II.2. Un langage pour le savoir. 

Étudions la situation d’apprentissage de l’enseignant débutant n°19 (leçon 1, situation 2).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1.S2 et S3 : 1b/2él → 3m se faire des passes ; tendues, redb. Puis lobées et dans un 2ème temps, s’éloigner progressivement L’enseignant impose un déplacement, prévoit un ballon pour deux élèves, demande à être à une distance de trois mètres et de faire des passes tendues et à rebonds puis en lobes. On constate que les actions à faire son programmées et imposées, que l’élève répète des gammes choisies par l’enseignant. L’objectif est sans doute l’amélioration des passes en imposant trois variables (distance de passe, et deux formes de lancer). L’enseignant catégorise les manières de faire des passes en handball et fait un choix d’enseignement en différenciant les possibilités techniques pour faire des passes. Cette segmentation des formes de passes représente des savoirs en acte. Il y a transposition et modélisation en grandes catégories des formes de passes du jeu de handball en classant et en nommant les plus repérables.
Dans un deuxième temps, l’enseignant joue sur la variable espace en donnant la consigne de « s’éloigner progressivement » en se faisant des passes. Pour l’enseignant, cet énoncé/consigne indique autant ce qu’il va faire faire qu’il indique un ordre/consigne futur à donner sur le terrain aux élèves : « s’éloigner progressivement ». Ce dernier énoncé devient un annonce partielle du savoir à apprendre et sous-entend que cette nouvelle variable spatiale va intervenir pour faire prendre conscience que, contrairement à ce qui est dit en premier, on ne doit pas rester en permanence à trois mètres du receveur. Il faut comprendre que la passe à trois mètres représente la passe idéale classique qui perturbe peu les joueurs et qui correspond à leurs capacités actuelles. La possibilité de l’éloignement représente la zone proximale de prochain développement dont la limite se situe sur l’impossibilité permanente à pouvoir se transmettre correctement le ballon de handball.

Dans notre cas, l’étude dela passe n’est plus une technique au sens d’une manière de faire adaptée à une situation mais au sens d’un geste didactisé à respecter ; ce geste est expurgé de sa dimension culturelle. La passe ainsi apprise est une monstration d’un savoir-faire une passe ; il ne s’agit pas d’un apprentissage de la passe jouée.

La plupart des énoncés sont des consignes proposant des savoir-faire techniques qui stockent l’expérience de l’enseignant. La consigne, ce « prêt à dire » aux élèves, est-elle alors nécessaire pour apprendre en éducation physique et pour donner une condition d’existence aux savoirs ?

Les consignes de l’enseignant d’expérience n°27 (leçon 7, situation 1) sont : « consignes : (cf objectifs : circula-défense) ne passer qu’à un partenaire démarqué » et la consigne suivante : « ne pas chercher à "forcer" si bloqué → passer en retrait ». Il s’agit de consignes d’actions à faire qui, en regard de l’objectif déclaré, sont les savoirs et connaissances qui permettent de l’atteindre. Tel est le cas d’un praticien expert délivrant des consignes à son apprenti pour qu’il puisse réaliser adroitement une action. La consigne « ne passer qu’à un partenaire démarqué » est le savoir pratique qui va permettre la progression sans encombre du ballon vers la cible pour les attaquants ; on pourrait l’appeler « consigne savoir ». Ajoutons que le comportement de l’élève n’est pas déterminé par une énonciation de la culture handball mais par une culture faisant partie de l’action à faire, la situation d’apprentissage fournissant le cadre à la compréhension et à l’interprétation de son comportement. La consigne planifiée n’est pas le langage d’un savoir théorique paresseux, elle est une consigne d’action.

En sports collectifs et plus particulièrement en handball, les savoirs sont des « savoir-faire de circonstances » selon le sens que Jérôme Bruner donne aux « savoir-faire »252. Ainsi, il y aurait anticipation de l’action associée à une perception de l’adéquation c’est-à-dire de ce que l’on est en train de faire et de ce que l’on anticipe pour la suite par rapport à l’objectif d’un programme sériel mis en œuvre. L’élève acquiert ainsi un savoir et des savoir-faire développés dans la situation d’apprentissage.

Outre la description de la situation d’apprentissage et les annonces d’actions à faire, les experts handball développent un discours plus précis que les enseignants du secondaire. Les situations sont moins construites pour faire découvrir le savoir que pour en tenir le discours. Ainsi, l’enseignant expert handball n°3 (leçon 1, situation d’apprentissage 3) écrit les énoncés suivants : « ê aligné pr repousser, pr excentrer ». Dans la situation précédente, il avait écrit : « appuis décalés pr excentrer ê équilibré ». Il planifie non seulement les conditions de l’action mais aussi les procédures qu’il va falloir utiliser pour apprendre les savoirs « repousser » et « excentrer » le joueur attaquant. Pour les experts handball, le langage propre à la délivrance du savoir ne suit pas la tendance d’un enseignement favorisant la découverte de connaissances mais prend la forme d’un enseignement assujettissant les joueurs à l’obligation de connaître.

Notes
252.

Bruner, J. S. (1993). Le développement de l’enfant : Savoir faire. Savoir dire. (4ème éd). Textes traduits et présentés par Michel Deleau avec la collaboration de Michel Jean.Paris : PUF. (p.116).