III - Le discours de l’apprentissage.

Enseignement, obligations et contraintes.

En confrontant les traces écrites avec notre situation "d’apprentissage-type", la mobilisation de l’unité didactique « provoquer une contrainte »  est apparue soudainement comme très importante alors que cela n’était pas considéré comme conséquent bien que l’enseignant puisse exercer quelques contraintes pour enseigner.

Quelles influences didactiques peuvent alors avoir les obligations et les contraintes sur la manière de transposer l’activité culturelle de référence handball ?

La mise en opposition des joueurs entre attaquants et opposants crée une série de contraintes aux actions ou intentions253 des joueurs des deux camps. Les situations d’apprentissage non jouées comportent aussi de nombreuses contraintes d’actions cette fois-ci imposées. Ce constat pose la question sur la façon dont les enseignants envisagent l’apprentissage de la motricité.

Rappelons les pourcentages des contraintes d’actions (unité didactique « provoquer une contrainte ») dans les énoncés des enseignants par situation d’apprentissage.

Enseignants débutants Enseignants d’expérience Experts Handball
81,62% 84,61% 95,17%

L’obligation de faire une action peut se comprendre dans le cas où c’est l’enseignant qui décide de ce qu’il y a à faire. Le problème est qu’il impose pratiquement en permanence un faire, c'est-à-dire qu’il contraint l’exécution du geste. L’imposition des procédures est souvent dissociée de l’objectif comme modèles à suivre du savoir à apprendre. Dans de très nombreux cas et de manière parcellaire, les enseignants en général exigent qu’une démarche soit respectée sans qu’il y ait des problèmes évidents de sécurité.

Dans les écrits de planification, il manque généralement les éléments didactiques qui expliquent ce qu’il y a à apprendre ; il y a très peu d’énoncés sur les manières de faire qui permettraient aux élèves, à titre de « connaissances », de réaliser l’objectif d’apprentissage. Le faire est le plus souvent « une obligation d’action » à tendance techniciste.

Les contraintes ou obligations d’actions passent moins par des consignes descriptives que par une édification de règles. La définition de ces dernières va être d’une grande importance254 au niveau de l’apprentissage. De fait, il y a une très grande variété dans les propositions réglementaires des enseignants et on passe parfois de contraintes et obligations très fortes à des variations plus nuancées et diffuses.

Pour comprendre cette variabilité des contraintes, nous allons analyser les énoncés de l’enseignante d’expérience n°25 (leçon 4, situation 1). Cette enseignante écrit : « on trottine en se faisant des passes ». Elle impose des contraintes d’actions à ces élèves (trottiner et se faire des passes), qui laissent la possibilité de se faire des passes lorsque l’on peut ou lorsqu’on le désire. Elle annonce alors à ses élèves : « puis celui qui n’a pas le ballon fait une flexion » (remarquons que le mot « puis » signifie un décalage dans le temps). La contrainte est nouvelle : il y a toujours la liberté de faire des passes mais elle est cette fois-ci conditionnelle ; le "non-porteur" de balle doit faire une flexion en plus de trottiner, etc. Nous pouvons alors imaginer la variété des contraintes d’action que les enseignants peuvent mettre en place.

Soit un autre exemple de cette enseignante (leçon 4. situation 3) dont le scénario de la situation d’apprentissage permet une lecture des contraintes.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L4 S3 : « Situation pédagogique n°1 : But : faire progresser le ballon jusqu’au but adverse afin de marquer un but. Consignes : monter la balle vers le but opposé sans le perdre et tirer pour marquer. Organisation : par 3, un groupe en attaque, 2 en défense, 1 dans les buts. Au coup de sifflet, le gardien lance l’attaque et départ des attaquants et des défenseurs. CR. Réaliser 4 attaques – si tir et but : 2 points – si tir seul : 1 point – si perte de balle 0 ». Un croquis montre un terrain de HB, trois joueurs près au départ dans l’axe central, un gardien, des joueurs en attente sur les côtés du terrain, deux d’un côté et un de l’autre. Scénario des énoncés :
Un "sous-objectif" d’actions à faire : « faire progresser le ballon jusqu’au but adverse afin de marquer un but ». L’énoncé signifie une contrainte de réalisation.
Une action obligatoire à faire : « monter la balle vers le but opposé ».
Une contrainte d’action : « sans la perdre ».
Une contrainte d’action : « et tirer ».
Une consigne/contrainte d’organisation : « par 3, un groupe en attaque, 2 en défense, 1 dans les buts ». Qui est aussi une forme de contrainte.
Une contrainte d’action : « au coup de sifflet, le gardien lance l’attaque et départ des attaquants et des défenseurs ».
Une contrainte d’action : « réaliser 4 attaques ».
Précisions sur les conditions de réussites : « si tir et but : 2 points, etc. ».
Une vue spatiale de la situation : le croquis.
Chez l’enseignante, on note une volonté de produire une situation qui assure le fonctionnement souhaité des sujets qui y participent. Les questions concernant les possibles et les alternatives ainsi que d’autres modes de fonctionnement ne sont pas envisagées. L’objectif se décline uniquement en contraintes d’actions.

Les contraintes d’actions, et donc de l’apprentissage, sont réparties et dissimulées dans les différentes rubriques : buts, consignes, organisations, critères de réussites. La tendance pour faire apprendre repose sur des assujettissements. On peut penser que la représentation que les élèves auront de ce qu’il y a à faire, donc à apprendre, subordonne le savoir à la logique de la leçon. Les contraintes forgent le contexte d’énonciation et peuvent être prises pour les savoirs à retenir : on ne doit pas apprendre les contraintes d’action mais ce qu’elles nous obligent à penser ou à faire en agissant. On doit ainsi pouvoir identifier les procédures employées par les élèves lorsqu’ils agissent pour résoudre les problèmes posés par les contraintes.

Pour l’enseignant d’expérience n°22, huit situations d’apprentissage sur dix comportent des contraintes d’actions. De plus, les critères d’évaluation tels qu’il les définit risquent de devenir des contraintes d’actions tant les élèves de sixième voudront répondre aux critères évalués. Par exemple, le ratio entre le nombre de tirs tentés et le nombre de buts réussis risque de contraindre indirectement les actions des joueurs sur le terrain.

Dans la situation 1 de la première leçon de cet enseignant, les « consignes/contraintes » ont pour objet de favoriser l’apparition du principe à apprendre. Ces effets voulus sont issus de l’interdiction de dribbler et d’entrer en contact entre les joueurs. Il s’agit de favoriser le jeu collectif. Sans l’autorisation de dribbler, on ne peut en effet progresser sur le terrain qu’en se faisant des passes entre joueurs c'est-à-dire en jouant collectivement, etc. ; cette règle renforce encore la nécessité de joueur collectivement. Ainsi, par un choix judicieux de contraintes, l’enseignant induit des réponses comportementales qui vont dans le sens de ce qu’il y a à apprendre.

L’enseignant attire l’attention des élèves sur le principe qu’il souhaite faire apprendre en manipulant des contraintes sous forme de règles à respecter, quitte à être en contradiction avec un savoir-clef de l’activité handball. Faite de cette façon, la transposition didactique recrée un savoir de l’activité à partir de règles didactiques.Ainsi, il y a reconstruction d’un savoir portant sur l’activité culturelle de référence à partir de règles et contraintes indépendantes de cette activité. L’enseignant n’atténue pas les règles de l’activité handball, il impose d’autres règles qui proviennent de son activité didactique c'est-à-dire de « savoirs originaux » propres aux enseignants d’éducation physique et sportive. La transposition didactique n’est ni une déformation ni transposition des constituants du savoir culturel de référence handball ; elle est une transposition en partie de ce savoir culturel à partir de règles didactiques qui appartiennent cette fois-ci aux savoirs professionnels des enseignants.

Dans sa deuxième situation d’apprentissage, cet enseignant contraint la passe en avant en interdisant la passe en arrière. Là encore, il s’oppose au principe de conservation du ballon qui permet cette passe ; il transforme radicalement un savoir de l’activité de référence et ampute volontairement le principe d’une connaissance fondamentale qu’est le jeu en soutien d’attaque. L’enseignant pense faire apprendre le principe de progression vers l’avant en condamnant celui de soutien d’attaque. En contraignant, il fait apprendre la logique de progression dans un seul sens c’est à dire en dépouillant le principe de savoirs paradoxaux qui risquent de nuire à la compréhension de jeunes élèves. En réduisant ainsi les possibilités d’actions des élèves, il impose unilatéralement le principe en supprimant les autres possibilités sources de confusions.

L’enseignant trace son bilan de manière à justifier ce qu’il impose aux élèves : « motricité et adaptations = les contraintes obligent le jeu à se dérouler + vite vers la zone adverse ».

Les conditions d’apprentissage que planifie l’enseignant favorisent-elles alors trop ouvertement l’identification du principe à apprendre ? Les stratégies exploratoires des élèves, les procédures de recherche de solutions et les conflits cognitifs face à un problème semblent en effet absentes de ses propositions didactiques. Ce sont les règles contraignantes qui imposent les actions conduisant au principe à retenir, les règles d’actions que l’élève peut imaginer et a "à-prendre" n’étant pas mobilisées.

On saisit ainsi toute la complexité du comment faire apprendre en éducation physique et sportive. Si la contrainte guide trop, elle enferme les élèves qui n’auront aucun espace de décision. Mais si l’espace de décisions est trop large, il y a risque de ne pas partager la même culture. Le temps d’enseignement est un temps concentré, et l’on ne peut pas séjourner continuellement dans une phase de découverte. L’enseignant est bien ce médiateur qui doit accélérer les processus d’apprentissage, quitte à ne pas suivre la maturation motrice ou intellectuelle des élèves. Il faut savoir précéder les compétences actuelles et construire la réponse pour l’élève (les passes en avant) afin qu’il puisse comparer les nouvelles actions imposées avec des procédures personnelles anciennes. À la lecture de ses énoncés, nous remarquons que cet enseignant favorise ouvertement la solution d’accès au principe par une série de règles didactiques contraignantes

L’autoguidage vers la thématique entraîne la question suivante : faut-il d’abord faire reconnaître le savoir à apprendre par une expérience pratique contrôlée ? Les élèves ne découvrent pas les variables du principe à travailler, ils découvrent le principe tel qu’il doit être. Le savoir-faire devrait-il précéder la possibilité de sa compréhension ?

La combinaison des interdictions et des obligations oriente les actions vers les apprentissages recherchés. On fait apprendre en énonçant des règles et des consignes, en disposant des objets sur le terrain, en identifiant les procédures utilisées par les élèves, etc. L’interaction de toutes les variables didactiques fait émerger la problématique instigatrice du savoir. Le sens des pratiques (du savoir professionnel et du savoir à apprendre) est à rechercher dans l’interprétation des implicites que sont les énoncés des règles de chaque situation d’apprentissage.

L’orientation contrainte des actions permet à l’élève de repérer rapidement la règle d’action efficace et d’augmenter par voie de conséquence la fréquence de ses réponses instrumentales. Par la suite, l’hypothèse d’action devient un principe d’action par le nombre de corrélations que l’élève pourra établir entre ses décisions et le résultat de ses actions dans des situations d’apprentissage moins contraignantes.

Ainsi, dans d’autres situations d’apprentissage quelquefois, les enseignants n’imposent plus expressément des actions à faire mais proposent des actions conditionnelles : « utilisation du dribble si personne me gêne ». Ce type de propositions d’actions conditionnelles apporte un début de consistance conceptuelle aux savoirs à faire apprendre. Ce sont de véritables préludes à l’appropriation par l’élève d’un savoir sur le faire. En favorisant la discrimination de la réponse instrumentale par des propositions conditionnelles, on permet à l’élève d’identifier l’action efficace. Dans ce cas, ce dernier sera tenté de repérer les gêneurs.

L’activité planificatrice construit une véritable stratégie didactique que nous reconstituons à partir des énoncés les plus significatifs. L’enseignant d’éducation physique n’est ni un transmetteur ni un annonceur de savoir ; il construit un monde provisoire pour faire obtenir la production de savoir-faire. Dans sa planification, il ne réfléchit pas uniquement sur le savoir à enseigner mais principalement sur la construction d’un « système à enseigner ».

En posant interdictions et contraintes, il protège les élèves des distractions pour concentrer leur attention sur l’objectif ; il provoque les actions donc les occasions pour eux d’établir des relations entre les actions qu’ils entreprennent et les événements internes à la situation d’apprentissage.

Les enseignants planifient quelquefois un discours didactique et pédagogique, mais ils le tiennent dans l’ensemble pour rendre signifiants les événements permettant aux élèves de conceptualiser sur le terrain un principe enseigné. Dans leur planification, ils cherchent à respecter le principe d’intelligibilité comme construction du savoir en liant à la fois le sens de la situation d’apprentissage définie par son objectif, la signification des procédures employées par les élèves et l’objet culturel handball comme référent de la coïncidence avec ce qui vient juste d’arriver sur le terrain. Tout ce contexte dénominatif permet la compréhension des actes entrepris, étape nécessaire vers la connaissance.

Marc Durand rappelle que  « la conviction est forte chez les enseignants qu’il existe une correspondance terme à terme entre le système de contraintes extrinsèques auxquelles ils confrontent les élèves et l’activité non observable qu’ils essaient de modifier chez eux »255. Dans un tel système de contraintes, ils doivent évaluer en permanence les effets produits et surveiller les conséquences de leurs propositions.

Pour les experts handball, la contrainte est très souvent une obligation stricte tant elle est précise dans les moindres détails. Nous le constatons de manière évidente chez l’expert handball n°5 (leçon 1, situation d’apprentissage 1).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 S1 : Dessin terrain HB. Joueur avec un ballon. « Echauffement, jeu sur tout le terrain – deux équipes – avec GB dans les buts – GB avec rotation des joueuses – déf sur tout le terrain – pas de dribble – tir 2 mains – passes 2 mains » « l’engagement des joueuses (nbre de buts marqués) – la défense (si les joueuses défense sur tout le terrain harcèlent le porteur) » «  -Défense indi ½ terrain (chacune prend 1 joueuse) – passe à 1 main – assise après passe – Touché par déf, passe assise – Dribble infini » Scénario de la situation d’apprentissage par les énoncés.
Objectif :
« échauffement ».
Action à faire et lieu  : « jeu sur tout le terrain ».
Organisation : « deux équipes avec GB dans les buts ».
Organisation  : « GB avec rotation des joueuses ».
Action à faire et lieu  : « déf sur tout le terrain ».
Interdiction : « pas de dribble ».
Obligation/contrainte : « tir 2 mains, passes 2 mains ».
Intention  : « l’engagement des joueuses ».
Contraintes/finalités  : « nbre de buts marqués ».
Qui  : « la défense ».
Intention : « si les joueuses défense (font une défense) sur tout le terrain (alors, elles) harcèlent le porteur » Entre parenthèses, nous complétons la phrase.
Action à faire : « défense indi ½ terrain (chacune prend 1 joueuse) ».
Obligation/contrainte : « passe à 1 main ».
Obligation/contrainte : « assise après passe ».
Obligation/contrainte : « touché par déf, passe assise ».
Action conséquente : « dribble infini ».

Dans la situation d’apprentissage ci-dessus la grande majorité des énoncés sont des contraintes d’action ou d’organisation comme celle de l’enseignant expert handball n°3 (leçon 2, situation d’apprentissage 4) qui multiplie les contraintes. En voici le résumé :

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L2 S4 : Colonne 1 : « Attaque d’une défense 3-3 » Le dessin d’un terrain de HB montre la même place des joueurs que dans la situation précédente, mais on n’a plus les secteurs délimités aux ailes. Colonne 2 : « 4 défenseurs 6 joueurs de champ, circulation de balle ; rentré d’un ailier, pivot d’attaque reste à 6 mètres, l’ailier opposé participe mais n’a pas le droit d’aller tirer » Colonne 3 : « La rentrée de l’ailier dans le bon espace. Rééquilibrage + occupation des postes. Trapèze ». Colonne 4 « Changement défense/attaque. » Objectif : « attaque d’une défense 3-3 ».
Organisation : « 4 attaquants, 6 joueurs de champ ».
Obligation/Contrainte : « circulation de balle ».
Obligation/Contrainte : « rentré d’un ailier ».
Obligation/Contrainte : « pivot d’attaque reste à 6 mètres ».
Obligation/Contrainte/Interdiction : « l’ailier opposé participe mais n’a pas le droit d’aller tirer.
Obligation : « La rentrée de l’ailier dans le bon espace ».
Obligation : « Rééquilibrage + occupation des postes ».
Obligation : « trapèze ». En mettant en relation tous les énoncés de la situation, nous comprenons que la position d’attaque en trapèze est une obligation d’ailleurs confirmée par l’obligation d’occuper les postes sous-entendus d’attaque.
Gestion : « Changement, défense/attaque ».

Cette planification dit aussi ce que les enseignants se préparent à faire sur le terrain, la façon dont ils pensent faire apprendre élèves et joueurs. Ce qu’il y a à apprendre est borné et encadré par des obligations et des interdictions.

Apprendre n’est pas cumuler des savoirs, c’est décider de faire et de comprendre dans l’espace de liberté que l’enseignant a laissé. Par le nombre des contraintes et des règles, la situation d’apprentissage planifiée devient un simulacre de la réalité du jeu de handball ; tout est fait pour mettre en scène un savoir sur l’activité.

Si nous comprenons le rôle de quelques obligations, nous comprenons moins le tout obligatoire. Si elle est nécessaire, la contrainte doit à un moment donné passer du côté de l’apprenant ; elle est l’interface du désir car le désir est aussi une contrainte pour celui qui désire, lequel se contraint plus ou moins volontairement à faire ce qu’il fait. L’intention est une contrainte qui s’appelle désir. Dans notre cas, elle est une intention d’action sur les événements produits par le jeu. Dès lors, pourquoi les experts handball ont-ils tendance à conserver la main mise sur les contraintes?

Par les obligations d’actions générales et les contraintes d’exécution spécifiques qu’ils planifient, les experts handball imposent les principes de jeu à apprendre. Ces savoirs ne sont pas à découvrir ; ils sont le plus souvent à exécuter sous forme d’injonctions. L’enseignement dans le milieu expert se fait-il alors essentiellement dans l’obéissance des apprenants ? Il y a là une forte tendance à privilégier la mémorisation d’actions au détriment des capacités de synthèses et d’expression des joueurs.

Plusieurs analyses de situations d’apprentissage chez les experts font ressortir que le jeu des interdictions et des autorisations permet aussi d’entretenir un rapport de forces suffisant et équilibré entre les attaquants et défenseurs pour augmenter la durée des actions et impliquer le maximum de joueur dans des actions de jeu significatives par rapport à l’objectif déclaré. C’est par un dosage entre obligations et interdictions que l’enseignant expert handball maîtrise des événements tout en laissant une marge restreinte de liberté.

Le travail d’analyse de contenu des écrits de planification nous enjoint à distinguer un discours strictement ordonnancé (« défense individuelle » ou « pas de dribble ») signifiant obligations et interdictions d’un discours plus pédagogique qui propose plus qu’il impose. Entre « défense individuelle ! » et « jouer une individuelle », l’intention signifiante n’est évidemment pas la même.

Il est vrai que l’ordonnancement des énoncés prévient parfois contre une approche plus ou moins directive de l’enseignement. Des énoncés isolés, une logique de l’énonciation par rapport à l’objectif annoncé, la place des énoncées dans la colonne du cadre de planification (ici colonne intitulée « les observables »), la forme passive des phrases, tout cela engage à dire que les énoncés en question  (« démarquage et appel de balle », « transmissions correctes » et « interceptions réussies ») ne sont pas des obligations d’actions mais des actions attendues dans le cadre de la situation d’apprentissage proposée.

Pour tous ces enseignants, les énoncés d’objectifs ne sont pas suffisants pour décliner le savoir. Les consignes d’organisation, les contraintes d’actions, les actions attendues viennent structurer le discours du savoir. Le savoir résulte des différentes contraintes ; les énoncés des contraintes et obligations en sont en quelque sorte la structure. Nous remarquons à ce sujet que les enseignants débutants assimilent le savoir à l’exécution d’actions contraintes sans trop se préoccuper des effets produits au niveau de l’apprentissage, que les experts handball font plus la distinction entre actions à faire pour produire le savoir et savoir attendu de l’interrelation des actions imposées et qu’ils planifient parfois autant la contrainte d’action que la procédure d’action utile à sa réussite. Quant aux enseignants d’expérience, ils utilisent la contrainte d’action dans le sens des effets qu’ils cherchent à produire. Le savoir sort alors des méandres des actions attendues, apparaissant par touches successives comme un principe d’action pourrait l’être. Dans ce cas, les obligations et le jeu des autorisations/interdictions ne sont pas arbitraires. Les énoncés planifiés rendent nécessaires [sur le terrain] les actions (imprévues) des élèves selon le savoir visé par l’enseignant. Ces types d’énoncés agissent comme de véritables règles didactiques qui font autorité et évitent le gaspillage d’actes improductifs. La contrainte consiste aussi à favoriser l’émergence d’une nouvelle coordination motrice pour l’élève.

Comme Jonathan Philippe (2004), nous pensons que le savoir à enseigner est façonné par les variables de transmission et qu’il n’y a pas de savoir identifiable en tant que tel, que les contraintes d’actions agissent comme les variables les plus importantes dans le domaine de la motricité. Observant les pratiques, il a relevé des contraintes agencées et caractéristiques à chaque enseignement et nomme « pratiques-sources-du-savoir »256 les résultats des dispositifs issus de la transposition didactique. En effet, les règles ne suffisent pas pour établir une pratique ; seule, la pratique parle pour elle-même.

En regard des contraintes, le savoir257 n’est pas sécable. En définitive, le passage du savoir savant au savoir à enseigner parait très obscur tant le modèle de la transposition didactique donne l’image d’une existence indépendante du savoir. En éducation physique et sportive, les savoirs à enseigner dépendent de l’agencement des contraintes et des autorisations déterminées par les savoirs originaux. Le savoir n’existe donc que par les contraintes258 pesant sur lui ; les contraintes suggèrent des stratégies qui inspirent les actions aux élèves et par-là même l’idée du savoir. Les savoirs et les savoir-faire ne se mettent en forme et ne s’ajustent que dans l’action. Beaucoup de traités sur l’apprentissage le rappellent : si le rôle de l’enseignant est de créer des obstacles, les contraintes sont omniprésentes en éducation physique et sportive.

Les contraintes énoncées sont souvent des « règles d’actions » (notion utilisée en éducation physique et sportive) précisant l’action à faire. Elles agissent comme force stabilisante et font autorité ; ce sont aussi des règles que l’enseignant impose et, au-delà de l’action à faire, ce sont indirectement des sollicitations d’obéissance à la dite règle. Ainsi, l’énoncé s’écrit bien sous la forme d’une « contrainte d’action ». Cette contrainte fait finalement œuvre éducative au-delà de l’apprentissage technique de l’activité. L’axiologie fait elle aussi partie de la contrainte d’action.

Ce nouveau langage didactique prend naissance dans la signification même des énoncés. Mais nous pouvons encore aller plus loin et développer cet écrit didactique peu commun comme un véritable discours professionnel. Ce dernier est parfois à double titre un discours à voix basse et à voix haute. Nous allons comprendre que la planification écrite est une action d’enseignement à part entière et qu’elle peut être analysée comme telle.

Les types d’énonciations que nous relevons dans le chapitre suivant résultent d’un travail interprétatif basé sur la problématique même des énoncés.

Notes
253.

Searle, J.R. (1985.b.). L’INTENTIONNALITÉ. Essai de philosophie des états mentaux. Traduit de l’américain par Claude Pichevin. Paris : Les éditions de Minuit. (p.105) : « remarquons qu’il n’y a pas d’actions sans intentions ».

254.

George, C. (1989). Déjà cité. (p.62). « La contrainte ne peut être efficace que si le sujet est en adéquation entre la règle et le comportement déclencheur de l’action juste ou du savoir. ».

255.

Durand, M. (2002). Déjà cité. (p.227).

256.

Philippe, J. (2004). Déjà cité. (p.31).

257.

Philippe, J. (2004). Déjà cité. (p.34). « Le savoir enseigné lors d’un cours n’est pas un savoir « dans l’absolu », il est le fruit d’une traduction dans le cadre d’une pratique qui le fait exister par la mise en œuvre de contraintes.

258.

Philippe, J. (2004). Déjà cité. (p.35). «.., un savoir répond à une situation (faite de contraintes et de relations) ». On remarque que cet auteur utilise deux de nos unités d’analyses, contraintes et types de relations, pour expliquer la situation d’apprentissage.