II.1. Le match normal.

Nous savons déjà que les enseignants du secondaire intitulent dans leurs fins de leçons ou cycles d’enseignement des périodes dites : « jeu normal » ou « matchs » ou « jeu 7X7 ». Ce faisant, ils transportent l’activité handball au sein de l’école mais ne la transposent pas. Apparaissent alors dans les traces écrites : des compositions d’équipes, des programmations de matchs, des résultats, une hiérarchisation des niveaux, des évaluations comptables des buts marqués ou manqués. Nous retrouvons là une vision compétitive et institutionnalisée de l’activité handball sans nuance didactique. La transposition didactique se heurte à la volonté de ces enseignants qui entendent mettre les élèves en confrontation authentique avec le « savoir de référence » qu’est le jeu de handball de compétition. On remarque que la problématique du gardien n’est pas envisagée, alors que sa formation pèse sur le résultat.

D’autres enseignants, les moins nombreux, programment pourtant simplement « jeu » ou « jeu libre ». Ces termes donnent un sens plus éducatif aux intentions enseignantes. La signification d’efficacité et de performance propre aux énoncés « match normal » laisse dans ce deuxième cas la place au ludique, à l’activité spontanée des élèves. Le « jeu libre » devient un espace de neutralité ludique. Dans les deux approches, la période de jeu toutefois est le moment où il y a émancipation de l’élève confronté à une multitude de "micro-événements". L’enseignant crée un nouveau rapport au savoir, pour le plaisir de la pratique et de la connaissance, sans exacerber des finalités utilitaires scolaires.

En remarquant la contiguïté des situations d’apprentissage et du match normal, on peut supposer que les enseignants sont proches du conditionnement en laissant les élèves former des associations entre le temps d’apprentissage et le moment du jeu. D’ailleurs, le match symbolise la récompense des efforts fournis précédemment et/ou un réinvestissement dans un milieu plus complexe des acquis précédents. Mais le lien n’est jamais stipulé dans les écrits de planification.

Le match normal et le jeu libre sont des périodes de jeu qui permettent aux élèves et aux joueurs de s’approprier savoirs et « savoir-faire » dans un acte autonome. Cet acte favorise l’émergence de l’évaluation métacognitive ou formatrice dans le cas où les élèves ont intégré les critères de réussite. La prise de conscience de chacun des acteurs se confond alors avec l’intention d’action dans le jeu. Dans une perception plus phénoménologique du jeu, nous repérons une spirale cognitive se déroulant entre l’intention, la décision, l’action, la connaissance et l’évaluation. Le « jeu » devient le lieu d’une "auto-socio-construction" des savoirs, et il n’est pas rare que l’enseignant semble bien absent dans la partie des instructions officielles concernant les « savoir-faire sociaux »319 .

Chez beaucoup d’enseignants, se produit une rupture entre les situations d’apprentissage précédentes et cette période de jeu ou match. L’enseignante débutante n°16 (leçon 2, situation d’apprentissage 6) impose à ces élèves de jouer en « 6+6 (5J + 1 gardien) » avec arbitrage et application des règles fédérales du jeu de handball. La forme imposée de ce jeu est effectivement en rupture avec les propositions de situations d’apprentissage qu’elle a planifiées. Cette enseignante semble faire confiance au caractère social et institutionnel de l’activité handball pour éprouver et fixer les apprentissages de ses élèves. Le saut paraît alors bien brutal entre des situations d’apprentissage à complexité très réduite et une situation de jeu très complexe.

L’enseignant d’expérience n° 29 planifie à chaque période de jeu l’énoncé suivant : « gagner le match ». Il impose des consignes particulières en relation avec ses objectifs d’apprentissage, mais il préserve en permanence le caractère compétitif de l’activité de référence. La question du noyau dur dans le phénomène de transposition didactique se pose d’une façon pointue en éducation physique et sportive. Ainsi, on peut supposer que les enseignants n’ayant pas réussi à identifier ces incontournables de l’activité de référence en viennent à faire la proposition sans demi-mesure d’une pratique totale de l’activité. L’activité de référence handball compétitive risque de s’opposer à l’activité handball formatrice si tant est que le résultat des matchs reste le seul critère d’évaluation.

Par ces nombreuses ruptures, les enseignants d’éducation physique et sportive doutent de leur travail de transposition didactique et proposent en garantie l’activité culturelle de référence. Ce n’est pas l’activité culturelle de référence en elle-même qui peut faire problème, c’est l’aspect réducteur du résultat chiffré des matchs.

L’ambiguïté est importante lorsque les enseignants proposent  « jeu normal » et qu’ils rajoutent une ou deux règles spécifiques. Ainsi font-ils le lien entre situations d’apprentissage créées et pratiques sociales de référence ; la règle didactique rajoutée semble marquer l’activité jeu de handball du sceau scolaire.

Notes
319.

Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche. (2002). Bulletin officiel hors-série, 6. (p.3).