Les dessins et l’interprétation.

Nous rappelons l’analyse quantitative en ce qui concerne la planification de dessins.

  Enseignants d’Expérience Enseignants débutants Experts Handball
Dessin *61/260 23,46% *89/185 48,10% *117/145 80,69%

*nombre de situations d’apprentissage comportant un dessin sur le total des situations d’apprentissage. Le pourcentage indique le rapport entre les deux.

Le dessin de l’enseignant expert handball n°03 (leçon 1, situation d’apprentissage 4) nous sert d’exemple pour expliquer notre travail analytique.

Figure 7. Dessin de l’enseignant expert handball n°03.
Figure 7. Dessin de l’enseignant expert handball n°03.
Traces écrites Analyse compréhensive et interprétative
L1 S4 : Colonne 1 « 4c4 », un dessin de terrain de handball et des signes internes explique se qui va se passer. Un grand secteur central est délimité où il y a trois attaquants et trois défenseurs. Sur un secteur externe il y a un attaquant et un défenseur. Les secteurs sont tracés vers la zone du but à attaquer. Colonne 2 : « idem ». Colonne 3 : « idem » On comprend que les secteurs tracés vont permettre aux joueurs de repérer la fixation et l’excentration par rapport au but et au système défensif. L’énoncé de la situation d’apprentissage repose entièrement sur le dessin et sur les deux énoncés d’ « idem ». Il faut alors se reporter à deux situations précédentes pour comprendre les intentions, les consignes, la valorisation des actions à faire sous forme de points à gagner ou à perdre. L’écrit de planification devient un véritable texte, puisque les événements décrits dans les deux situations précédentes expliquent les parties manquantes de cette situation d’apprentissage. Le dessin du terrain de handball a l’efficacité d’une figuration. Comme tout message, il exprime des contenus non perceptibles qu’une activité cognitive doit reconstruire.

Les signes particuliers les plus communément utilisés par les enseignants.

Soit l’écrit de l’enseignante débutante n°12 (leçon 3, situation d’apprentissage 3).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L3 S3 : « + w pivot → expliquer bloc-écran  → 2c3 →8’ (obs= tirs en suspen. Montée de la défense »
L’enseignant reproduit le croquis du même terrain de HB que précédemment, mais les joueurs sont deux en défense contre trois en attaque. « consignes variables : c= 3c2 avec 1 pivot » « 4X3’ = 12’ » « Matériel : 3plots 5 ballons maillots idem »
Le détail des énoncés :
« + » annonce un complément, c’est dire que la situation reste identique au plan spatial. « W pivot » indique qu’il s’agit de faire un travail de pivot (joueur à l’intérieur d’un système défensif à proximité de la zone). « → » indique qu’il y a un continuum dans la pensée et dans ce qu’il y a à faire sur le terrain ; cela implique l’énoncé suivant : « expliquer le bloc-écran ». En effet, le jeu du pivot va impliquer qu’il est nécessaire à ce poste de faire des blocs ou des écrans pour les joueurs de son équipe. Par la nouvelle implication « → » le jeu devra se faire en « 2C3 », trois en attaque ; « → » implique que le temps de cette situation durera « 8’ » huit minutes. L’écrit « (obs= tirs en suspension. Montée de la défense) » par sa mise entre parenthèses semble correspondre ici à un travail de réflexion/observation. La lettre « c » indique les consignes à venir. Le signe « = » veut indiquer le plus souvent que cela va correspondre à quelque chose ; ici, il s’agit de dire que quatre périodes de trois minutes feront un temps total de 12 minutes.

Nous n’avons pas souhaité reprendre dans le détail tous les signes qu’utilisent les trois catégories d’enseignants pour transposer et planifier leur contenu d’enseignement. Il est important de rappeler que les traces écrites ne sont pas un texte commun et qu’elles reposent sur un langage parfois très spécifique à la discipline et à l’activité sportive transposée. Ce qui est intéressant, c’est non seulement l’économie de l’écrit mais aussi la mise en formule qui réduit la trace écrite et en favorise la mémorisation. La concentration de sens est très importante ; ci-dessus, le « 4X3’= 12’ » ne se résume pas à une opération mathématique mais signale que l’enseignant veut travailler en quatre périodes distinctes et signifie également qu’il souhaite des attaques et défenses énergétiques puisque le temps d’attaque est réduit par rapport au jeu de handball ou par rapport à une situation d’apprentissage classique.

L’enseignant expert handball n°6 utilise des flèches (→), des abréviations (PdB), des associations de mots (sortir/neutraliser/descendre) pour exprimer un enchaînement d’actions. Il emploie des sauts de lignes associés à des changements d’idées. Dense, son discours indique très clairement les différentes phases de sa situation d’apprentissage qui nous ont permis de reconstituer les scénarii didactiques.

La technique d’écriture des enseignants est originale. Jacqueline Marsenach et Chantal Amade-Escot relèvent que les résultats des recherches sur la planification en éducation physique et sportive montrent de grandes différences avec les « démarches canoniques habituellement conseillées »201 et les documents de terrain c'est-à-dire ceux-là mêmes que nous analysons. Les dessins de terrains et les traçages des situations deviennent des consignes opératives sur le terrain. Ainsi, le trait planifié sur le papier va devenir un artefact didactique sur le terrain qui structurera l’espace d’action ou deviendra un guide de l’action. Le repère ou la zone tracée sur le terrain, l’information déposée dans l’objet (le plot) donnent une information sur la qualité et la compétence de l’action entreprise par l’élève ; l’information lui signifie la limite et la réussite de ses actions tout en lui permettant un retour évaluatif en temps réel sur ses prises de décisions. On peut ainsi assimiler le trait – les traçages – à des « objets » qui auraient une fonction « de lecture » et « d’évaluation »202 de l’action. L’enseignant dépose dans son traçage ses intentions d’enseignement, la contrainte du trait tenant lieu de discours. Par ses croquis et ses dessins, l’écrit de planification devient une structure organisée c’est-à-dire une "mini-œuvre" didactique ; c’est un dispositif didactique qui devient selon Christiane Montandon203 un « dispositif pédagogique » en tant qu’instance de « médiation » dans l’interaction de l’enseignement. Par ses traces écrites, l’enseignant didacticien devient l’architecte de la structure pédagogique.

Notes
201.

Marsenach, J. et Amade-Escot, C. (1993). Déjà cité. (p.37).

202.

Durand, M. (2002). Déjà cité. (p.52).

203.

Montandon, C. (2002). Déjà cité. (p. 110). Cet auteur précise : « C’est pourquoi je définis le dispositif comme système de médiations de médiations, puisque, à un premier niveau de médiation, de type structurel, s’ajoute une autre série de médiations, de type stratégique qui réclament de la part des enseignants et des formateurs de combiner les différents paramètres du système ».