II.1. L’enseignant se parle à lui-même.

L’enseignant se propose de faire des actions d’enseignement et de les animer, de sorte que son énoncé devient un acte visant à accomplir ou à faire accomplir quelque chose à l’acteur qu’il sera sur le terrain.

Soit l’exemple de l’enseignante débutante n°12 (leçon 1, situation d’apprentissage 1).

Les traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 S1 : Première intervention de l’enseignante licence n°2.
« Faire l’appel (présentation)
Présenter la séance brièvement. Echauffement CO + IND → pdt ce tps, installer plots sur terrain (max 15 plots min 11). I expliquer exo I → demander aux élèves de s’asseoir par équipes de 3 (3 coups de sifflet.) M sit pr commencer que semaine dernière. 15’ »
L’enseignante débute sa préparation écrite par des rappels concernant la responsabilité administrative : « faire l’appel » et se "présenter" elle-même. Elle écrit : « présentation ». Il s’agit de présenter sa séance et de commencer par un échauffement ; pendant cette phase, elle compte installer son matériel sur le terrain pour sa première situation.
Scénario du début de leçon :
*Se présenter.
*Faire l’appel
*Présenter la séance.
*Faire échauffer les élèves.
*Installer les plots sur le terrain.
*Penser au nombre de plots.
*Expliquer la situation I.
*Demander aux élèves de s’asseoir.
*Reprendre une situation déjà faite.
Nous constatons que les énoncés sont à destination de l’enseignante, que l’écrit est pour elle-même : c’est son tableau de marche. L’enseignante se dit à elle-même son enseignement.

Un peu plus loin dans la planification de sa situation 2, cette enseignante écrit : « apporter les maillots défenseurs, 4J, 4V, 8 rouge, 8 violet ». On est là dans le genre déclaratif et institutionnel.

Nous retrouvons ce type de discours destiné à soi chez l’enseignante débutante n°17 (leçon 1, situation d’apprentissage 1).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 SI : « 1H35 ; appel ; échauffement sans ballon = mettre plots aux 4 coins → normal → montée de genou → talon fesse → pas chassés → marche arrière. Etirements 5’ je montre puis séances suivantes = démontrat. d’1 d’entre eux » Modélisation du discours tenu par l’enseignante.
*Organisation administrative.
*Temps (leçon et étirements).
*Organisation (mettre 4 plots).
*Actions à faire (montée de genou, etc.).
*Ce que doit faire l’enseignante (je montre).
*Organisation future (les séances suivantes démonstration d’un d’entre eux)
La pensée va de l’organisation administrative (appel) à l’organisation du temps et des actions à faire en passant par ce qui va se faire : « je montre puis séances suivantes = « démontrat 266 d’1 d’entre eux ». Dans ces énoncés de planification, l’enseignante se parle à elle-même. L’écrit prend la forme d’un discours entre l’enseignante et « son double didactique ». Par retour, ce « double didactique » la projette dans l’action à venir en la mettant dans ce « présent futur » « Je montre puis etc. »

Ici, tout nous permet de dire que l’enseignante se parle à elle-même. Un autre exemple (leçon 2, situation d’apprentissage 4) le prouve : lorsqu’elle écrit « donner un numéro à chaq él » ou « appeler 1 numéro », l’enseignante ne s’adresse qu’à elle-même. Mais lorsqu’elle écrit « se reconnaître att ou déf → aller le + vite possible au ballon et à la cible » tout en notant ce qu’elle va proposer, elle s’adresse aux élèves. Sa planification est structurée selon le sens de l’utilité de l’action, de sorte que la trace écrite dit l’interaction même. Comme dans les autres cas traités, l’enseignante est en conversation avec les élèves.

L’enseignante débutante n° 16 (leçon 3, situation d’apprentissage 6) tient un discours à « son double didactique ». Elle écrit par exemple : « Déf = intercepter balle sur les traj. Repérer réceptionneur potentiel pr interdire passe. Consignes = Echanger sans dribble pour faire progresser la balle vers la cible, etc. ». La construction de son texte, ses remarques, ses objectifs, le langage professionnel et technique non adapté à une classe de sixième, les signes « = », l’abondance de l’écrit, l’ordre de présentation, l’enchaînement du texte, l’ensemble indique des énoncés autoréférentiels par lesquels apparaît un double didactique faisant office de validation de ses propositions.

L’enseignant débutant n°14 utilise une forme d’énoncé que nous retrouvons chez tous les enseignants lorsqu’ils se proposent des alternatives d’action. En écrivant « par 2 ou 3, échanges en mouvement », cet enseignant s’adresse à lui-même pour une décision future. Il dit dans un langage d’action ou de terrain ce qu’il convient de faire. On est proche de l’action d’enseignement mais, perçu d’une autre façon, l’écrit suspend le temps didactique et on ne sait pas exactement comment va se gérer l’effectif classe en fonction de l’espace ou du nombre de ballons. Dans le moment de l’écrit, la décision est renvoyée au terrain ; la planification est plus souple que l’action d’enseignement, c'est-à-dire qu’elle oriente l’action à faire sans la définir strictement.

L’enseignante d’expérience n°23 écrit (leçon 1, situation d’apprentissage1) : « Thème + objectifs de leçon : Coopérer pour marquer = Repérage et Inventaire ». L’objectif « coopérer pour marquer » peut se comprendre comme étant destiné aux élèves. Par contre, l’énoncé « = Repérage et Inventaire » indique que l’enseignante s’adresse à elle-même. La même enseignante (leçon 3, situation d’apprentissage 2) écrit : « On peut limiter leurs déplacements » ; elle n’écrit pas « Je peux limiter leurs déplacements » ; elle emploie le « on » parce qu’elle est à la fois elle-même en tant que personne et en tant qu’enseignante qui agit comme une professionnelle réfléchissant sur sa planification. Le double didactique fonctionne dès lors comme un interlocuteur donc sous une autre forme d’interactivité. Ces indices montrent que l’enseignante s’implique personnellement dans la dimension textuelle de son travail. La prise de distance par rapport au texte permet à chacun et à chacune de s’enseigner lui-même ou elle-même en cours de travail.

Soit le bilan avec l’enseignant débutant PLC2 n°18 (leçon 2, situation d’apprentissage 2).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L2 S2 : « Echauffement spécifique : échanger, intercepter 10’. 1 ballon pour 2 : échange de balle, toutes les 5 S au max. Le non porteur de balle essaie d’intercepter le ballon d’un autre couple ». On note que les énoncés possèdent une fonction dialogique, qu’ils s’adressent à quelqu’un même si l’enseignant se parle à lui-même. On a l’impression que les énoncés de planification obligent l’enseignant à tenir un double discours, un qui s’adresse à lui au moment présent (aide à la réflexion) et un pour plus tard (l’enseignant qu’il sera lors de l’intervention sur le terrain). Cet interlocuteur qu’est l’enseignant ayant à intervenir participe à la formation du sens de l’énoncé. Il ne se dit pas « je ferais, il faudra », mais : « échauffement spécifique » « échange de balle, toutes les 5s maxi. » etc. Il y a un discours indirect, presque atemporel ou sur un mode de suspension du temps comme ce qui ne dure pas, on est dans le présent, mais déjà dans le futur « échauffement spécifique » à faire plus tard ou tout de suite. La planification impose un discours avec le futur en le conjuguant un présent. L’énoncé n’est finalement pas individuel, il est le produit de toute une situation sociale et professionnelle de l’écrit de planification comprise comme une situation concrète. L’énoncé est dépendant du groupe d’appartenance et sa structure est une structure sociale et professionnelle. La situation de l’enseignant en train de planifier entre dans l’énoncé comme un constituant nécessaire à sa structure sémantique. Il dit maintenant pour plus tard en présupposant que le groupe social des professeurs d’éducation physique et sportive est à l’écoute. Il tient un discours idéal pour une audience imaginaire. L’écrit de planification est bien un discours professionnel et ce discours est aussi celui de la transposition didactique. L’interlocuteur contient la raison didactique.

L’écriture est utilisée comme un outil critique par des enseignants acteurs de leur pratique. La cohérence narrative parle pour la démarche didactique des enseignants. Aussi, l’écrit de planification fait partie d’une réflexion et d’une formation professionnelle permanentes.

Notes
266.

En ce qui concerne les citations des traces écrites, nous rappelons que nous reprenons le texte écrit tel quel par les enseignants. Ici le mot « démonstration » n’est pas écrit en entier.