I.2. La construction d’une grille de catégorisation. 

La catégorisation s’établit à partir d’une analyse des énoncés des situations d’apprentissage proposées par les enseignants, induisant déjà une première compréhension des traces écrites. Des catégories identifiables doivent rassembler la pluralité des propositions enseignantes afin de dépasser l’habituelle description : interne, naïve, répétitive. Les caractéristiques distinctives des situations d’apprentissage sont ainsi parties prenantes de l’apprentissage.

Chaque situation d’apprentissage requiert son identification par rapport à une catégorisation afin « d’accéder à une signification non immédiatement visible »167. Il convient de nommer et de définir l’orientation générale de chacune pour apprécier l’approche didactique des enseignants. La catégorisation définit un système d’interprétation qui repère les situations d’apprentissage dans l’ensemble du cycle d’enseignement à partir d’énoncés disparates ; c’est une sorte de modèle fonctionnel pour expliquer le système complexe qu’est la situation d’apprentissage. Elle est la médiation nécessaire pour lire de manière approfondie.

Comment donc exprimer la façon dont les enseignants tentent de faire apprendre élèves et joueurs ? Il en va bel et bien de l’architecture qui organise le scénario didactique de chaque situation d’apprentissage. De quelle mise en scène s’agit-il pour le savoir et comment doit-on l’exprimer ? Quel sens prend le rapport entre l’élève et le savoir dans ce que propose l’enseignant(e) ? Quel scénario l’enseignant(e) écrit pour cette rencontre ? Selon Jacky Beillerot, Claudine Blanchard-Laville et Nicole Mosconi, celui que l’enseignant(e) projette dans l’espace didactique est le « transfert didactique »168. Ce scénario est une transformation de la réalité du savoir de référence ; selon notre analyse, il est compris comme constituant de la transposition didactique.

C’est aussi le rôle de la didactique de trouver d’autres mots pour identifier une connaissance des savoirs professionnels à partir de pratiques d’écritures locales. L’objet est de comprendre comment se fabriquent au quotidien ces faits didactiques fixés par l’écriture professionnelle. L’intitulé de la catégorie devient dès lors un concept fonctionnel pour saisir les intentions des enseignants qui transmettent un savoir.

Le «  savoir  » est ici un terme générique pour les actions d’enseignement planifiées parce qu’il exprime (aussi) la finalité éducative de chaque situation d’apprentissage. Faire apprendre dans ce cas, c’est faire acquérir un savoir à partir d’un savoir professionnel et chaque catégorisation exprime comment ce savoir est didactisé.

Les difficultés pour construire notre outil furent bien réelles. À notre connaissance, aucune étude complète ne permet de comprendre la manière dont les enseignants peuvent construire leurs situations d’apprentissage à partir des écrits de planification. Les données théoriques concernant l’apprentissage, les théories empiriques, les théories interactionnistes et les théories innéistes sont trop générales pour expliciter la façon de faire apprendre. En revanche, les conceptions de l’apprentissage identifiées par Chantal Amade-Escot169, lesquelles nous mettons en parallèle avec nos explications des catégories, sont instructives. Notre objectif veut dépasser la culture commune de la profession tout en gardant des liens explicatifs avec cette culture comprise comme un « collectif de pensée »170. Ci-dessous, nous avons systématiquement mis en relation171 chaque catégorie avec la conception correspondante aux conceptions de l’enseignement des sports collectifs déjà établies par la profession.

Tableau 13. Extrait de l’annexe 8.
EN Expert n° 27 Leçon n° 1 Classe de 5ème. 2002/2003
Première interprétation Seconde interprétation Scénario Conceptions
Travail technique de passe Travail technique L’instrumentation du savoir « Techniciste pur »
Tableau 14. Commentaires méthodologiques de chacune des colonnes.
Première interprétation des énoncés écrits Seconde interprétation discriminative Identification de la catégorie Correspondance avec un discours professionnel connu

Pour échafauder la catégorisation, il faut affûter notre outil ; des incertitudes et des confusions de sens contribuent à remodeler la version de chaque catégorie. L’élaboration ne peut se faire qu’en condition réelle d’analyse pour vérifier si les catégories définies recouvrent l’ensemble des données. Devant chaque nouvelle situation, il faut prendre une décision et les choix dépendent des points didactiques que l’on souhaite mettre en valeur. Nous devons décider à chaque fois du sens général de la situation et vérifier si les notions-clefs d’une catégorie conviennent, trancher en cas d’incertitude, et amender en prenant des informations sur les données de la leçon, etc. Notre outil doit valoir comme une sorte de principe de réfutabilité professionnelle172.

Notes
167.

Bouillaguet, A, & Robert, A. (2002). L’analyse de contenu (2ème éd.). Paris : PUF. Que sais-je ? (p.28).

168.

Beillerot, J. Blanchard-Laville, C, & Mosconi, N. (1996). Avant propos, Pour une clinique du rapport au savoir (pp. 105-113). Paris : L’harmattan, collection savoir et formation. (p.13).

169.

Amade-Escot, C. (1989). Stratégies d’enseignement en E.P.S. : contenus proposés, conception de l’apprentissage et perspectives de différenciation. In G. Bui-xuan, & (al.). Textes réunis, Méthodologie et didactique de l’éducation physique et sportive (pp.119-130).Clermont-Ferrand : Éditions AFRAPS.

170.

Fleck L. (1934). Déjà cité. (p. 75).

171.

Altet, M. (1994). Déjà cité. (p.104) : « Une fois encodée, l’information est soumise à plusieurs types de transformation par discrimination, comparaison, classification, catégorisation, mise en relation et anticipation. »

172.

Latour, B. (1983). Déjà cité. (p.232) : « La mesure de la fidélité du message originel n’est pas dans l’exactitude de la répétition, mais au contraire dans l’ampleur de la réinvention et de la réappropriation ».