II.2. La transposition didactique, un paradigme ou un savoir-faire professionnel ?

Pour libérer un savoir d’expérience didactique qu’enferment les écrits, il faut "ré-effectuer" les actes de pensée.

L’enseignant d’expérience n°30 (leçon 3, situation d’apprentissage 3) transpose sa situation de cette façon : il extrait un élément technique précis du jeu de handball (le tir en suspension) ; il supprime les variables jeu qui devraient au moins gêner le tir (tir sans défenseur) ; dans la situation suivante, il réintroduit quelques variables. Ainsi pense-t-il mettre ce nouveau savoir-faire (tir en suspension) en situation perturbante. Il construit une situation répondant à la nécessité d’utiliser ce savoir-faire « tir en suspension », puis il fait la somme des savoir-faire travaillés pour les inclure dans une situation de jeu réelle. Il mise sur la proximité des événements produits par les différentes situations pour que les élèves synthétisent ce qu’il y a à apprendre. Enfin, il inclut l’organisation du groupe classe dans son travail transpositif.

La transposition didactique ne se résume pas à la transposition d’un savoir de référence, mais à la transposition de multiples savoirs : celui de l’activité, celui de l’enseignant, celui de la didactique, celui de la pédagogique, celui de l’institution, etc.).

L’enseignante d’expérience n°23 (leçon 3, situation d’apprentissage 3) propose des alternatives de contenus et ne prend pas de décision définitive pendant sa planification ; elle envisage des possibles.

L’enseignant d’expérience n°22 transpose en manipulant plusieurs variables de l’objet d’enseignement. Il pense premièrement faire apprendre en fractionnant des éléments de l’activité, en isolant des connaissances particulières de la globalité du jeu. Il pense deuxièmement que la logique interne de l’activité (ici, progression vers la cible adverse) correspond à la logique de pensée des élèves. Enfin, il pense qu’il suffit de faire vivre une situation respectant une logique issue de l’objet d’enseignement pour que les élèves apprennent à jouer au handball.

L’enseignant d’expérience n°22transpose en tenant en compte du savoir de l’activité, du savoir des élèves et des savoirs déjà transposés. Lorsqu’il planifie dans sa septième leçon « jeu : l’attaque du gardien adverse », l’intitulé dissimule un savoir sous forme d’un discours ludique. Il n’annonce pas à des sixièmes : « il faut rentrer en duel avec le gardien » ; il annonce que l’on va faire un jeu (idée de plaisir, d’espace de décisions, etc.) qui consiste à « attaquer le gardien adverse ».

Le langage de l’écrit de planification est un langage de l’apprentissage c'est-à-dire destiné aux élèves pour qu’ils comprennent la notion de duel avec le gardien, notion qui signifie une forme d’attaque du gardien. L’écrit de planification est un jeu de langage didactique pour faire apprendre le langage du savoir. L’attaque du gardien identifie un principe à partir d’un déjà-là (la notion d’attaque) pour un sens à venir : « le duel ».

Les traces écrites de l’expert handball n°02 (leçon 4, situation d’apprentissage 1) condensent des savoirs multiples. Cet enseignant associe plusieurs intentions didactiques dans une série d’énoncés très brefs. Par diverses approches didactiques (organisation, chronologie des actions, ordre de difficulté, etc.), il réduit les incertitudes de la situation d’apprentissage pour obtenir le comportement souhaité.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L4 S1 : « Amélioration de l’enchaînement DeF. M.B. → ORGANISATION + Jeu près de la zone »
1 w → Base R PR → Balle en course. Doit remettre → Enchaînement-écartement → qualité déplacement »
3 groupes : Amener balle dans 1’espace puis ramener dans espace. 1 Passes 2 mains : prise de en courant pas échapper balle. 2 Ne pas jouer Axe 3 secteurs balle chang secteur à chaque fois. 3 Enchaînement près de zone → mettre balle ds zone → trouver un coureur → attraper balle perdue + Enchaînement → Insister sur Q.T. → info avant d’avoir eu balle. Pression défensive et type. H M ou zone. »
Un croquis complète l’énoncé ci-contre. Il s’agit d’un terrain de HB utilisé dans sa largeur ; deux zones sont tracées à chaque extrémité, trois couloirs sont dessinés.
On comprend qu’il s’agit d’un exercice de progression en espace cloisonné, que les joueuses doivent se faire passer le ballon en ne jouant pas dans l’axe et en changeant de secteur à chaque passe, etc. »
À partir de la compréhension de la situation dans son ensemble, on peut identifier la chronologie des énoncés de la façon suivante :
Annonce de l’objectif de séance.
Annonce d’un travail particulier de passes (réactions et de coordinations).
Annonce de l’organisation « 3 groupes ».
Annonce du comment faire (1ère contrainte) « amener balle dans l’espace.. »
Annonce du comment faire (2ème contrainte) « Passe deux mains.. »
Annonce du comment faire pour réceptionner la balle (3ème contrainte) « Ne pas jouer axe.. »
Annonce du comment faire (4ème contrainte) « Enchaînement près de la zone.. »
Annonce de comportements généraux à avoir « info avant d’avoir eu balle, pression défensive, etc.»

L’énonce de planification de l’enseignant expert handball n°6 (leçon 3, situation d’apprentissage 3) n’est plus vide de sens dès qu’il est réinscrit dans son contexte. Dans son action d’écriture, cet enseignant fond des savoirs d’expérience, « formés de tous les autres »277.

Le paradigme de la transposition didactique indique qu’il y à une opération didactique qui suppose une expérience professionnelle.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L3 S3 : « Situation 2. Echauff GB. Piéger et J sur les trajectoires du déf. MeP et Fct : 1 B pr 2 atq à la ligne médiane. 1 déf qui ne peut pas rentrer dans les 9m → Mdb à 2 et tir à 2 mains → déf change si B récupéré au Pdeb touché →
Atq enchaîne d’1 but à l’autre. Evolutions : 1B pr J placé au centre à la ligne médiane. Proposer appel pour tirer ext. – passe tendu ou à rebond ds la course – tirer avec impact indiqué par le GB » Un dessin, terrain de HB. Sur un demi terrain 1 défenseur, 1 gardien, 2 colonnes d’attaquants au centre du terrain. De l’autre côté une colonne d’attaquant dans l’axe central, un gardien. Traçage des trajectoires ballons et joueurs.
L’enseignant poursuit plusieurs buts :
Échauffer progressivement le gardien pour ne pas le mettre ne danger.
Proposer des tâches peu énergétiques pour les attaquants. Respecter l’intégrité physique des personnes.
Faire acquérir des schèmes moteurs fondamentaux en faible intensité.
Créer des automatismes chez les joueurs en diminuant la charge informationnelle.
Travailler avec des repères spatiaux simples : travailler au centre du terrain ou dans l’axe.
Indiquer les actions les plus pertinentes ou obliger celles-ci.
Proposer un enchaînement d’actions si la première échoue. L’enchaînement d’action se fond avec le problème d’organisation didactique (exemple de l’attaquant qui perd et devient défenseur, le défenseur attaquant, etc.)

L’écriture prend en compte une foule de problèmes liés à l’enseignement tels que la considération des joueurs, de leurs savoirs et capacités, des théories sur l’apprentissage (répéter, diminuer la charge informationnel, indiquer les connaissances clefs, varier les perceptions du savoir, stabiliser le milieu d’apprentissage, etc.). L’enseignant est aussi contraint par la forme de la présentation de ses écrits et respecte les étapes suivantes : définir le milieu d’intervention, respecter une chronologie des événements, mettre en place les acteurs, signifier les actions à faire, annoncer les savoirs et principes à apprendre, ainsi que les actions à faire. Tout cela implique des choix professionnels sur le savoir qu’il souhaite transmettre.

Notes
277.

Nous empruntons l’expression à Tardif (1991) lorsqu’il définit les savoirs d’expérience des enseignants comme représentants l’ensemble des savoirs acquis dans la pratique de leur métier.