V - Seconde analyse des scénarii.

La grande majorité des enseignants ne prévoient pas les procédures que les élèves vont pouvoir développer dans les actions exigées par la tâche. Ils consacrent la plus grande partie de leurs planifications à l’écriture d’énoncés ayant trait à l’élaboration des situations d’apprentissage, lesquelles offrent une grande variabilité de scénarii ; il n’y a pas un scénario modèle, passe-partout, et utile dans tous les contextes d’enseignement. Les scénarii n’ont d’ailleurs de valeur que dans leur contexte d’utilisation. Il est plus important pour nous de comprendre les « variations »190 didactiques, et ce pour concevoir la façon dont les enseignants créent des conditions d’apprentissage.

Selon Marguerite Altet (1993), plus la planification est structurée et univoque, plus l’enseignant a du mal à s’adapter aux événements imprévus dans l’interaction avec les élèves. Cependant, ces écrits sont de véritables systèmes de significations qui tiennent des conventions et des valeurs historiquement et didactiquement situées dans le champ de l’enseignement de l’éducation physique et sportive et plus généralement dans celui de l’apprentissage moteur.

Dans certains cas, les scénarii de leçons vont du simple au complexe ; ainsi se déroulent-ils du geste localisé aux gestes enchaînés dans un contexte maîtrisé de variables pour finir dans un contexte événementiel. Pour d’autres, les enseignants commencent la leçon par une situation sociomotrice ou par une situation permettant l’acquisition de moyens techniques. D’autres scénarii proposent des variations didactiques : le geste est d’abord conduit, localisé, puis on passe à l’action épurée des variables parasitant l’effet recherché. Les scénarii relèvent de toutes ces tentatives pour construire un milieu où les actions sont localisées et interdépendantes de l’espace, des règles, des types de relations, du temps dont dispose l’élève, etc. Enfin, les actions se réalisent librement sur un espace plus grand ; c’est le jeu, le match. Notre approche phénoménologique tente de faire apparaître ces mises en scènes que l’apprenant ne voit pas.

Les scénarii désignent ce qui, dans l’écrit de planification, contribue à déterminer explicitement ou implicitement les conditions de la constitution du savoir. Ils sont des stratégies didactiques transformées et refaçonnées par les expériences pédagogiques, et cela selon les situations d’enseignement et la compréhension que peut avoir l’enseignant de son métier. Aussi devions-nous éviter la description formelle des énoncés et rechercher la pensée qui anime ces écrits. Les scénarii sont des reconstructions explicites de la connaissance pratique des enseignants qui peuvent servir d’explication à leurs façons de faire apprendre, mais ils constituent aussi des systèmes de contraintes déjà là que peuvent assimiler les élèves.

L’analyse des formes d’expression nous conduit à poser que les contenus de formation ne dépendent pas de leurs structures mais de leurs composantes pragmatiques, qu’ils façonnent concrètement l’action de l’enseignant sur le terrain.

L’écrit de planification n’apparaît plus comme une transposition didactique simple du savoir de référence ni comme une banale hiérarchisation d’un plan de travail, mais comme une longue chaîne de raisons professionnelles plus au moins conscientes. Il serait ainsi l’expression de connaissances en acte.

La première partie de ces résultats laisse entrevoir ce curriculum caché, moins en ce qui concerne le savoir non apparent et plus en ce qui concerne les conditions de son existence. Ainsi, le travail "curriculaire" des enseignants irait « d’un continuel va-et-vient entre les exigences des programmes et les contraintes de la réalité du métier »191. Cependant, l’absence de programmes détaillés en éducation physique et sportive engage les enseignants à revoir « le concept architectural »192 qui a trait à l’organisation et à la transmission des connaissances et des savoirs. La pluralité des versions didactiques n’atteste pas un bricolage didactique mais une mobilisation de savoirs professionnels. La prudence nous commande d’assumer et d’accepter la complexité et la pluralité des scénarii didactiques plutôt que de réduire ces différentes vues à un scénario figé et artificiel. De ces éléments du découpage des scénarii se dégagent des champs de significations jusqu’alors inaperçus.

Les scénarii didactiques ne sont pas des conditions de vérité mais des conditions d’à propos, des préambules didactiques retenus dans le contexte de l’écrit de planification.

L’étape suivante analyse les composants didactiques internes des situations d’apprentissage dans l’idée d’instruire un procès didactique sur la façon dont ces enseignants envisagent leur enseignement.

Notes
190.

Bru, M. (1998). Déjà cité. (p.63). Dans une étude descriptive l’auteur pense « qu’il y a lieu d’accorder plus d’importance à la façon dont l’enseignant organise des variations dans les conditions d’apprentissage qu’il met en place qu’à l’adoption d’une méthode particulière. ».

191.

Tardif, M., & Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Bruxelles : De Boeck. (p.252).

192.

Maulini, O., & Vellas, E. (2001). La planification du travail : nouveaux enjeux. L’École Valdôtaine, 61, 4-12. http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/planification1.html .