I - Structure, forme et signification.

I.1. Les unités de signification.

Soit l’utilisation des énoncés comme unités de signification comme méthode pour saisir la signification inférée à partir de l’énoncé ; nous la trouvons en effet dans les usages professionnels ainsi que chez le chercheur voulant en saisir le procès.

À partir du simple énoncé « match normal », on peut tenir un discours sur sa signification en le replaçant dans l’ensemble de l’écrit des enseignants et en tissant des liens explicatifs avec les indices retenus. Ce morceau d’A.D.N. de la profession devient ainsi la signature d’un savoir didactique des enseignants : il dit une expérience.

Prenons l’exemple de l’énoncé de l’enseignante d’expérience n° 21 (leçon 2, situation d’apprentissage 5). L’énoncé de la situation d’apprentissage est « jeu normal ». La signification du symbole (de cet énoncé) est donnée par le système auquel elle appartient : la leçon, le cycle d’enseignement, la situation d’apprentissage, le fait de préparer son cours, le fait de vouloir enseigner, etc. Il est significatif à deux titres : il annonce ce qui va se passer et redéfinit indirectement le contexte précédent c’est-à-dire les situations d’apprentissage. Cet énoncé indique un événement et donne une qualité à l’absent.

Il est dit que le jeu à faire va respecter le code d’arbitrage de la pratique culturelle (et compétitive) handball ; c’est le « savoir jouer » au handball « normal ». L’énoncé indique que les situations proposées ne sont jusqu’à présent pas normales. L’enseignante reconnaît elle-même que ses constructions didactiques ont déformé le savoir culturel handball : c’est l’effet transpositif.L’énoncé « jeu normal » vient justifier ou atténuer la transposition de l’activité de référence faite dans les situations précédentes et rattache l’École au monde culturel. S’exprime là une norme obsessionnelle. Pour les élèves, l’annonce « jeu normal » arrive à la fin de la leçon pour clore une période de perturbations liée à l’apprentissage. Du métier d’élèves, on va passer à celui d’acteurs ; de "l’apprenant-obéissant", on va passer au statut de "décidant-sachant" faire. L’élève va pouvoir décider de ses propres actions dans un système qui lui semble plus cohérent ; le jeu normal est donc l’instant où les élèves peuvent disposer d’eux-mêmes. À ce stade, on peut déjà dire que l’acquisition du savoir prive de liberté et que le jeu normal sans contraintes didactiques libère les savoirs.

D’autres significations sont attachées à l’énoncé « match normal ». La place traditionnelle du jeu en fin de leçon est aussi le temps où l’enseignante propose un désordre sur le terrain après des efforts pour faire régner l’ordre dans sa classe. Après avoir tenu les élèves sous son autorité et en haleine, c’est le moment où la subversion du savoir emprisonné didactiquement va se libérer dans l’acte du joué.

Ainsi, c’est d’une façon moins inattendue que nous constatons que cette enseignante emploie l’énoncé « jeu libre » dans la leçon 4, situation d’apprentissage 5.

On peut comprendre que l’ensemble des situations didactiques construites par les enseignants d’éducation physique fasse appel à la contrainte par l’intermédiaire de la consigne et de la règle. Le « jeu libre » signifie que les élèves et l’enseignante sont maintenant libres de leurs réseaux d’échanges, libres de la communication didactique, libres de la transaction pédagogique et des contraintes institutionnelles. Même s’il est encore sous surveillance, l’élève comprend par « jeu libre » qu’il devient responsable de ses actions; il sait alors que la contrainte didactique a disparu et que les nouvelles contraintes vont seulement dépendre du jeu et de l’événement. De plus, l’énoncé « jeu libre » annonce la déconnection du regard évaluateur de l’enseignant. À partir de cet énoncé, nous comprenons que le jeu n’était pas libre précédemment et que la règle didactique cède la place à la règle culturelle, que le savoir si longtemps contenu est livré à son propre devenir. Ainsi, les enseignants mobilisent tout un réseau de significations dont la lecture est à faire.