II - Langage du savoir ou langage d’action ?

II.1. Le langage didactique.

Les écrits de planification sont un discours didactique, un discours "auto-référencé". Les réponses du questionnaire ne mettent pas en doute que l’enseignant planifie pour lui-même, que son discours est un « faire » et vaut comme une action professionnelle.

Les traces écrites de planification construisent artificiellement les représentations de l’enseignement en éducation physique et sportive. Elles nous font passer de l’intervention sur le terrain à l’idée de cette intervention et à sa conceptualisation. Les énoncés, les consignes, les croquis et les mots remplacent les faits d’enseignement dont ils conservent les traits essentiels.

Un langage pour l’expression du savoir par le savoir-faire professionnel.

Soit l’exemple de l’enseignant débutant PLC n°19 (leçon 1, situation 1).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1. S1 : « 1b/él → se déplacer en dribble sur l’ensemble des lignes du terrain de HB » L’énoncé dit : un ballon par élève, se déplacer en dribble sur l’ensemble des lignes du terrain de handball. L’enseignant impose un type de déplacement (en dribble) et impose un lieu (les lignes du terrain). L’objectif est de faire reconnaître par les élèves les limites du terrain et les lignes particulières d’un terrain de handball, tout en favorisant l’acquisition et la maîtrise du dribble par la contrainte de dribbler en suivant les lignes. Mais cela sous-entend aussi que le dribble se fait en déplacement, que les élèves visitent les limites du terrain, qu’ils travaillent la coordination du dribble et la notion de perception avec un ballon en main, etc., l’objectif étant aussi de décentrer le regard du ballon en donnant comme repère et comme contrainte de suivre la ligne du terrain.

Si le choix n’est pas très heureux et s’il est peu adapté à la réalité du jeu, l’énoncé dit concrètement ce qu’il faut faire mais ne dit pas ce qu’il faut apprendre ; il n’y a pas d’objectif déclaré (dissociation du regard entre ballon et espace de déplacement, maîtrise technique du dribble, etc.) et l’élève en reste au stade des opérations concrètes.  L’enseignant ne semble pas là conceptualiser lorsqu’il planifie ; aussi les élèves risquent-ils de développer des idées sans comprendre pourquoi il est nécessaire de dribbler de cette façon en suivant une ligne.

Ce premier exemple simple nous conduit à proposer l’idée suivante : les écrits de planification ne sont pas toujours une transposition didactique de concepts, ils sont le plus souvent une planification de contraintes d’action(s). Les consignes qualifient l’objectif déclaré ou recherché, elles ne définissent pas à proprement parler l’action porteuse du savoir ou savoir-faire ; elles orientent les actions pour laisser une part à l’improvisation et à la création.

L’analyse est la même concernant l’expert handball n°1 (leçon 1, situation d’apprentissage 3).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 S3 : Objectif. Utilisation de l’espace ; Il y a un croquis qui montre le terrain de handball, les joueuses et les quatre maillots. L’énoncé dit : « 4 maillots disposés sur le terrain lignes de touches : 2 équipes : poser le ballon sur 1 maillot. Changer de maillot à chaque point. Alternatives. 2 ballons. L’énoncé est pratiquement un énoncé d’organisation. Il précise ce qu’il faut faire et la façon de marquer le point. Il propose des "multi-cibles" et une contrainte : changer de maillot à chaque but. En dehors de l’objectif de la séance qui est l’utilisation de l’espace, les autres énoncés concernent des principes d’organisation ou de gestion . Mais l’objectif de séance est bien laconique, car que veut dire : « utilisation de l’espace ». On annonce un faire – ce qu’il faut faire – mais on n’annonce pas comment il faut faire. Le comment faire est pourtant ce qu’il y a à apprendre, mais le discours ne dépasse pas le quoi faire . C’est la joueuse qui doit découvrir le comment faire. On peut imaginer que l’entraîneur va demander ou commenter les actions des joueuses dans l’interaction, tels que : s’écarter, se démarquer, aider le porteur de balle, etc. On peut conclure que les énoncés de planification ne comportent pas les éléments internes du savoir, qu’ils comportent juste la notion qui le fonde ainsi que la structure qui le contient . L’entraîneur n’est pas préoccupé dans sa planification par le savoir technique tel que savoir comment utiliser l’espace, mais il est soucieux de la mise en place de l’organisation d’une situation d’apprentissage qui lui servira pour faire comprendre le savoir. Il y a un vide entre l’objectif de séance : « utilisation de l’espace » (on comprend qu’il s’agira d’utiliser correctement cette espace) et les énoncés d’organisation. Il transpose en construisant des situations d’apprentissage ; ce travail transpositif ne consiste donc pas à transposer un savoir précis (occupation de l’espace, jouer en mouvement, se démarquer, etc.) mais à fournir les éléments organisationnels qui vont implicitement détenir à travers leurs systèmes de relations le savoir à apprendre. On n’énonce pas le savoir, on ne le transpose pas ; mais on énonce les conditions de sa survenue ou simplement de son existence.

On peut également supposer que les entraîneurs ou les enseignants savent implicitement que le savoir ne prend forme que dans l’action et qu’ils construisent un texte scénarisé engageant un discours sur ce qu’il y a à apprendre. Ainsi l’enseignant éprouve-t-il au contact des élèves ce discours fait de gestes et d’actions en mettant des mots et des compétences sur les réalisations. Lors de l’activité de planification et de transposition didactique, la préoccupation porte sur des déterminants et non sur des dénominations du savoir.

L’analyse des énoncés de la situation d’apprentissage 2 de la leçon 4 de cette enseignante expert handball nous permet d’avancer une nouvelle proposition. Le texte de la planification est un discours qui raconte ce que chacune des joueuses doit faire sur le terrain en fonction de son rôle ou statut. Dans ce cas, la planification est l’élaboration d’un scénario qui impose des tâches définies chronologiquement.

Ce qu’il y a à apprendre, c’est « l’engagement et le désengagement » des joueuses à proximité de la cible pour aller au tir ; d’ailleurs, ici, la fin du scénario est une nouvelle forme « d’engagement ». Cet exemple pose la question de savoir comment faire acquérir une connaissance en éducation physique et sportive comme dans le milieu expert. Le discours de l’enseignante ne transpose pas un savoir théorique ni ne conceptualise le principe « d’engagement ou désengagement » ou son utilité face à une défense active. La transposition didactique est une planification d’actions qui présente des points de connaissances définissant la compétence comme le savoir appris. La planification n’est pas un développement de la signification d’un savoir indépendant ; elle est un développement des points remarquables qui le constituent. La signification du savoir est comprise dans l’action et sa pratique est déterminée par les règles didactiques.

Nous constatons que les enseignants ne planifient pas exactement le savoir mais qu’ils planifient les connaissances qui l’impliquent. Dans sa mise en œuvre, cette enseignante donne une intention initiale  – « s’engager et se désengager » – et seulement quelques indications sur les moyens de le faire. Les experts handball donnent plus d’indications sur les moyens que les enseignants du second degré. Par la construction de leur situation d’apprentissage, les enseignants expriment leur volonté de mise en situation du savoir.