II.5. Transposition didactique et groupes d’enseignants.

Les enseignants de nos trois groupes oscillent entre les « prêt-à-porter »284 didactiques et la création de situations ludiques qui transformeraient complètement l’activité handball ; c’est le cas pour les situations de recherches d’universaux.

La comparaison des différents profils didactiques et des conceptions d’enseignement étudiées dans les parties précédentes nous amène à poser la question suivante : l’enseignement de l’activité par les experts handball répond-t-il à une transposition didactique différente de celle des enseignants du secondaire, ou bien la volonté de faire apprendre implique-t-elle une transposition quasi similaire ?

Nous allons montrer que les savoirs d’expérience des enseignants du secondaire sont proches des savoirs experts des spécialistes de l’activité et que, si les finalités et objectifs semblent différents entre l’enseignement scolaire et l’entraînement fédéral, les problèmes didactiques sont similaires.

Dans sa situation 5 de sa première leçon, l’enseignant débutant n°11 transpose l’activité sportive handball de cette façon :

*Il réduit la surface de jeu et le nombre de joueur (réduction des variables spatiales et événementielles).

*Il impose des placements et l’ordre des actions aux joueurs sur le terrain (défense étagée) et limite les actions.

*Il "sur-règle" le jeu en imposant des contraintes (handicap pour les attaquants et défenseurs) et oblige certaines actions.

*Il fixe des objectifs différents en fonction du statut du joueur et fixe le sens des actions.

*Il impose des règles d’action (appel de balle, etc.) et impose des procédures spécifiques.

L’enseignante débutante n° 16 (leçon 1, situation d’apprentissage 4) procède à ces opérations pour planifier et transposer :

*Morcellement de l’effectif classe, ce qui correspond à une réduction de l’effectif réel du jeu de handball.

*Localisation d’une action correspondant au jeu de handball.

*Imposition de gestes techniques ou de gestes contraints.

*Incorporation de règles de sécurité dans les actions à réaliser, ces règles modifiant les savoir-faire de l’activité de référence.

*Création d’un système de marque ne respectant plus la logique du jeu de handball.

*Emprunt d’un système d’évaluation à une activité hors du champ des sports collectifs.

On remarque que la déconstruction didactique de l’activité se fait souvent par réduction des composants tels que surface, effectif, règles, et que ceux-ci sont subordonnés à des processus d’organisation et de gestion pédagogique ainsi qu’à monstration simplifiée du savoir de l’activité.

L’enseignant d’expérience n° 30 (leçon 5, situation d’apprentissage 3 et 4) bouscule la logique du jeu au démarrage de sa situation. Il impose des déplacements, neutralise des variables événementielles, manipule des variables spatiales et temporelles, importe des règles didactiques [d’un autre jeu] pour transposer l’activité de référence handball.

L’enseignant modifie, déforme, inverse des logiques, agit sur des variables, impose des savoir-faire, définit des actions, exagère les comportements, grossit volontairement le savoir à apprendre en le rendant plus que nécessaire par rapport à une situation normale ; il survalorise la lecture du jeu, convoque indirectement le savoir, handicape une action. La transposition didactique de l’activité handball ressemble ainsi à un grand bricolage didactique.

Soit l’étude avec l’enseignant expert handball n°4 (leçon 5, situation d’apprentissage 1).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L5 S1 : « Echauffement. Amélioration du démarquage. Des transmissions » « Sur ½ terrain, moins la zone –Jeu sans dribble/passes en lobe interdits. On échange les « voleurs » dès qu’il ne reste que 2 couples d’attaquants » « 1 ballon pour 2, 2 voleurs de balle, les joueurs évoluent en se faisant des passes sur ½ terrain. Les 2 voleurs de balle doivent, soit intercepter, soit obliger les couples à être en difficulté dans leurs transmissions » « → passes rapides et précises → rechercher à ce qu’il n’y ait pas de temps d’arrêt entre les passes. (enchaîner vite réception→ passes) ». Type de transposition didactique de l’activité handball :
Extrait d’un principe de jeu : « démarquage ».
Extrait d’un moyen du jeu : « transmission »
Réduction de l’espace de jeu : « ½ terrain de HB » « moins le zone ».
Réduction des règles du handball : « jeu sans dribble/passe en lobe interdits ».
Changement des conditions matérielles : « 1 ballon pour 2 ».
Réduction simplifiée d’une partie du jeu : conservation du ballon par les deux « transmission ».
Réduction de l’espace de jeu : « 1/2 terrain ».
Exagération d’une action type et multiplication de son effet : récupération du ballon par les voleurs « interception ».

Le principe à apprendre est artificiellement construit. Ainsi ne travaille-t-on pas sur le noyau dur de l’activité ; l’activité, ici est dénaturée ; on travaille sur des constituants périphériques « conserver/récupérer ». Si le noyau dur de l’activité est « marquer dans la cible, s’opposer », le travail de l’interception est ici un élément participant à la construction de l’opposition.

L’enseignant expert handball n°6 transpose l’activité de référence en énonçant (situation 1, leçon 2) une "consigne contrainte d’action" : « marquer 1 but de la tête », une contrainte collective : « tte l’équipe doit dépasser le milieu », une contrainte conditionnelle : « si ballon au sol ballon à l’adv », etc. C’est une transposition didactique de l’activité handball pour faire acquérir une attitude attentiste de la part des joueurs. L’enseignant transpose la disposition qui sera utile à l’acquisition d’un savoir ou savoir-faire.

Si nous reprenons l’ensemble des situations des enseignants de nos trois groupes, nous constatons que tous utilisent les procédures didactiques suivantes de (la) transposition :

*Ils fragmentent l’espace du jeu.

*Ils réduisent les effectifs, travaillent en égalité ou en déséquilibre numérique.

*Ils proposent des contraintes d’actions et des consignes contraintes.

*Ils "sur-règlent" l’activité.

*Ils travaillent pratiquement toujours à partir de la défense.

*Ils identifient des rapports de forces et les font varier.

*Ils réduisent les charges informationnelles en réduisant les variables (temps, espaces, effectifs, les actions).

*Ils contrôlent au maximum les variables pour contrôler l’incertitude même du jeu.

*Ils définissent les conditions d’utilisation des objets et les types de relations entre les joueurs.

*Ils découpent l’activité en unités isolables à partir d’un événement du jeu.

*Ils tentent de recréer des principes ou des logiques de l’activité en ordonnant les actions des élèves ou joueurs.

*Ils fixent l’acquisition d’objectifs ou "sous-objectifs" techniques.

*Ils outillent les élèves avant de passer à l’apprentissage d’actions ou d’enchaînements d’actions plus complexes.

*Ils utilisent l’activité handball telle quelle sans transition avec l’apprentissage précédent.

La transposition didactique de l’activité handball se fait à partir d’une professionnalité commune à nos trois groupes d’enseignants. Seuls, les objectifs diffèrent ; les experts handball visent l’efficacité et la performance alors que les enseignants du secondaire visent plus une pratique éclairée de l’activité.

Notes
284.

Léziart, Y. (2003). Transposition didactique et savoirs de référence: illustration dans l’enseignement d’une pratique particulière de saut, le Fosbury-flop. Revue Science & Motricité, 50, 81-101. (p.93).