II.2. Le jeu « anormal ».

Assez souvent, les enseignants du secondaire font cette immersion rapide au sein de l’activité culturelle de référence handball à la fin de leurs leçons. Ils créent une rupture importante entre la période de travail et la période de jeu, et ce scénario traditionnel de la leçon est courant en éducation physique et sportive. Le jeu compris comme une « ludomotricité »320 est largement absent des situations d’apprentissage qui précèdent cette période de jeu. Il y a une forme d’austérité321 voulue pour satisfaire à la scolarisation et à la didactisation d’une pratique culturelle qui reste toutefois un jeu et peut-être un plaisir pour certains élèves.

Le jeu en tant que tel apparaît peu sérieux au sein de l’école traditionnelle. Lorsque l’enseignant insiste dans sa planification pour écrire « jeu normal » à la fin de sa leçon, l’ambivalence est à son comble si l’on met en opposition cette période de jeu normal avec les périodes précédentes qui apparaissent par contraste comme anormales. On peut alors faire le jeu des oppositions entre travail et jeu, normal et anormal, conditionnement et liberté. Les enseignants n’ont-ils pas assez de ressources didactiques pour prévoir des situations d’apprentissage jouées, résolvant par ailleurs la gestion des effectifs ? Il nous apparaît qu’ils sont en difficulté lorsqu’il s’agit de conjuguer en même temps didactique/effectif/apprentissage et jeu ludique.

Au risque d’être confondus avec de joyeux animateurs, presque tous les enseignants du secondaire proposant « jeu normal » dans leurs énoncés de planification. Ils rajoutent alors au moins une règle ou un handicap [une observation des actions ou une évaluation à cette période qui semble bien trop ludique] comme s’il fallait faire apparaître un peu de didactique et de normatif réglementaire pour montrer que l’on est encore dans le domaine scolaire. Dans ces conditions, le jeu proposé semble écarter la prise de conscience d’un contrat communautaire au profit d’une obéissance au maître et d’un asservissement à l’apprentissage scolaire. Les élèves n’ont pas à prendre position entre jouer avec les règles du jeu ou agir à leur guise, ils sont dans un contexte didactique qui subordonne les règles du « jeu normal ». Inversement, les situations d’apprentissage qui pourraient conserver "l’esprit jouées" tombent souvent sous le coup d’une morne didactique à tendance techniciste et ascétique. La transposition didactique sélectionne peut-être un savoir technique à enseigner, mais il s’avère qu’il faut pour alors lui ôter son esprit ludique ; ne sommes-nous pas à l’école du savoir ?

Au fil de l’analyse, nous remarquons que le jeu de handball est parfois déconstruit pour permettre de reconstruire une situation d’apprentissage autonome avec ses règles et ses contraintes et avec ses acteurs. La situation d’apprentissage est alors le lieu de décisions ayant intégré les contraintes d’actions définies par les règles et par les consignes prévues par l’enseignant. La perception et l’action, la décision et l’acte, le savoir et le faire sont liés, tous étant des motifs saillants d’une situation d’apprentissage bien construite. Sous cette forme, la transposition didactique de l’activité de référence handball réintègre la même structure fonctionnelle que l’activité de référence. Le noyau dur de cette dernière n’est pas préservé comme tel, il est fragmenté et recomposé. C’est là peut-être l’essence même de la transposition didactique.

Notes
320.

Parlebas, P. (1999). Déjà cité.

321.

Le bulletin administratif du ministère de l’Instruction Publique du 12 mars 1869 précise qu’une leçon d’éducation physique doit revêtir un caractère instructif se distinguant en cela du caractère ludique.