II.4. L’enseignant tient un discours général.

Les écrits de planification peuvent prendre une tournure descriptive. Nous retrouvons cette tendance assez souvent chez les enseignants experts en handball et très peu dans les deux groupes des enseignants du secondaire. Il nous semble que ces derniers configurent plus un ensemble d’actions ou de contraintes qui, en interagissant, vont conduire les élèves à utiliser les bonnes procédures pour réussir. Ces actions entreprises apparaîtront comme venant essentiellement des élèves, alors que les experts fédéraux disent dans leurs écrits la procédure qu’ils imposent sur le terrain.

Les énoncés de l’enseignant expert handball n°03 sont de cet ordre. On sait ici qu’il y a une seule personne qui écrit, mais la planification est le résultat d’un travail de groupe de jeunes experts en handball. L’écrit prend une autre forme : il est moins direct, plus neutre, plus descriptif, moins engagé. On a l’impression que l’écrit est dissocié du terrain et que le cadre de planification induit une réflexion tournée vers les aspects didactiques et techniques. L’écrit obéit à des convenances didactiques plutôt qu’il recherche une pertinence opérationnelle.

Voyons cela dans la leçon 1, situation d’apprentissage 2, de cet enseignant.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 S2 : 1er Colonne. «  1X1 » Un terrain de HB, 3 carrés sont symbolisés par des plots. Un défenseur dans chaque carré. Deux carrés aux 9 mètres et un carré aux 9 m opposés. 4 attaquants avec chacun un ballon. Un gardien dans chaque but. 2ème Colonne : « Pr le PB : 2 pts si but en étant passé ds le carré. 1 pt si but sans traverser le carré. Pr le déf : repousser p excentrer. 2 par att excentrée. Pr le déf : 12 passages : minimum 12pts. Pr l’att : 2 passages, minimum 2pts »
3ème Colonne : « appuis décalés pr excentrer. ê équilibré.
Modélisation du discours de l’enseignant :
L’objectif technique : « 1X1 »
Le plan de la situation : « le croquis »
Désignation : « pr le PB » = pour le porteur de balle.
Action conditionnelle : « 2pts si but en étant passé ds le carré »
Action conditionnelle : « 1pt si but sans traverser le carré »
Désignation : « pr le déf »
Sous objectif d’action et action conditionnelle : « Repousser pr excentrer, 2 par att excentrer »
Désignation  : « pr le déf »
Actions à faire et contrainte : « 12 passages : minimum 12pts »
Désignation : « pr l’att »
Actions à faire et contrainte : « 2 passages, minimum 2pts »
Sous objectif d’action, action à faire et contrainte : « appuis décalés pr excentrer ê équilibré »
Nous comprenons ici que le discours est indirect. L’enseignant parle en général. Ce n’est pas un discours d’action, c’est presque l’établissement d’un règlement. Le langage est utilisé dans l’idée de faire une communication. L’intérêt de ces écrits est qu’il fait une sommation des connaissances et compétences didactiques des experts handball.

Nous faisons la même analyse dans la leçon 3 de cet enseignant. Dans les énoncés de ses situations d’apprentissage, le discours paraît neutre. On n’arrive pas à identifier l’instance d’énonciation; le discours est haché, descriptif. Le fait de préparer ses propres interventions avec d’autres engage certainement l’enseignant à produire un discours général. De plus, ses préparations sont destinées à être vues par les formateurs auxquels il semble que le producteur des écrits s’adresse, de sorte que son écrit est moins libre. Cet enseignant expert handball va toutefois devoir réellement agir sur le terrain à partir de sa planification, c'est-à-dire qu’il n’écrit pas pour informer d’une façon générale mais pour dire ce qu’il veut et va faire sur le terrain. Ses traces écrites là sont à mi-chemin entre un vrai travail de planification pour soi et une production destiné à la communication.

L’écrit se soumet au cadrage et aux titres préétablis dans les colonnes, tout en exprimant la façon dont les entraîneurs en formation pensent faire apprendre les joueurs. Les énoncés n’apparaissent plus comme des "prêts-à-dire" pour engager concrètement l’action ; ils racontent un enseignement.

Discours et cadrage.

Dans la leçon 3 (situation d’apprentissage 6), l’enseignant planificateur expert handball n°3 ne remplit plus toutes les colonnes prévues dans le cadre préétabli de la planification, ce que nous retrouvons chez presque tous les enseignants utilisant un cadre préétabli.

Pour l’ensemble de cette séance d’entraînement, cinq situations sur six utilisent trois colonnes du cadre préétabli qui comporte en tout cinq colonnes. De plus, une situation d’apprentissage sur (les) six mobilise seulement deux colonnes du cadre préétabli. L’enseignant qui écrit les énoncés de planification n’a pas obligation de remplir toutes colonnes et n’en ressent pas la nécessité.

Nous constatons aussi que le cadre préétabli par les formateurs est moins respecté au fil des leçons planifiées, constat renouvelé lorsque les enseignants du secondaire s’imposent à eux-mêmes un cadre précis. Pour tous les enseignants, nous constatons un passage progressif de la raison didactique à la raison fonctionnelle au fil des leçons planifiées.

Le cadrage qu’imposent les colonnes n’empêche pas les redondances, et nous comprenons qu’il n’y a pas toujours accord entre le titre de la colonne et les énoncés correspondants. En faisant une lecture horizontale des énoncés sans passer par les titres de colonnes, nous obtenons la hiérarchisation fonctionnelle de la leçon pour cet enseignant. S’il est encore général, son discours échappe à une lecture verticale imposée par les titres de colonnes pour s’étaler horizontalement en fonction de ses propres besoins. C’est justement une logique horizontale que notre analyse a suivi pour lire les énoncés dans leur contexte.