I.3. L’écrit est-il : une planification de l’action, une planification de contenus ou une planification de l’organisation ?

L’écrit de planification est une véritable carte qui rapporte des informations à celui qui veut bien la lire sans que leurs sens soient donnés. La plupart de temps, l’écrit semble opaque pour qui est extérieur à la pratique de ces enseignants. On passe directement de l’objectif de la situation (par exemple, « échauffement ») aux contraintes de réalisations, (par exemple, « on trottine en se faisant des passes par deux » ou « montée de genoux » ou « courir autour du terrain », etc.)

Ayant trait au bien-être et à la santé des élèves, les raisons physiologiques et psychologiques ne sont pas planifiées alors qu’elles font partie du discours programmatique et institutionnel en éducation physique et sportive.

Pour mieux comprendre la composition des écrits de planification en leurs différences comme dans leurs ressemblances dans nos trois groupes d’enseignants, nous procédons à une hiérarchisation des énoncés selon l’ordre d’importance (en nombre d’énoncés) qui leur est accordé.

Enseignants d’expérience et experts handball :

1° énoncés d’actions à faire.

2° énoncés de l’objectif.

3° énoncés d’organisation.

Enseignants débutants :

1° énoncés d’organisation.

2° énoncés d’actions à faire.

3° énoncés de l’objectif.

Nous remarquons qu’il manque les énoncés du médiateur adulte tel que l’envisage Lev Vygotski dans Pensée et langage 251. L’enseignant va certainement délivrer d’autres consignes d’aide à la réalisation dans l’action d’enseignement, mais les consignes relatives au savoir à enseigner ne sont pas ou peu planifiées. Les objectifs concernent plus d’énoncés chez les enseignants d’expérience et experts handball que chez les enseignants débutants ; ces derniers écrivent plus d’énoncés concernant l’organisation des situations d’apprentissage que les autres. Le rôle de la planification semble bien se situer autour des énoncés d’action.

La façon qu’ont les enseignants débutants d’écrire leur planification conduit à pousser l’analyse. Prenons l’exemple de l’enseignant débutant n° 19 (leçon 3, situation 3).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L3.S3 : « Obj. Déplacement avec le ballon et tir = pression temporelle. » « Aller marquer seul avec adv en retard dans le dos → faire acq l’utilité des 3 pas et tir en suspension. Le déf. démarre lors de la 1ère passe pr aller att, nécessité de passer en relais avec le passeur. La situation est complétée par un dessin qui montre un ½ terrain de HB. Il y a sur le plan un passeur, un défenseur, 2 attaquants et un gardien. Les déplacements du ballon et des joueurs sont précisés. Gardien volontaire au tir intelligent. » Cette situation est un ajustement programmé de déplacements. Les départs, les courses des joueurs et l’endroit du tir sont prévus. Pour exécuter cette situation, les élèves vont devoir ajuster temporellement leurs courses et la trajectoire de celles-ci. L’énoncé de la situation prévoit :
Le faire = aller marquer avec un adversaire sur le dos.
La connaissance = acquérir l’utilité des trois pas.
L’organisation = le défenseur démarre lors de la première passe, etc.
L’objectif = déplacement avec ballon et tir + pression temporelle.
L’objectif de la situation d’apprentissage est le récit résumé de ce qu’il y a à faire dans cette situation même. Chez cet enseignant débutant, l’objectif de réalisation est confondu avec l’objectif d’apprentissage. En fait, « faire acquérir l’utilité des trois pas » semble ici plus l’objectif de l’apprentissage ; l’un indique le comment alors que l’autre indique le quoi. Pour cet enseignant, il s’agit d’abord de faire agir ses élèves, où l’on en reste souvent au stade du comment. On a l’impression que la réduction sémiotique, syntaxique, tout ce qu’impose planification et transposition didactique, vient jeter le trouble sur l’identification de l’objectif d’apprentissage.

Au fil des transpositions, les enseignants débutants commencent leurs écrits selon un « objectif de réalisation » et les enseignants d’expérience selon un « objectif d’apprentissage ». Du débutant sensibilisé par le comment, on passe à l’enseignant d’expérience préoccupé par le quoi.Autrement dit, les écrits de planification des enseignants débutants se demandent « comment faire apprendre et acquérir le savoir » alors que les enseignants d’expérience se demandent « quoi faire apprendre, quel type de savoir ».

L’enseignant débutant n°17 (leçon 3, situation d’apprentissage 1) se soucie plus de la tâche planificatrice que de la tâche transpositive, si l’on considère que la tâche de planification a trait à la gestion et à l’organisation des tâches à effectuer et que la tâche transpositive regarde l’identification d’une connaissance ou d’un savoir à enseigner. Dans sa première situation d’apprentissage, cet enseignant prévoit son matériel pour toute la leçon et se préoccupe de l’organisation.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L3 S1 : « Matériel = plots 8 cerceaux 6, maillots 9 O, 8 B, ballons. Appel. Echauffement sans ballon. 5 tours de terrain de tennis. Sur la ligne jaune en longueur. → montée de genoux → 1 genoux → talons fesses → 1 talon → pas croisés → jbes croisés → pas chassés. Etirements. Modélisation des énoncés de la situation d’apprentissage.
Énoncés concernant le matériel .
Énoncés concernant l’administration .
Énoncés concernant son intention éducative (échauffement).
Énoncés concernant l’organisation (cinq tours de terrain de tennis).
Énoncés concernant les actions à faire (montée de genoux, etc.).

Dans ce cas, on est assez loin de pouvoir considérer les traces écrites de planification comme la transposition didactique d’un savoir à enseigner. Mais ces écrits disent la façon dont l’enseignant s’y prend pour enseigner c'est-à-dire l’ordre de ses priorités. Les réponses à notre questionnaire confirment cette hypothèse.

Dans sa leçon 5, situation d’apprentissage 2, l’enseignant en question écrit : « 1 passeur fixe ds cerceau démarquage de l’autre ». La phrase indique en même temps l’organisation et l’action à faire, alors que les enseignants d’expérience ont plus tendance à écrire des énoncés concernant les actions à faire d’une façon isolée et qu’ils planifient souvent leurs intentions pédagogiques en les dissociant des problèmes d’organisation.

On peut tenir un autre discours sur la seule planification de l’organisation. Le montre l’exemple de la situation 1 de la leçon 4 de cet enseignant.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L4 S1 : « W passe, 1, att, déf, att, ? 6x3 1x4” Un croquis nous fait comprendre que deux attaquants vont tenter de rentrer en relation avec un joueur à l’intérieur d’un cercle, un défenseur est chargé d’empêcher se système de relations. Un autre cercle délimite l’espace à ne pas franchir pas les deux attaquants. La situation peut se résumer ainsi : faire une passe à un joueur localisé dans un espace ; ensuite, un défenseur est là pour gêner les passes. Les attaquants devront se déplacer et le receveur devra s’orienter en fonction du jeu du défenseur pour assurer la réussite de la passe.
La situation est localisée ; elle est technique, bien qu’il y ait une part d’incertitude. Par contre, nous comprenons selon la façon dont la situation est construite qu’il y a un risque important que les joueurs se fassent des passes face à face entre le passeur et receveur.
Il n’y a pas d’énoncés sur les intentions éducatives. L’enseignant s’attache à ne planifier que l’organisation de sa situation. Cependant, notre démarche compréhensive sur le but de la situation à partir de ces énoncés peut avoir le même effet au niveau de la planification pour l’enseignant. Autrement dit, si les énoncés d’organisation expriment le fonctionnement de la situation, ils nous permettent aussi d’en saisir le sens et les significations. Au vu du fonctionnement de la situation, un expert connaîtra la finalité et certainement les intentions de formation de l’enseignant. Dans ce cas, faire un travail de passe en favorisant la communication entre le passeur et receveur implique par exemple la nécessité de sortir de l’alignement ou de la zone d’ombre du défenseur, etc.Nous comprenons alors que l’intention éducative est dissimulée dans la planification de l’organisation de la situation d’apprentissage. En éducation physique et sportive, la planification de l’organisation de la situation d’apprentissage est prioritaire sur la transposition du savoir à faire apprendre.

La planification des contenus de formation (ce qu’il y a apprendre) s’explique plus par la planification de l’organisation et des actions à faire que par la planification de savoirs ou savoir-faire à apprendre sous forme d’objectifs. Dans le cas ci-dessus, l’enseignant ne planifie pas : « apprentissage de la relation passeur/réceptionneur » ou « jouer en mouvement ou sortir de la zone d’ombre » ; il planifie l’organisation et les actions qui vont produire cette connaissance.

La combinaison d’un énoncé est parfois volontairement multiple, comme l’établit l’énoncé de l’enseignante d’expérience n°25 (leçon 3, situation d’apprentissage 3). Cette enseignante écrit : « organisation : jouer 3 contre 1+1 un défenseur dans chaque ½ terrain ». L’enseignante fond dans un même énoncé le savoir dans sa rationalité planificatrice et transpositive et annonce le « scénario d’action » : on va jouer à trois contre un et un. C’est une transposition du savoir « montée offensive » de l’activité handball. L’énoncé donne en même temps l’organisation de la situation ; il énonce « l’effectif et la localisation » c'est-à-dire trois en attaque et un défenseur dans chaque demi terrain. C’est un énoncé qui précise autant l’organisation que la transposition effectuée de la « montée offensive ».

Les énoncés de planification combinent savoir/objectif /organisation/énoncé à dire sur le terrain/l’action à faire/le lieu de l’action/les rapports de forces en présence/etc.

Pour les experts handball, l’affaire est un peu différente. Tous annoncent un thème de travail en préambule de la leçon ou au début de la leçon, mais ils procèdent de la même manière que les enseignants du secondaire quand nous consultons leurs traces écrites.

L’analyse des énoncés de l’enseignant expert handball n°03 (situation d’apprentissage 1, de la leçon 3) le montre plus précisément.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L3 S1 : Colonne 1 : « Echauffement » Dessin d’un terrain de HB coupé en trois parties dans le sens longitudinal. Dessin de quatre attaquants et quatre défenseurs, un joker. Colonne 2 : « 2 équipes de 4 joueurs + 1 joker. 3 zones. 1 joueur ds les zones latérales. 2 au centre. Le joker se déplace sur tout le terrain. But : poser le ballon ds sa zone. Seul le joueur qui a le ballon change de zone. 2 ; seul le joueur qui a fait la passe change de zone. 3 libre. Colonne 3 : « Changement de zone. Mvt, soutien, déf. » Les énoncés de cette situation d’apprentissage sont assez significatifs. Ils expriment des obligations, des choses à faire, des contraintes de déplacements, etc. On comprend que l’écrit de planification est plus l’écrit de la construction didactique de la situation d’apprentissage que la transposition d’un savoir expert.
Inversement, un enseignant expert pourrait très bien planifier ses intentions d’apprentissage tels que : « attaque de la 3-3 », « travailler la conservation du ballon en gardant une structure d’attaque », « valoriser le jeu de manœuvre » etc. Ici, ce n’est pas le cas ; il n’y a pratiquement qu’une forme de planification didactique qui expose la construction d’une situation d’apprentissage sous la forme d’énoncés d’organisations et d’actions à faire. La préoccupation première n’est pas d’identifier un savoir, une compétence, une logique d’action, un principe, une connaissance, etc. La première préoccupation, c’est de planifier ce qu’il faut faire avant de planifier ce qu’il faut savoir pour faire. Bien sûr, il y a des objectifs déclinés avant les énoncés des situations d’apprentissage en début du cycle de formation. Mais ces objectifs sont trop généraux pour devenir des savoirs d’action(s) pour les joueurs apprenants. L’objectif suivant : attaque d’une 3-3 en est un exemple. L’objectif, c’est l’attaque de la 3-3 ; mais on ne planifie pas les savoirs d’actions (ou si peu) pour connaître ce qu’il y a à apprendre ou à faire pour réussir cette attaque. Pour cette leçon 3, l’enseignant tente d’annoncer les savoirs à enseigner à la suite des objectifs de cycle donnés en annexe que sont : « l’entrée de l’ailier en deuxième pivot sur la sortie en poste du 1er pivot à l’opposé de la balle » et « Rééquilibrer aux postes principaux ». On va toutefois poser la question « oui mais comment ?» à la suite de l’annonce de ces objectifs, c'est-à-dire ce qu’il faut savoir pour que l’ailier rentre en deuxième pivot, à quel moment, dans quelles circonstances, etc. Le savoir ne peut alors s’exprimer que dans le contexte de réalisation de la situation d’apprentissage, c'est-à-dire par les procédures et les solutions que vont mettre en jeu les apprenants. L es moyens que vont développer les élèves pour réaliser ces objectifs sont en fait ce qui constitue le savoir. L’écrit de planification est surtout un écrit du contexte de réalisation du savoir. Les joueurs vont devoir apprendre à occuper le poste dès qu’un partenaire est parti dans un autre secteur du terrain et qu’il faut investir l’espace latéral et en profondeur, etc. Tous ces savoirs d’action(s) ne sont pas planifiés mais sont la conséquence de la planification didactique de la situation d’apprentissage. Le didactique est la mise en scène du savoir, il n’est pas le texte du savoir. Seul, l’élève acteur dit et sait le savoir en le pratiquant. Mais, pour conceptualiser et mettre en mots ces savoirs, les enseignants et les entraîneurs seraient-ils en plus d’être des metteurs en scène des «  souffleurs » de savoirs sur le terrain ?

La planification et l’organisation de l’action se conjuguent avec l’élaboration des contenus d’enseignement. La situation d’apprentissage est une construction intelligente favorisant la mobilisation personnelle des connaissances par les élèves. En éducation physique et sportive, elle est toujours favorable à l’action comme temps d’appropriation du savoir.

Notes
251.

Vygotski, L. (1997). Pensée et langage. Traduction de Françoise Sève. (3ème éd.). Paris : Éditions La Dispute.