Pour Michel Develay, la notion de savoir savant est toujours à l’origine de la transposition didactique mais elle ne représente que l’extrémité d’un pôle dont l’autre correspond aux « pratiques sociales de référence »86. Ainsi repose-t-il la problématique d’une stabilité à trouver entre le savoir savant et le savoir socialement banalisé, la pratique sociale de référence pouvant inclure aussi les activités domestiques et culturelles selon Jean-Louis Martinand.
Pour élaborer les contenus d’enseignement – le savoir à enseigner –, Michel Develay prône leur axiologisation par l’enseignant. Mais des valeurs sont aussi revendiquées par les décideurs dans une conception de la culture et d’une éthique éducative, ou bien dans un projet social d’éducation. Une première lecture de traces écrites nous montre néanmoins que la didactisation de l’activité culturelle de référence a du mal à donner consistance aux valeurs.
À ce stade, il nous semble important de réintroduire la part de subjectivité de l’enseignant dans ses prises de décisions didactiques. S’il agit comme professionnel, il n’est pas automatisé à le faire comme tel ; il va lui-même mobiliser l’ensemble de ses savoirs, professionnels ou non, pour construire ses contenus d’enseignement.
Suite aux travaux de Claudine Blanchard-Laville, on comprend qu’une part importante des prises de décisions de l’enseignant dépend de son passé socio-historique, que cela soit au niveau de ses connaissances disciplinaires ou au niveau de ses affects, des émotions ou des sentiments ; elle appelle cela « le savoir privé du professeur »87. Cette idée est également développée par Jean-Pierre Astolfi, qui dit que le « le maître transmet le savoir à travers son savoir ou ce qu’il croit savoir »88.
Jeanine Rogalski et Renan Samurçay89 installent le modèle de la transposition didactique dans l’environnement dynamique des prises de décisions et d’actions. Ils posent les questions suivantes : « Quoi (faire) » : quel type savoir et quelle référence à choisir comme objet d’enseignement ? « Pourquoi » : les objectifs de l’éducation et le projet de la nation sont-ils pris en compte lors du travail transpositif ? « Où et quand » : dans quel contexte, pour quel âge, à quelles périodes de l’année se fait la transposition didactique. « Quoi et avec qui « : quel contenu d’enseignement proposer et pour quel élève ? « Comment »: quelle conception d’enseignement et quelle méthode l’enseignant mobilise pour transposer ?
À la suite de ces différents discours, nous pensons qu’une pensée humaine et professionnelle spécifique à la discipline agit en complément sur la construction des savoirs à enseigner.
Develay, M. (1992). De l’apprentissage à l’enseignement. Paris : E.S.F. éditeur. (p.25).
Blanchard-Laville, C., Chevallard, Y., & Schubauer-Léoni, M.L. (1996). Regards croisés sur la didactique, un colloque épistolaire. Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions. (p.143).
Astolfi, J.P. (1992). L’école pour apprendre. Paris : ESF éditeur. (p.93).
Rogalski, J., & Samurçay, R. (1994). Étude concernant le processus de conception d’un contenu de formation. In G. Arsac, Y. Chevallard, J.L. Martinand, & A. Tiberghien, La transposition didactique à l’épreuve (pp. 35-71) Grenoble :La Pensée Sauvage Éditions. (p.37).