I.2. L’ambivalence du discours.

Les savoirs originaux mobilisés par les enseignants relèvent d’un discours qui n’apparaît pas transférable comme savoir professionnel. L’écrit représente pourtant des situations « intactes » de ce qu’ils pensent faire pour enseigner.

Prenons l’exemple de l’enseignant débutant PLC n°19 (leçon 1, situation 1) dont l’énoncé dit : « 1b/él → se déplacer en dribble sur l’ensemble des lignes du terrain de HB ». Imaginons que l’on dise à haute voix « un ballon par élève, se déplacer en dribble sur l’ensemble des lignes du terrain de handball », sans dire que ce sont des traces écrites de planification ; on comprendra ce qu’il y a à faire : l’écrit dit une intention.

Les énoncés de l’enseignant ne sont pas seulement une transposition pragmatique aboutissant à un savoir à enseigner, ils sont un langage ambivalent en ce qu’ils se situent entre le constatif et le performatif. Selon l’angle de lecture, ils donnent une perception descriptive de l’action à réaliser telle que celle des élèves se déplaçant en dribble sur l’ensemble des lignes du terrain de handball et une perception normative telle que la proposition d’action que l’enseignant s’apprête à imposer aux élèves. Ce dernier s’adresse à son « double didactique » : au principal, à l’inspecteur pédagogique, à la profession et aux élèves. La consigne d’exécution qui constate le faire est aussi une consigne d’objectif qui pousse à agir.

Il convient de souligner l’aspect « illocutionnaire » du langage, quand on traite de l’intention éducative que manifeste l’enseignant. On passe là de l’identification de l’énoncé à la signification professionnelle de celui-ci ; l’énoncé planifié et importé sur le terrain aura un effet [« perlocutoire »] sur les élèves qui les entraîne à prendre la décision d’agir. D’après John R. Searle (1985), la condition de satisfaction de l’énoncé pour l’enseignant sera que les élèves se déplacent effectivement en dribble sur l’ensemble des lignes du terrain de handball.

Prenons l’exemple de l’enseignante d’expérience n°25 (leçon2, situation d’apprentissage 2) dont l’énoncé est le suivant : « Échauffement spécifique : par 5, une balle pour 5, je donne ma balle et je prends la place de celui à qui j’ai donné ».On comprend qu’elle adapte son discours au niveau des élèves. Elle ne leur dit pas : « le passe et suit » ; un enseignant le ferait s’il destinait sa planification uniquement pour lui-même c'est-à-dire en tant que professionnel. Au contraire, elle planifie dans un langage simple. L’écrit de planification est un discours à destination des élèves ; il est adapté au niveau de cette classe de 5ème. C’est un "prêt-à-penser" pour l’enseignante et un "prêt-à-dire" pour les élèves.

Cette lecture bouleverse la perception traditionnelle et passive que l’on peut avoir des traces écrites de planification ; elle pose la question de la constitution même de l’écrit.