II.16. La transposition didactique, plutôt un effet réseau.

Dans la longue chaîne de la transposition didactique, le savoir savant subit une série de transformations, de déclinaisons, de dérives. Qu’est-ce qui demeure alors constant dans cette chaîne transpositive ? Pour nous, les traces écrites de planification représentent la transformation la plus concentrée de tout le travail de l’enseignant. Elles laissent l’empreinte indéformable d’un travail de transposition entre le savoir, les élèves et l’enseignant. Ce dernier condense dans ses écrits de planification ce flux d’informations dans lequel il baigne.

Nous voulons rompre avec cette présentation familière et hiérarchique de la notion de transposition didactique pour proposer un autre schéma qui prendrait en compte les inter-relations concernant les principaux acteurs du paradigme de la transposition didactique. L’identification des acteurs est importante, car elle renforce leur légitimité ; mais il nous semble plus intéressant de montrer leurs interdépendances.

À partir d’un schéma fonctionnel, nous proposons d’abord de comprendre qu’il y a des inter-relations entre les différents acteurs et qu’ils n’agissent pas séquentiellement les uns après les autres. Pour Jean-Pierre Astolfi et Michel Develay (1989), la transposition est « multidéterminée » et résulte de croisements complexes entre une logique conceptuelle du savoir à enseigner, un projet de formation constitué des finalités de l’enseignement, et des contraintes professionnelles (temps d’exposé, moyens matériels, séquençage des cours, etc.).

Maurice Tardif et Claude Lessard (1999) en arrivent à dire qu’il est difficile de savoir où finit le savoir à enseigner (les connaissances qu’à l’enseignant de sa discipline) et où débute le savoir curriculaire (ce que disent les programmes).

Sans rejeter ces approches qui réintroduisent le paradigme de la complexité, nous préférons resituer les acteurs dans un champ plus large. Nous pensons qu’il y a d’autres facteurs qui peuvent intervenir d’aussi bonne façon. En éducation physique et sportive, le savoir privé de l’enseignantpeut en fonction de sa spécialité venir ou non troubler cette vision classique.

Christelle Marsault103 montre que les enseignants d’éducation physique et sportive présentent les activités sportives dans un style personnel qui se surajoute à leur mise en forme didactique et pédagogique.

Philippe Sarremejane, lui, prône une conception « ouvragée »104 de la connaissance professionnelle des enseignants.

Le plus souvent sans modèle préétabli, l’enseignant construit ses propres contenus d’enseignement et met volontairement en cohérence des contradictions liées au phénomène de transposition didactique sans pouvoir les expliquer. C’est pourquoi nous préférons construire un modèle qui montre les réseaux d’inter-relations et les zones d’influences ou de tensions possibles.

Ainsi, le savoir à transmettre ne semble pas autonome par rapport au savoir de référence. Là se tient sans doute la fameuse illusion didactique. L’enseignant est en permanence au sein d’un monde, d’un flux de savoirs, d’un système d’inter-relations que nous avons voulu schématiser105 en faisant à notre tour une transposition didactique du modèle original.

Notes
103.

Marsault, C. (2005). Les programmations en EPS, la mise en forme des APS. Revue STAPS, 67, 9-22.

104.

Sarremejane, P. (2006). Déjà cité.

105.

Latour, B. (1997). Nous n’avons jamais été moderne. « Essai d’anthropologie symétrique ». Paris : Éditons la Découverte & Syros. Nous empruntons à Bruno Latour l’idée de ses propositions schématiques.