II.2. Les contenus et les savoirs.

Les enseignants d’éducation physique et sportive ne sont pas très bavards sur l’élaboration de leurs contenus d’enseignement. Selon Thérèse Roux-Perez (2003), une partie d’entre eux pense leur enseignement comme un acte globalisé reposant sur le charisme et ne nécessitant pas l’élucidation des contenus proposés. En effet, il semble qu’il y ait une réelle difficulté à expliciter les raisons de la mise en forme de ces contenus.

Le travail de transposition didactique devrait prendre en compte les conditions d’enseignement plutôt que celles du savoir à transmettre. Que se passe-t-il donc dans ce travail d’élaboration des contenus d’enseignement ? Savoir comment procèdent les enseignants dans la construction de ces contenus permettrait d’en finir avec le « mythe du terrain » (Claude, M. Prévost, 1991) et l’idée d’une tribu professionnelle.

Prenons l’exemple de l’enseignant débutant n°15 (leçon 1, situation 1).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 S1 : Cours, avant/arrière – Pas chassé droite/gauche. Tourner bras droit/bras gauche ; accélérations sur diagonales ; petit bond droite droite, gauche gauche. Ballons passe à 2 autour du terrain de HB (ligne extérieur). L’échauffement est basé sur des contraintes d’exécution qui concernent des mouvements localisés, bras, jambes. Toutes les propositions se font par une réciproque latérale, gauche/droite. L’enseignant pourrait très bien dire, on échauffe les bras, les jambes, on fait des enchaînements de bonds. Ici, il impose le mouvement et précise quelle partie du corps doit travailler. Pour planifier le contenu de son échauffement, l’enseignant s’appuie sur une idée d’opposition spatiale c’est-à-dire de latéralité. La donnée d’opposition spatiale devient un processus didactique qui donne une forme didactique au mouvement et étoffe le contenu des propositions. Idem pour la leçon 2. Situation d’apprentissage 1.

Le contenu d’apprentissage est élaboré à partir d’un démembrement du corps humain. Mais l’expertise didactique ne peut construire ses savoirs sur une simple parcellisation d’un tout.

L’enseignant expert handball n°3 (leçon 2, situation d’apprentissage 3) établit des contenus d’enseignement pour son objectif « attaque d’une défense en 3X3 ».

L’analyse de ses énoncés fait comprendre que le savoir est effectivement contenu dans des actions à réaliser, qu’il n’est pas exprimable en dehors d’un savoir-faire : le savoir, c’est savoir (faire) attaquer une défense en 3X3 (c’est ce que le joueur en retiendra). Le savoir sera donc la synthèse des actions pratiques réalisées pour résoudre les problèmes de l’attaque. Nous allons le vérifier par une analyse détaillée de cette situation d’apprentissage 3 de la leçon 2 de l’enseignant expert handball n°3.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L2 S3 : Colonne 1 : « Attaque d’une défense en 3x3 secteur central » Un dessin de terrain de HB. Trois attaquants et trois défenseurs au-delà des 9m, un défenseur et un pivot à la zone. Un gardien. Un ailier de chaque côté d’un secteur balisé à la zone. Colonne 2 : « 4 attaquants, 4 défenseurs, 1 ailier de chaque côté servant d’appui. Circulation de balle, marquer le but » Colonne 3 : « Ecartement de la défense » « Rupture de l’alignement » L’enseignant insiste sur les capacités d’action, les savoir-faire - « circulation de balle, marquer le but, écartement de la défense, rupture de l’alignement » - plutôt qu’il exprime des énoncés pour comprendre le savoir - « attaquer une défense en 3x3 secteur central» - qui serait de l’ordre du raisonnement. On est plus dans la planification du faire que dans celle du comprendre.
On pourrait d’ailleurs assimiler les savoirs en éducation physique ou en formation fédérale comme des « savoirs pour faire » et des « faire pour savoir ». Dans notre cas, la circulation de balle est un état, un faire ; il n’explique pas la raison de faire circuler la balle qui est de manœuvrer et écarter la défense pour trouver des intervalles d’accès à la cible. L’enseignant planifie des « savoir-faire » pour « faire » pour finalement amener à comprendre ce qu’il y a à savoir ; il ne planifie pas les raisons de celui-ci. Ce dernier devra prendre sens, se justifier, dans le questionnement du sujet en action.
Même chose pour l’énoncé « marquer un but » ; c’est une proposition d’action, un savoir-faire. Ainsi les raisons qui expliquent comment marquer un but, tirer au bon moment, prendre l’intervalle libre, s’approcher du but, tirer fort ou en finesse, etc., ne sont-elles pas planifiées. Pour l’énoncé « écartement de la défense », c’est aussi une action à faire : profiter de l’écartement de la défense ou faire écarter la défense. L’énoncé est ambivalent, on ne peut pas appeler cela un énoncé du savoir, il semble bien incomplet. Cette incertitude mène à la réflexion suivante : le savoir semble toujours en fuite devant l’énoncé du faire, il n’est pas là en tant que tel mais il est toujours contenu dans la proposition de faire à venir.
L’élève ou le joueur doit découvrir et interroger les causes de son action pour en connaître les raisons. On lui donne les causes - « écartement de la défense » « Rupture de l’alignement » - mais pas les raisons. C’est dans l’action qu’il va comprendre la nécessité de la rupture d’alignement pour conserver plus facilement le ballon et ne pas se le faire prendre par la défense, etc. Les procédures qu’il va employer vont devenir les raisons constitutives du comprendre, étape vers le « savoir que » qui deviendra le germe d’une nouvelle intention propice au « savoir-faire ».

L’étude des premières situations d’apprentissage d’un cycle renseigne sur les intentions des enseignants et sur leurs façons de procéder pour proposer des contenus d’enseignement en identifiant des savoirs à enseigner. On comprend la situation comme la composante d’un système (le contenant) et les savoirs comme résultats émergeants (les contenus à enseigner).

L’architecture de la situation d’apprentissage ne comprend pas seulement les composants, elle indique aussi le savoir-faire professionnel des enseignants. L’enseignant construit une situation d’apprentissage ordonnée essentiellement en vue de la compréhension [de l’acte] et de l’action : un faire et un comprendre sont visés. Il ne manipule pas seulement des paramètres didactiques pour imposer le geste ou l’action, mais aussi pour instruire ce geste et cette action vers une issue préférentielle. Il y a toujours une visée compréhensive, une compréhension du faire pour savoir. Pourtant, perdure un semblant de dualisme (corps/esprit) dans l’histoire de l’éducation physique ; en témoigne l’opposition entre la catégorie instrumentation du savoir et la catégorie provocation du savoir.

Il ressort que les enseignants favorisent les procédures d’actions contextualisées et qu’ils construisent alors un milieu dynamique, car « les savoirs ne sont pas autres que les apprentissages pour les acquérir »233. L’apprentissage est de l’ordre de l’interactivité car il repose ici sur la possibilité de pouvoir faire.

L’enseignant expert handball n°6 (leçon 1, situation d’apprentissage 1) planifie ses raisons didactiques des contenus qu’il va proposer avec les savoirs techniques qui lui semble fondamentaux.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 S1’ : « Présentation de l’activité par la mise en place des règles fondamentales et par la notion de rapport de force » « 1 aucune règle (pied autorisé) 2 notion d’espace : varier la taille du terrain 3 jeu interpénétré → donner un sens au jeu → définir la cible (∆ taille et nbre) 4 Manipulation du ballon → nbre de pas → dribble ou non → ∆ les ballons (T1, T2, T3, rugby, tennis) → ∆ contacts (ceinturage ou non, touché balle en main..5 progression du ballon →∆ formes des passes (tendues, cloche, rebond) → passes à 2 mains, qu’en avant, avt-arrière, suspension → pas de reprise de dribble → 4 appuis autorisés 6 Cible → pas de zone → zones différentes dimensions →Pls GB → 1gb » L’enseignant l’annonce au départ ; il présente l’activité handball aux étudiants à partir des règles qui déterminent l’activité, c'est-à-dire ses logiques et principes.
Le raisonnement didactique serait fait à partir de deux approches. Par un discours sur l’évolution de l’activité et son histoire, la première annonce la possibilité que se réserve l’enseignant lors de l’apprentissage de faire varier plusieurs déterminants didactiques tels que l’espace, les objets, les règles du jeu. La seconde approche est d’ordre technique ; les actions possibles dans le jeu, par exemple les différentes formes de passes, sont présentées comme des savoirs spécifiques à l’activité. Le règlement est à la source des gestes techniques et des formes de jeu.
L’enseignant aborde la connaissance de l’activité par une description et une "monstration" sous forme de contrastes en faisant reconnaître d’emblée les manipulations didactiques qu’il va faire dans son cycle. Il prévient ainsi les joueurs des effets didactiques. Il s’agit bien d’un savoir didactique de l’enseignant : mettre en relief les points clefs de l’activité en mettant en avant ses niveaux de transpositions didactiques.

Pierre Parlebas écrit que « la pédagogie, c’est une stratégie »234. Nous pouvons également dire que « la didactique est stratégique », puisque savoir et savoir-faire ne prennent sens que selon leur usage.

Notes
233.

Beillerot, J. (1996). Déjà cité. (p.132).

234.

Parlebas, P. (1980). Un modèle d’entretien hyper-directif : la maïeutique de Socrate. Revue Française de Pédagogie, 51,4-19.(p. 19).