La compréhension dépend de nos propres connaissances, des outils dont nous disposons ; mais la compréhension est déjà une interprétation soucieuse de comprendre l’inscription de la signification dans les conditions de sa production. On ne peut limiter l’étude des traces écrites à la chose en elle-même sans une compréhension et une interprétation simultanée des pratiques professionnelles de ces enseignants. C’est une reconnaissance et une reconstruction de sens figé dans l’écriture, comme une pensée qui refait le même chemin. Les écrits contiennent des informations qui se rapportent à la connaissance professionnelle que nous partageons en tant qu’enseignant. En ce sens, le langage est « donateur de soi »52.
Notre travail d’analyse de contenu va de l’analyse compréhensive à l’interprétation et inversement en posant le principe d’une correspondance à des réalités professionnelles. Car analyser c’est non seulement décomposer, réduire à des unités minimales, mais c’est aussi réinscrire celles-ci dans un cadre beaucoup plus large. Le processus d’interprétation des écrits lors du procès d’interprétation des énoncés va du côté du grain le plus fin. Le processus de compréhension, lui, privilégie le texte par rapport au discours, « la compréhension par rapport à l’analyse »53 fine ; c’est le moment de l’utilisation d’outils à grains plus gros grâce à des catégorisations, à des scénarios et des profils didactiques. Comme Carlo Ginzburg (1989) le rappelle, la description suppose déjà l’interprétation qui est une compréhension seconde. Notre analyse de contenu peut se définir comme une recherche à la fois qualitative, compréhensive et interprétative.
Loin du paradigme positiviste et nomothétique portant sur des régularités et des lois, notre recherche prend en compte des objets quotidiens tous plus ou moins singuliers, des écrits en tous cas originaux.
Si nous considérons le nombre limité de cas étudiés comme suffisamment représentatif, c’est parce que notre souci de comprendre ce qui se passe dans les écrits de planification nous engage à une étude compréhensive en profondeur. Carlos Ginzburg54 appelle disciplines « qualitatives » celles qui sont centrées sur l’étude de documents singuliers à partir du paradigme indiciaire. Cette étude qui se veut pluridisciplinaire afin de mieux saisir le phénomène professionnel de la trace écrite revendique pour sa part la qualité, c'est-à-dire l’analyse poussée plutôt qu’étendue.
Cette analyse repose donc premièrement sur une intuition personnelle susceptible de saisir immédiatement les intentions didactiques des enseignants en reconstituant une séquence d’enseignement à partir d’indices. Deuxièmement, elle repose sur le paradigme indiciaire55 compris comme la capacité de passer du connu à l’inconnu en s’appuyant sur des indices. Troisièmement, elle part des énoncés dont elle infère des propositions constituant les hypothèses les plus probables qui expliquent ce travail des enseignants. Ces hypothèses explicatives sont le point de référence d’indices éparpillés dans les traces écrites. Quatrièmement, cette analyse est basée sur une description inductive et répétée d’écrits jusqu’alors négligés.
Poisson, Y. (1990). La recherche qualitative en éducation. Québec : Presses de L’Université du Québec. (p. 13) : « Cette notion d’interprétation est fondamentale dans la recherche qualitative ».
Gadamer, H.G. (1982). L’art de comprendre. Herméneutique et tradition philosophique. Paris : Éditions Aubier Montaigne. (p.103).
Adam, J.M., Grize, J.B., & Bouacha, M.A. (2004). Texte et discours : catégories pour l’analyse. Dijon: Éditions universitaires de Dijon. (p.190).
Ginzburg, C. (1989). Mythes, emblèmes, traces. Traduit de l’italien par M. Aymard, C. Paoloni, E. Bonan, & M. Sancini-Vignet. Paris : Flammarion.
Ginzburg, C. (1989). Déjà cité. (p.148/149). « Ce qui caractérise ce savoir, c’est la capacité de remonter, à partir de faits expérimentaux apparemment négligeables, à une réalité complexe qui n’est pas directement expérimentale. ».