants et moins chez les enseignants d’expérience. Au contraire, les réponses de la question n° 7 (« que permet l’écriture des situations d’apprentissage » : « de décrire les intentions [buts et objectifs] ») montrent que les objectifs sont là une priorité pour les deux groupes d’enseignants. Nous le comprenons de l’analyse des énoncés qui rend pertinente cette hypothèse. Les enseignants débutants assimilent les situations techniques planifiées qu’ils décrivent à des objectifs relatifs à leur enseignement. Il est alors évident que les objectifs sont confondus avec les moyens utilisés pour enseigner c'est-à-dire avec ceux-là mêmes qu’ils décrivent.

La troisième réponse indique bien la nécessité d’avoir un plan d’intervention (temporel), ce qui renforce nos propositions sur les scénarii de leçons ou situations d’apprentissage. Le plan du déroulement de la leçon est mieux considéré par les enseignants débutants et moins par les enseignants d’expérience. Il fixe en quelque sorte cet « inconscient pratique »14 de la routinisation d’une procédure de planification.

Tableau 5. Question 4 : La réflexion professionnelle en EPS passe-t-elle par une phase d’écriture ?
Libellés Enseignants d’expérience Enseignants débutants
JAMAIS 0% 0%
RAREMENT 1.68% 1.06%
QUELQUEFOIS 26,89% 34,04%
SOUVENT 63,87% 48,94%
TOUJOURS 7,56% 15,96%

Les réponses s’équilibrent entre les deux catégories d’enseignants ; ce qui est intéressant, c’est qu’il y a une forte proportion des enseignants qui donne crédit à l’écriture. Cette question se croise notamment avec la question numéro un, de sorte que nous avons la confirmation de notre première interprétation. Cependant, les enseignants débutants sont plus affirmatifs concernant l’utilité des écrits comme ils le sont moins concernant l’aide à la réflexion professionnelle.

En comparant les différentes réponses et leurs profils pour une approche moins qualitative par un regroupement entre « RAREMENT » et « QUELQUEFOIS » puis entre « SOUVENT » et « TOUJOURS », nous pouvons déduire que les enseignants d’expérience accordent plus de crédit et d’importance à l’écriture que les enseignants débutants. Il y a un écart assez significatif entre les différentes réponses.

On peut faire l’hypothèse suivante : suite aux différentes expériences de terrain, les enseignants d’expérience reviennent vers une meilleure prise en compte de la réflexion professionnelle hors du feu de l’action, l’écriture étant une forme d’étude personnelle. Après des études théoriques abondantes, les enseignants débutants donnent plus d’importance à l’expérience de terrain pour construire leur réflexion professionnelle.

Les réponses ci-dessus établissent que les enseignants considèrent d’une autre façon les traces écrites de planification et permettent de rendre manifeste l’information, la manière de se représenter l’action d’enseignement si l’on considère la réflexion professionnelle comme une capacité à soutenir l’action sur le terrain.

Tableau 6. Question 5 : Qu’utilisez-vous pour choisir vos situations d’apprentissage ?
Libellés Enseignants d’expérience Enseignants débutants
Votre expérience personnelle 1 1
Des adaptations de situations d’apprentissage vues ailleurs 2 2
Des idées personnelles que vous voulez vérifier sur le terrain 3 4
Des documents de la revue EP.S. 4 3

Les deux catégories d’enseignant font référence à leur « expérience personnelle » pour choisir leurs situations d’apprentissage. Les réponses laissent supposer que les enseignants d’expérience s’appuient justement sur leurs expériences d’enseignement et que les enseignants débutants sur celles acquises en stage pendant leur propre formation.

Parmi le choix de réponses des deux groupes d’enseignants, l’adaptation de situations d’apprentissage vues ailleurs retient notre attention. En effet, les situations d’apprentissage ne sont alors ni empruntées essentiellement à des ouvrages ni à des programmes, c'est-à-dire qu’elles ne sont pas apprises en formation. La question était volontairement posée de cette façon car un "pré-questionnaire" a légitimé la différence entre le voir et le lire lors de l’élaboration du questionnaire. Les enseignants d’éducation physique et sportive empruntent beaucoup par observation à d’autres enseignants. Le gymnase ou le stade ne sont-ils pas des classes ouvertes aux regards ? Cependant, parmi les traces écrites analysées, l’enseignant débutant n°11 fait un véritable bricolage en transformant des situations d’apprentissage qu’il a photocopiées dans des ouvrages ; il alterne entre documents bricolés à partir d’un original et traces écrites faites entièrement à la main, mais les situations d’apprentissage sont toujours issues du milieu professionnel propre à l’enseignement de l’activité handball. Dans ce cas, les situations d’apprentissage choisies ne sont pas vues mais lues.

Par leurs réponses, les enseignants débutants comme ceux d’expérience confirment notre hypothèse que les traces écrites de planification concentrent bien des savoirs professionnels « originaux » non connus publiquement. Encore une fois, ces « savoirs originaux » (que nous définirons au cours de notre travail) mettent en perspective les résultats du savoir-faire de ces enseignants.

Les enseignants du secondaire se réfèrent en priorité à leur expérience personnelle et aux adaptations de situations d’apprentissage vues ailleurs. Ce constat légitime alors l’analyse des situations d’apprentissage empruntées à d’autres enseignants, lesquelles assemblent des savoirs originaux internes à toute une profession. Par ailleurs, nous pensons que les productions didactiques officielles ne représentent pas exactement ce qui se passe professionnellement sur le terrain. Grâce aux réponses du questionnaire et à notre analyse des énoncés des situations d’apprentissage, nous comprenons que les savoirs professionnels se transmettent plus par copiage, par imitation, par transformation et adaptation que par reproduction d’une version officielle décontextualisée.

Le classement effectué indique également que les enseignants (classement en troisième réponse pour les enseignants d’expérience et quatrième pour les enseignants débutants) sont de véritables concepteurs se proposant de vérifier sur le terrain des idées d’enseignement avec le profil scientifique15 qui est le leur. Il y aurait alors une autoformation en dehors des cadres institutionnalisés, ce que constate d’ailleurs Cécile Collinet (2005).

Pour leur part, les enseignants débutants sont plus enclins à choisir des situations d’apprentissage dans des écrits professionnels publics comme peut en présenter la revue EP.S. Ils classent en troisième position cette ressource professionnelle. On peut présumer que l’innovation didactique concerne plutôt des enseignants d’expérience.

L’enseignant d’éducation physique travaille dans un milieu ouvert : cour d’école, stade, gymnase, piscine, terrains de jeux. Dès lors, il semble normal qu’il y ait un échange professionnel par observation mutuelle d’un enseignement qui se voit. Ce qui est surprenant, c’est que les enseignants débutants et d’expérience ne classent pas dans les trois premières réponses les références qu’ils pourraient faire aux instructions officielles. Par exemple, la proposition 8 (« Des situations prises dans les programmes officielles ») est choisie seulement en sixième position sur les huit possibles. Une bonne partie des enseignants d’expérience sollicités pour ce questionnaire étant jurys au C.A.P.E.P.S. c'est-à-dire venant de toutes les régions de France (comme les enseignants débutants, qui vont passer ou ont passé le concours), ils devaient être alertés par l’importance des programmes et des exemples proposés le plus souvent sous la forme de situations de référence. En effet, il semble nécessaire d’étudier ce qui se passe en éducation physique au niveau de la transposition didactique et de la planification, surtout quand le lieu de l’enseignement parait encore protégé contre un discours officiel et un regard conventionnel. L’importance de la noosphère est donc ici relativisée, cherchant à mettre en évidence une vision moins technocratique et plus professionnelle de la transposition didactique. Il y a de fait une pensée professionnelle créatrice qui doit reposer sur des connaissances professionnelles transmises par l’observation des autres.

Dans leur bilan d’étude sur la planification d’enseignants d’éducation physique, Brou N’zi et Pauline Desrosiers16 rapportent que les enseignants ont eu recours à des plans de planification des années antérieures, à des ouvrages spécialisés sur les habiletés techniques, à des d’informations prises auprès de collègues ou au programme local (ce qui est pour nous le projet d’établissement), aux commentaires informels entre enseignants, à l’expérimentation des situations d’apprentissage conçues et expérimentées par de proches collègues ou des enseignants d’autres écoles, à leur expériences personnelles en entraînement et à des extraits d’informations venant de revues sportives. Cette recherche décrit une planification qui s’appuie essentiellement sur des données variées, prises dans l’environnement immédiat des enseignants et notamment à des communications professionnelles de terrain. Les enseignants annoncent un peu plus loin dans l’enquête qu’ils prennent aussi leurs sources dans le programme du ministère mais qu’ils usent le plus souvent de documentations privées.

Cela relance l’intérêt d’étudier des écrits de planification qui reposent sur un véritable travail de conception par adaptation, tant sont aléatoires les conditions d’enseignement et tant est notable l’absence de contenus de programmes détaillés.

Marc Durand17 constate que la didactique officielle et celle des spécialistes de différentes disciplines ne sont jamais appliquées à la lettre dans les leçons d’éducation physique et sportive. Selon lui, les contenus d’enseignement sont le résultat d’échanges informels si l’on considère que l’observation de terrain entre enseignants n’est pas encore entièrement légalisée.

Les savoirs et les compétences professionnels des enseignants du secondaire sont renouvelés par le phénomène d’imitation/adaptation tel qu’il est régulé par celui de la transposition didactique/planification.

Tableau 7. Question 6 : Que pensez-vous qu’un enseignant d’éducation physique et sportive doit faire pour préparer ses situations d’apprentissage?
Libellés Enseignants d’expérience Enseignants débutants
Préparer par écrit les points les plus importants 1 1
Écrire pour réfléchir à ce qu’il va faire 2 2
Préparer par écrit les situations d’apprentissage qu’il enseigne peu souvent 3  
Préparer par écrit toutes ses situations d’apprentissage   2

Les enseignants des deux groupes indiquent en priorité qu’ils préparent leurs contenus d’enseignement en écrivant seulement les points les plus importants. Cela correspond à notre hypothèse de départ : les écrits de planification sont une concentration des savoirs professionnels, c'est-à-dire que tout n’est pas écrit dans le détail. Les énoncés écrits sont de véritables îlots cognitifs qui deviennent une concentration de sens ; le rôle de notre analyse est de développer ce sens.

Une première analyse – « pour voir » – des écrits permet d’avancer une seconde hypothèse : les points les plus importants correspondent à des moments-clés de la situation d’apprentissage ou à des énoncés traitant de la nouveauté. À partir des énoncés écrits, notre analyse de contenu cherche à vérifier cette idée et à repérer à quoi correspondent ces moments. Nous comprenons déjà que les habitudes enseignantes et que les façons de mettre en place des situations d’apprentissage ne débouchent pas sur des énoncés hasardeux. L’idée est de pouvoir comprendre de telles habitudes, les points importants donnant un squelette des leçons et des situations d’apprentissage. Cependant, nous voulons relier certains points entre eux pour tenter de reconstituer une part de ce savoir professionnel.

Les deux groupes d’enseignants pensent entre autres qu’il est nécessaire d’écrire leurs contenus pour réfléchir à leurs actions, idée que nous développons à la fin de notre travail. Les réponses des enseignants d’expérience nous permettent pour lors de dire qu’ils écrivent afin de construire et de développer leurs propositions d’enseignement. Les enseignants débutants sont plus préoccupés par l’idée d’avoir assez de contenus pour enseigner ; ils veulent préparer par écrit toutes les situations d’apprentissage qu’ils souhaitent proposer aux élèves. Malgré leurs différences, les deux catégories d’enseignants ne sont pas surprises par la question et envisagent l’écriture comme un moyen de réflexion professionnelle ; il y a ici confirmation des réponses à la question n° 4.

La troisième réponse des enseignants d’expérience indique qu’il y a une nécessité à préparer plus précisément des situations qu’on enseigne peu souvent. On retrouve là un souci permanent chez tous les enseignants. On constate une abondance d’énoncés dans les premières leçons – tels est l’effet de nouveauté – puis une diminution progressive de ceux-ci au fil des leçons, sauf lorsqu’il s’agit d’une situation d’apprentissage nouvelle où il y a abondance d’énoncés.

Tableau 8. Question 7 : Que permet l’écriture des situations d’apprentissage?
Libellés Enseignants d’expérience Enseignants débutants
De décrire des intentions (buts et objectifs) 1 1
De bien hiérarchiser ses situations 2 2
D’innover et de créer de nouvelles situations d’apprentissage 3  
D’écrire ses instructions ou stratégies d’intervention   3

Ainsi, l’écriture est un moyen de fixer des intentions d’enseignement, des buts et des objectifs. Ces réponses confirment ce que nous lisons dans les traces écrites des intentions d’actions professionnelles, que les enseignants pensent décrire ces dernières dans leur planification. De la sorte, leurs écrits sont une façon de hiérarchiser leurs situations d’apprentissage. Nous avons là encore la confirmation que les scénarii didactiques ne sont pas dépendants de la simple planification, mais qu’ils renvoient à une volonté de classer et hiérarchiser les propositions d’enseignement à partir d’énoncés laconiques. Les enseignants ont donc bien une idée précise de la façon de mettre en scène leur enseignement. Les enseignants débutants confirment encore un peu plus notre raisonnement, car ils disent en troisième réponse que les traces écrites de planification leur permettent de préciser leurs instructions et leurs stratégies d’intervention en exposant ce qu’ils choisissent comme savoirs à apprendre et comment ils vont s’y prendre pour faire apprendre. Les traces écrites décrivent ainsi leurs stratégies et savoirs professionnels ; elles sont autant un moyen à l’enseignant de se comprendre18 qu’elles sont un moyen de comprendre le travail enseignant.

La réponse que les enseignants classent en premier recoupe les réponses à la question trois de notre questionnaire. Par elle, ils donnent plus d’importance aux intentions d’enseignement qu’aux objectifs (classement 2 et 3 à la série de question 3) alors qu’ils classent ici les intentions (buts et objectifs) en premier. Nous avons remarqué que les enseignants oublient facilement l’objectif général de départ pour se consacrer à des "sous objectifs" plus techniques et concrets. La planification d’une leçon ou d’une situation d’apprentissage se résume souvent pour eux à des intentions d’enseignement qui reposent sur quelques buts techniques.

L’écriture permet aussi aux enseignants d’expérience de préciser des projets d’action particuliers et d’innover. Cette réponse en troisième choix permet de réhabiliter les écrits de planification comme un moyen de créer et pas simplement de mémoriser un plan d’intervention, c'est-à-dire que la réflexion professionnelle passe nécessairement par l’écriture. Les enseignants débutants sont plus soucieux des conditions d’organisation de leurs situations d’apprentissage et des stratégies possibles d’intervention, ce que confirme l’analyse des énoncés ou des dessins précisant l’organisation de la situation d’apprentissage. Les enseignants débutants choisissent en quatrième position l’innovation, mais les réponses aux autres questions font encore apparaître le souci d’être bien organisé avant d’intervenir devant les élèves.

Notes
9.

Perrenoud, P. (2001). Déjà cité. Nous considérons la troisième réponse des enseignants d’expérience comme une première étape d’un « savoir analyser et rapport réflexif à l’action » d’enseignement, dans le sens que lui donne Perrenoud.

10.

Siedentop, D. (1994). Apprendre à enseigner l’éducation physique. Traduction et adaptation de M. Tousignant, P. Boudreau , & A. Fortier. Boucherville (Québec) : Éditions Morin Gäetan. (p.260). Cet auteur nous dit que les enseignants planifient d’abord pour « s’assurer qu’il existe une progression d’une leçon à l’autre. ». Mais il ne fait pas de différence entre enseignants d’expérience et enseignants débutants. Ensuite, il place la réduction de l’anxiété en troisième position. La seconde étant que la planification permet de rester centré sur la tâche et de gérer le temps de façon efficace.

11.

Charlier, E. (1989). Déjà cité. (p.28).

12.

Latour, B., & Woolgar, S. (1986). Déjà cité. (p.264).

13.

Tochon, F.V. (1992). EPS interroge François TOCHON. Entretien conduit par Marc Durand. Revue EP.S. 235, 9-16. (p.10).

14.

Perrenoud, P. (2001). Déjà cité. (p.146).

15.

Collinet, C. (2005). Quels savoirs scientifiques les enseignants d’EPS et les entraîneurs jugent-ils utiles ? Revue Française de Pédagogie, 150, 43-58.

16.

N’zi, B., & Desrosiers, P. (1992). Déjà cité.

17.

Durand, M. (2002). Déjà cité.

18.

Roques, M.H., Barrière, N., & Martinel, M. (2006). Écriture et poiesis : enquête sur les mémoires professionnels des enseignants de lettres en Midi-Pyrénées. In F. GROS (Ed.), Écrire sur sa pratique pour développer des compétences professionnelles (pp. 61-75). Paris : L’Harmattan. (p.64). « Le temps de l’écriture, c’est l’inscription, dans une certaine durée, d’une attitude réflexive par rapport à sa pratique. »