I.2. Le savoir en éducation physique et sportive.

En éducation physique et sportive, l’idée du savoir concerne le rapport entre un faire et la communication de ce dernier. La dextérité n’est pas un savoir pur, l’habileté motrice qu’elle présuppose renvoie à un acte moteur : on est adroit de quelque chose. La vérité d’un tel savoir est alors rapportée à une opération d’efficacité : c’est un savoir pour agir avec habileté. On ne peut exprimer sa dextérité – sa compétence – qu’en montrant son savoir-faire dans une activité. La pratique mobilise des savoirs sans s’y réduire : on peut être adroit sans connaître tous les savoirs savants ou experts que cette pratique sous-entend.

En voulant imiter les autres disciplines scolaires pour se parer des valeurs de l’École, l’éducation physique et sportive favorise l’acquisition de connaissances formelles et académiques aux dépens de l’application pratique. Cela dit, cette discipline n’arrive pas à formuler explicitement les connaissances réelles de la pratique physique qu’elle enseigne pourtant depuis plus d’un siècle et demi, de sorte que les finalités et les "macro-objectifs" tiennent lieu de savoirs à transmettre.

L’analyse des traces écrites montre que les objectifs de leçons se réduisent le plus souvent à la description de « savoir-faire techniques modélisés ». L’objectif planifié « attaque d’une 2/4 », par exemple, n’exprime pas les connaissances requises pour objectiver cette pratique.

Reposant sur un langage compris par les élèves, la construction théorique d’un savoir fait défaut en éducation physique et sportive. Les apprenants n’ont pas toujours les moyens requis pour projeter et calculer la façon de parvenir à la réalisation d’un problème221 et ces moyens ne sont pas reconnus comme le sont des théorèmes et des règles en mathématique.

L’éducation physique et sportive paraît empêtrée dans son rapport permanent aux savoir-faire. Le plaisir de la pratique l’emporterait ainsi sur la capacité à fixer ses idées. L’enseignement serait celui d’une connaissance comprise comme un savoir pratique n’ayant pas conscience de lui-même. Le désir d’apprendre et la volonté de savoir resteraient encore suspendus à la mesure de la performance. Il est remarquable que le savoir n’apparaisse pratiquement pas dans les énoncés des traces écrites.

Dans les traces écrites, les objectifs de cycles et de leçons ou les "sous-objectifs" font office de « savoirs à dire » et à apprendre tout en rendant impossible la clarification des autres savoirs qu’ils véhiculent.

L’enseignant ne planifie pas un savoir, il planifie l’idée du savoir et construit la situation de son expression ; il s’attache plus aux modalités de la production des savoirs et au comment les faire acquérir qu’à leurs identifications. Par exemple, l’objectif « montée offensive » n’explique en rien le savoir, à moins que l’élève ait déjà une représentation étendue de ce qu’est la montée offensive en handball. Les procédures chargées de connaissances permettant de réussir cette montée ne sont pratiquement pas identifiées dans les traces écrites de planification. L’enseignant ne planifie pas les savoirs utiles à l’action ; seuls, quelques experts handball identifient et nomment certaines procédures d’action.

Les écrits de planification n’identifient pas explicitement la théorie que l’enseignant (dont les schémas mentaux et les savoirs professionnels sont présupposés) développe à son insu pour faire apprendre ses élèves.

D’après Elisabeth Charlon (1992), « le savoir »222 serait formé de connaissances transmissibles et subsisterait en dehors de celui ou de celle qui le produit ou l’utilise. Mais en éducation physique et sportive en général et dans l’activité handball en particulier, « savoir » c’est construire une intelligibilité de ses actions en situation et lire les propriétés que les actions déclenchent donc établir un langage social du fait.

Une pédagogie du savoir de l’activité motrice est une pédagogie du sens reposant sur l’élucidation du réel à partir de savoirs exhaustifs qui généreraient le faire tout en le décrivant et/ou en l’interprétant. L’apprentissage d’un savoir en éducation physique et sportive suppose qu’on comprenne les motifs ou les raisons de l’action. Pour Jacky Beillerot, « le savoir n’existe que du rapport entre un langage et des actions dans le champ d’une pratique sociale déterminée »223. L’éducation physique gagnera toujours à créer son propre langage, et il est nécessaire de se détourner du formalisme de la transposition didactique qui présente les savoirs en tant qu’objets à posséder au lieu de les considérer comme moyens.

Notes
221.

Mosconi, N. (1996). Déjà cité. (p.87) : « Le savoir est alors ce qui intervient pour rendre possible ce calcul et pour favoriser une juste appréciation de la réalité, pour rendre efficace le contrôle des objets réels. Savoir est en un sens penser en vue de ‘faire’ ».

222.

Charlon, E. (1992). Transmettre des savoirs: une nouvelle compétence des collectifs de travail construite avec l’encadrement? In Éducation Permanente, 112, 69-73.

223.

Beillerot, J. (1996). Déjà cité. (p.123).