II - Synthèse :

L’analyse compréhensive se double d’une seconde interprétation pour donner sens à nos résultats. Toute compréhension est médiatisée par une interprétation, et c’est le processus ouvert de l’écriture que nous souhaitons respecter en sa trace.

Cette analyse tient automatiquement compte de celui qui écrit et parle dans les traces écrites, lesquelles ne sont pas des modèles à suivre ou à théoriser mais racontent une longue réflexion professionnelle en recherche de solutions. L’enjeu de cette lecture est de valoriser la pluralité des formes d’enseignement, de mettre à jour et de formaliser un aspect de l’enseignement basé sur la motricité dont l’écriture préparatoire est fondamentale.

Au-delà de ces premiers résultats, des combinaisons subtiles sont à réaliser entre ces propositions didactiques et nos résultats d’analyses. Ainsi, contrairement à l’opposition classique c'est-à-dire instituée entre experts d’une activité et enseignants du système scolaire, ce sont les enseignants du secondaire qui utilisent le plus de situations d’apprentissage à tendance « techniciste pur »197 et notamment dans le groupe des enseignants débutants. Ceux-ci proposent plus de situations d’ordre technique (« techniciste pur », « techniciste masqué ») que de situations d’apprentissage demandant une élaboration (« aménagement du milieu », « situation problème ») ou une activité libre des élèves (« situation ludique globale »). La transposition didactique se traduit par l’enseignement d’un geste, alors que les enseignants experts handball proposent davantage d’actions combinées selon une meilleure mobilisation de la conception « techniciste masqué ». Cependant, ce sont bien les experts handball qui proposent au total le plus de situations d’apprentissage à tendance techniciste (« techniciste pur » + « techniciste masqué »).

La comparaison des résultats portant sur les conceptions (en pourcentage sur le nombre total de situations d’apprentissage planifiés par groupes d’enseignants) avec leurs analyses croisées nous permet de dire que pendant le temps d’apprentissage :

Ces premiers résultats nous engagent à affiner une lecture des énoncés planifiés, à proposer un autre questionnement. Des indices relevés dans les énoncés écrits ou dans les croquis conduisent à cette une nouvelle question : la conception techniciste dépend-t-elle d’un choix prédéfini des enseignants ou est-elle la résultante des variables du contexte d’enseignement ?

Notre réflexion se conduit là à partir du seul cas des enseignants débutants, au-delà de considérations didactiques déjà connues selon lesquelles les enseignants débutants sont technicistes par la volonté de matérialiser le savoir et de lui donner une apparence d’efficacité pour présenter un fait technique comme un savoir indispensable et utile. Le bilan des énoncés fait état que les enseignants débutants consacrent 64,86% de leurs énoncés de planification à des énoncés d’organisation contre 41,53% pour les enseignants d’expérience et 33,79% pour les experts handball. Ce bilan prend en compte les énoncés d’organisation mais aussi les croquis et flèches indiquant la circulation des élèves sur le terrain, la composition des groupes et leur stationnement (en colonne par exemple). Ceci indique une forte préoccupation des aspects organisationnels par les enseignants débutants. En croisant ensuite ces premiers résultats avec le bilan issu de notre second modèle, nous pouvons développer notre interprétation de cette tendance « techniciste pur » propres aux enseignants débutants.

Chez les enseignants débutants, on remarque que la déconstruction de l’activité handball se fait par réduction de ses composantes tels que : surface de jeu, effectif, règles, temps, rapport de force, etc. On note surtout la faible mobilisation du paramètre « rapports de force » et de l’unité didactique « alterner les statuts et varier les rôles ». Ce paramètre et cette unité sont les indices d’une activité intense et remuante ; c’est le cas des attaques et défenses en réciprocité d’actions. Nous comprenons que ces enseignants hésitent à mettre du désordre dans leurs situations d’apprentissage en évitant l’unité didactique « permettre un choix ou un alternative », qu’ils ôtent en conséquence les possibilités de décisions d’action à leurs élèves. Nous remarquons aussi qu’ils mobilisent faiblement l’unité didactique « respecter un principe de densité », et qu’ils manient souvent de petits effectifs à la fois. Certains croquis montrent un terrain de handball où les élèves vont évoluer à deux ou à trois, le reste de la classe étant en attente par colonnes ou par groupes. Ainsi, les enseignants débutants ne sont pas « technicistes pur » ou « technicistes masqué » parce qu’ils sont spécialistes de l’activité – cela vaut dans une moindre mesure pour les enseignants d’expérience – mais parce qu’ils sont poussés par le souci de l’organisation et de la gestion pédagogique du groupe classe à faire une monstration simplifiée d’un savoir de l’activité handball. La conception techniciste n’est pas un choix défini a priori ; elle est plutôt dépendante de variables didactiques d’enseignement. Ainsi, cet effet scolaire (Develay, 1992 ; Schneuwly & Wirthner, 2004) s’oppose au paradigme de la transposition didactique proposé par Yves Chevallard (1985), au passage-clef de l’objet de savoir au savoir à enseigner selon lequel la transposition didactique d’un savoir de référence en éducation physique et sportive subirait les contraintes organisationnelles de l’ensemble de la situation d’apprentissage. Les enseignants débutants ne décident pas d’enseigner « la passe face à face » aux élèves parce que la passe doit s’apprendre essentiellement comme ceci ; ils gèrent d’abord l’organisation et la maîtrise de leur groupe classe de cette façon, l’organisation et la gestion de cette dernière venant mettre en forme « le savoir-faire une passe ». Les enseignants du secondaire ne sont pas des techniciens de l’activité handball, si l’on accorde à ce mot technique une valeur d’expertise dans une activité sportive ; ils sont soumis à des conditions d’enseignement où la priorité est de maintenir l’ordre, d’éviter les situations d’apprentissage turbulentes et la dispersion d’élèves.

Notes
197.

Brau-Antony, S. (2003). Déjà cité. (p.191). Selon cet auteur, dans l’activité volley, les enseignants d’éducation physique et sportive dans leur plus grande majorité adopteraient « une démarche de type techniciste ».