I - Professionnalité et planification.

Marie-Hélène Bouillier-Oudot citant les travaux de Janine Rogalski (2003) nous dit que celle-ci « aborde l’enseignant comme un professionnel gérant un environnement didactique »118. Pour nous, les traces écrites fixent la professionnalité de ces enseignants au niveau de leur capacité à concevoir didactiquement l’enseignement d’une activité sportive c'est-à-dire à planifier l’intervention en choisissant ce qui mérite de l’être à leurs yeux. C’est là se situer au niveau de la transposition didactique interne que représente le moment où l’enseignant mobilise son savoir-faire professionnel et personnel dans toute sa dimension pour planifier son enseignement dans le but de faire acquérir des connaissances aux apprenants. L’analyse tente de dégager l’aspect professionnel concernant la façon dont ces enseignants arrivent à résoudre des problèmes concrets d’apprentissage en planifiant leur intervention. Elle essaie de comprendre à partir des intentions d’enseignement écrites comment ces enseignants arrivent à produire des conditions de possibilité d’apprentissage du savoir.

Dans le seul acte d’écriture, l’enseignant doit résoudre une multitude d’informations et de connaissances (parfois contradictoires) pour proposer un contenu d’enseignement. Dans son activité de planification, l’enseignant prend des décisions didactiques en fonction de ses intentions éducatives et de ce qu’il croit bon de faire pour y parvenir. Dans ce cas, l’écrit est un facteur de responsabilisation professionnelle et l’enseignant s’oblige envers lui-même de dire ce qu’il veut faire pour enseigner. C’est cette démarche clinique de la professionnalité qui nous intéresse ; en effet, l’enseignant conçoit seul un enseignement en fonction de ses propres connaissances. C’est ce que Chevallard (1989) nomme le rapport personnel de l’enseignant au " savoir à enseigner".

L’activité d’écriture est une façon de réfléchir sur l’exercice professionnel, elle favorise la construction d’une posture réflexive formatrice ; nous la saisissons aussi comme un outil de formation professionnel favorable à un professionnalisme. Nous pensons mettre à jour une nouvelle représentation de ce monde professionnel en essayant de dégager des connaissances formelles et informelles de la communauté de pratique de ces enseignants. Le statut professionnel des écrits réside dans le fait que le sujet écrivant est auteur de son action, et ce dans le cadre participant d’une communauté de pratiques (un enseignant s’apprêtant à enseigner une activité sportive).

Notre projet n’est pas de démontrer qui est le meilleur professionnel, il est de dire et de comprendre pourquoi cet enseignant-là ou ces enseignants planifient et conçoivent un enseignement de cette manière. Même si parfois nous prenons parti dans l’analyse, cela n’implique que le chercheur lui-même immergé dans une communauté de pratiques professionnelles. Interpréter et comprendre, c’est justement faire valoir ce que nous comprenons et interprétons des choses comme connaissances possibles et valables.

Être un professionnel compétent pour un enseignant dans le domaine de l’éducation physique et sportive, c’est être capable de faire acquérir aux élèves par l’intermédiaire d’actions motrices un savoir-faire ou un savoir sur le faire ou bien un savoir (conceptualisé). Nous pensons que c’est effectivement par l’action motrice que l’élève peut acquérir une nouvelle façon de faire dans une situation d’apprentissage définie, c'est-à-dire, en reprenant les propos d’Olivier Reboul, que l’intention de faire apprendre se traduit par « une activité qui vise à susciter une activité »119 physique ou intellectuelle et que l’enseignement du handball pose bien la question de l’agir et du comprendre.

Être professionnel, c’est la possibilité qu’a l’enseignant de donner du sens aux apprentissages en favorisant l’action intelligente de l’apprenant sans présupposer qu’il y a à la base une délibération mentale. C’est proposer une situation d’apprentissage qui favorise le comprendre par la possibilité même d’agir sur soi et sur les événements ; c’est avoir une activité de pensée dont l’enjeu éducatif a aussi des visées axiologiques.

Pour Philippe Perrenoud, « la professionnalisation se définit par sa rationalité globale plutôt que par la conformité de chaque geste à un modèle »120. Ainsi, nous pensons que les traces écrites fixent ces fonctionnements heuristiques par le fait même qu’elles sont des décisions didactiques actualisées sous la forme de schèmes de raisonnement qu’imposent la planification et le désir d’enseigner. L’écrit conserve à l’état pratique la formalisation de la pratique professionnelle de ces enseignants.

Notes
118.

Bouillier-Oudot, M.H. (2007). L’analyse des pratiques d’enseignement: un questionnement pluridisciplinaire? Revue l’intervention éducative, 5,3, 1-4.

119.

Reboul, O. (1980). Qu’est-ce qu’apprendre ? Paris : PUF. (p.101).

120.

Perrenoud, P. (1996). Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Paris : ESF éditeur. (p.134).