C) La simplicité de la trace écrite comme concentration de sens.

Soit l’exemple avec l’enseignante d’expérience n°25 (leçon 3, situation 2) dont l’énoncé est : « 3 contre 2. Chaque équipe de 3 passe en déf. (ss dribble). C’est un travail de 3 contre 2 en attaque et défense. Elle précise son organisation : « chaque équipe de 3 passe en déf. » L’enseignante a sans doute constaté que les élèves n’aiment pas les situations de subordination (être défenseur) et qu’ils préfèrent celles où ils ont une marge de décision par rapport à la finalité du jeu. Bref, son énoncé indique le souci de faire régner l’ordre en annonçant une rotation obligatoire. Les traces écrites de planification ne sont donc pas seulement une prévision de ce que l’on va enseigner c'est-à-dire des actions à faire ; elles sont aussi un langage destiné à gérer le groupe classe. Cette enseignante écrit pour elle-même qu’elle va proposer un travail de « 3 contre 2 » et que chaque équipe passera en défense, mais ce qu’elle écrit vaut aussi pour un langage orienté vers l’action.L’énoncé englobe et mêle savoir/action/organisation/communication.

L’écrit de planification apparaît comme un condensé de professionnalité. Dans un même énoncé de planification, l’enseignante structure autant la forme du savoir à apprendre « jouer en trois contre deux » que ses conditions d’application : « jouer en trois contre deux » et d’organisation «  chaque équipe de 3 passe en défense ». Elle complète la planification de sa situation en imposant du jeu sans dribble pour les attaquants rééquilibrant le rapport de forces attaque et défense, mais en induisant fortement l’utilisation d’un espace plus grand pour les attaquants et pour le jeu en déplacement. Ce qu’il y a à apprendre pour les attaquants n’est pas dit dans cet énoncé de planification. Nous comprenons que, hormis les objectifs déclinés parfois en tête de leçon, les traces écrites de planification disent le plus souvent les conditions que l’enseignant souhaite mettre en place pour solliciter l’apprentissage du savoir. L’écrit de cette enseignante ne dit pas : « dans un jeu de trois contre deux sans dribble, les joueurs en attaque vont devoir jouer en mouvement et occuper tout l’espace d’attaque s’ils veulent atteindre la cible. Ensuite les défenseurs devront donner une priorité de défense sur le porteur de balle en se plaçant sur la profondeur de l’attaque, etc. »Elle planifie non pas ce que les élèves devront apprendre mais ce qu’ils devront faire pour apprendre.

Selon Yves Chevallard, « il y a des savoirs qui sont appris sans jamais être spécifiquement enseignés »341. Ce n’est pas qu’un savoir doive en cacher un autre, mais l’enseignante estime que les élèves apprennent parce que sa situation d’apprentissage enseigne. Les actions sont coordonnées comme un mise en scène pour que la pièce « savoir à apprendre » ait lieu ; les élèves sont poussés à s’informer des procédures liées aux événements en cours. De la sorte, on pourrait affirmer que « l’activité de l’enseignant consisterait pour une part à créer des situations favorisant l’activité questionnante »342 de l’élève.

Dans les mises en situations d’apprentissage, les actions des élèves sont des expériences spécifiques créatrices d’outils opératoires pourvus de sens. L’expérience de l’action renvoie vers ce qu’il y a à apprendre parce qu’il faut répondre aux exigences de la situation. Le savoir à acquérir « est simplement connaissance des conditions de satisfaction »343, lequel résulte de principes d’ajustement déclenchant les actions des élèves. La connaissance devient un « pouvoir d’usage »344, un faire su, un savoir compétent, une compétence.

Cette concentration de sens et la façon dont les enseignants planifient leur contenu d’enseignement posent toute la problématique de la transposition didactique faite par la « noosphère » sous forme de programmes. Ces derniers déclinent ce qu’il y a à apprendre à partir de concepts, sans indiquer comment cela peut se mettre en œuvre sous forme de situations d’apprentissage. Inversement, les enseignants praticiens sont plus préoccupés par la mise en œuvre que par le choix sélectif de ce qu’il y a à faire apprendre. Les enseignants d’éducation physique et sportive privilégient les conditions d’expression du savoir aux dépens de son énonciation. Pratiquement, un tel enseignement pratique pousse à planifier de la sorte.

Au-delà de la distinction faite par Jean-François Gréhaigne entre une « pédagogie des modèles d’exécution » et une « pédagogie des modèles auto-adaptatifs »345, nous pensons que les enseignants se concentrent sur la médiation du sens et sur l’appropriation possible par les élèves du savoir aux circonstances qu’ils créent. Ils travaillent plus sur la cause et l’ajustement de l’action que sur son "auto-adaptation" passive et conditionnée ; ils travaillent sur l’autodétermination du sujet. Les situations d’apprentissage en question n’apprennent pas un savoir aux élèves mais appellent à une vérité des actions entreprises et visent à rendre le savoir évident sans le dire ; elles traitent d’un rapport entre savoir et élève, lesquels vont devoir découvrir les règles permettant de produire l’effet voulu par une situation bien construite. Dans des conditions réelles d’une participation, l’élève apprend à faire en étant engagé dans un processus de réalisation et de compréhension grâce à la nécessité de faire.

La tendance chez les experts handball est autre ; le montre l’exemple de l’enseignant expert handball n°4 leçon 1, situation d’apprentissage 4) qui transpose les conditions d’expression du savoir comme les enseignants d’expérience mais qui planifie aussi les connaissances le constituant. Nous retrouvons le même phénomène dans la situation d’apprentissage 3 (leçon 2) de l’enseignant expert handball n°6  qui comporte de longs énoncés retraçant la richesse d’une réflexion.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétative
L2 S3 : « Rôle du défenseur avancé. MeP et Fct : 2 déf N°2 fixes placés à la zone. 1 déf. avancé n°3. 1 colonne DC avec B, 2 ARL. →Déf avancé : protéger la zone entre le 2 n°2. Pas de débortet → ARL fixateurs ds leur secteur → DC cherche à déborder le déf avancé → si DC rate le tir → repli. Cptes attendues : duel avec DC. Dissuader course centrale. Amener le DC hors zone en l’excentrant. Avancer sur le DC. J sur dribble de l’attq. Fermeture prioritaire côté bras porteur » danger. Evolutions : Les 3 AR cherche à tirer secteur central (1C1, croisé) 1J ds secteur central. Si B récupérée les 2n°2 enchaînent. CA avec replis du dernier Pde B. N° 2 = ou – flottement. Repousser la ligne d’action le plus loin possible. » Deux croquis représentent un ½ terrain de HB, trois joueurs en défense, une colonne de DC et deux arrières latéraux. Des flèches indiquent les déplacements du ballon et des rayons d’action des joueurs. Nous modélisons les écrits sous la forme des décisions que peut prendre l’enseignant. Nous reconstituons les éléments du scénario qu’il prévoit pour faire apprendre les joueurs. Ainsi :
*il intervient du côté de la défense puis de l’attaque pour donner des objectifs d’actions à chacun des deux statuts.
*il règle le jeu des joueurs qui vont s’opposer.
*il limite les espaces d’évolution.
*il envisage l’échec de l’attaque et l’alternative pour la défense.
*il précise les compétences attendues et les actions possibles et significatives pour le contexte qu’il a créé.
*il envisage les actions à faire.
*il prévoit les répliques.
*il attend des comportements plausibles tout en précisant le jeu des acteurs.
*il prévoit l’évolution et les enchaînements d’actions à partir de principes généraux du jeu de handball.
Les énoncés sont un véritable script de la situation. L’enseignant anticipe le comportement des joueurs, fixe le jeu de chacun, oriente les choix, prévoit les effets possibles, propose des alternatives. Il cherche à contrôler les événements qu’il provoque. Il est déjà dans l’interaction, convoque le futur dans le présent. La planification des objectifs l’entraîne vers le futur, l’organisation des actions le ramène au présent, puis du présent, « les 3 ar cherche à fixer.. », il interroge le futur : « si B récupère les 2 N°2 enchaînent.. ». Ainsi, dans sa planification, l’enseignant conjugue les différents temps et il les combine.

La richesse de l’activité planificatrice tient dans ce discours réflexif.  Il n’y a pas séparation entre action et intention ; ses énoncés sont une action professionnelle. Par un jeu complexe de décisions énonciatives, se construit une situation d’apprentissage dont l’organisation permet d’aboutir aux objectifs poursuivis. C’est concevoir comme l’a déjà fait Tardif (1991), mais d’une façon plus pointue, que l’enseignant mobilise plusieurs savoirs en même temps.

La situation d’apprentissage 4 de l’enseignante d’expérience n°25 (leçon 4) permet d’approfondir cette lecture.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L4 S4 : Jeu à thème
→ ss dribble
→ avec 1 pivot, déf. en 1/5.
Dans cet énoncé, seules l’organisation et la forme du jeu sont annoncées. Deux contraintes viennent spécifier la forme du jeu, mais les effets que cela va produire ne sont pas annoncés. Ainsi, le fait de jouer sans dribble va demander à l’attaque d’être plus mobile et d’aider en permanence le porteur de balle en lui donnant des solutions. L’enseignante impose donc une contrainte en sachant que l’attaque va devoir adopter un nouveau comportement pour pouvoir réussir l’attaque, du moins pour garder la possession du ballon. La contrainte vient signifier ce qu’il faut faire, ce qu’il y a à apprendre n’est pas annoncé ; la situation est un appel de signification et de réalisation. La contrainte impose un inconfort, une insatisfaction ; elle discrimine le contexte de jeu. Le savoir à apprendre s’inscrit dans la différence entre ce que l’on sait déjà et ce que l’on ne sait pas encore .La nouvelle contrainte, défense « en 1/5 », va finir de perturber l’attaque en profondeur ; les joueurs vont devoir s’étager et occuper le maximum de place en largeur. Ceci va être l’amorce de l’organisation recherchée au niveau de l’attaque.

Par une contrainte renforcée et en créant des objets chargés de significations, l’enseignante construit les déterminants fonctionnels du savoir à apprendre. L’écrit de planification est bref mais hautement professionnel ; c’est presque une formule théorique. En contraignant d’une façon pointue le pour et le contre (le positif et le négatif, l’attaque et la défense, l’action et la réaction), l’enseignante crée les conditions de l’apprentissage ; selon cette vue, l’opposition est essentielle à l’apparition de la connaissance qui résulte d’une négociation et transaction avec la contrainte. L’enseignante ne fait pas apprendre un savoir-faire, mais impose un faire pour savoir et savoir faire ; ces derniers sont immanents aux actions entreprises. Les élèves sont donc tenus de retrouver les règles implicites qui gouvernent leurs échanges favorisant ainsi le rapport au savoir. L’enseignante construit sa situation d’apprentissage dans le but de développer les compétences pragmatiques de ses élèves en établissant un véritable schéma actanciel. Le dialogue entre l’attaque et défense devient une collision d’opinions. Les conditions des actions soumises aux contraintes de la situation d’apprentissage vont produire des significations à partir de ce dialogue d’actions. Ces significations contingentes aux événements seront les pierres dans l’édifice du sens constituant le savoir à apprendre. Les situations ainsi pensées rendent le savoir évident selon les circonstances de sa production. Cette enseignante construit un contexte dans lequel chaque action entreprise par l’élève va poser la question du savoir, c’est-à-dire « comment faire » plutôt que « savoir que », ce que Jérôme Bruner346 nomme « l’intelligence opérative ». Ce qui est ainsi appris par "corps" est incorporé par l’élève, le savoir ne se distingue plus du faire.

Gérard Vergnaud pense que « l’action, c’est la sélection pertinente de l’information pour les besoins de l’action »347.Ainsi, les actions des élèves deviennent des intentions expérientielles du savoir.

Pour François Victor Tochon « le sens est construit par la réflexion vécue »348. En utilisant des procédures interactives, les élèves développent des compétences interactionnelles parce qu’ils participent au processus même de la construction des significations de la situation par leurs actions. En ce sens, l’idée selon laquelle le sens est construit vaut aussi pour les apprenants. L’élève ne doit pas assimiler les usages adéquats à la situation d’apprentissage ; la signification du savoir à apprendre est à saisir à travers les actions entreprises. La situation d’apprentissage ne détermine pas les actions mais propose un milieu dynamique propice à l’utilisation de règles d’action incarné par l’élève agissant ; c’est là que réside sa richesse.

L’étude des énoncés de l’enseignante experte handball n°1 (leçon 2, situation d’apprentissage 2) conduit à dresser le bilan suivant : l’écrit de planification dit l’objectif de la situation d’apprentissage ; il annonce l’organisation, l’enjeu de l’action, l’évolution possible. À la lecture de ces énoncés, il ressort que la plupart des enseignantsse concentrent sur la structure fonctionnelle de la situation dans sa phase de démarrage. L’écrit de la situation ne représente plus une planification selon un déroulement temporel et, par conséquent, ne représente pas non plus le contenu total d’une leçon. Si les traces écrites de planification étaient un vrai outil de mémorisation (un moyen de consigner ce qu’il y a à faire), on pourrait suivre les différentes étapes de la situation d’apprentissage ; mais l’écrit ne donne pas la possibilité de la décrire à n’importe quel moment de son déroulement. L’écrit de planification apparaît plus comme un moyen d’engager l’action d’enseignement.

Pourquoi n’écrire alors que le début de la situation d’apprentissage ? Car la pertinence de l’écrit de planification ne se résume pas à un guidage de l’action dans son ensemble. Cet écrit n’est pas un simple aide-mémoire ; il est plus pragmatique et professionnel. Les énoncés de planification forment l’arrière-plan intentionnel de l’enseignant. L’écrit de planification est là pour lancer l’action d’enseignement à chaque situation d’apprentissage et pour référencer les intentions en action.

D’autres énoncés disent plus explicitement la structure des intentions d’enseignement. L’écrit agit alors comme un véritable plan stratégique qui combine intentions d’enseignement et façons de faire apprendre.

Soit l’exemple de l’enseignant expert handball n°4 (leçon 3, situation 2).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L3 S2 : « Améliorer la récupération collective de la balle » « terrain réduit en largeur ½ terrain. Pour les att → aller marquer. Pour les déf
→ récupérer la balle, essayer d’excentrer les tirs, 20’» « 3 contre 3, 1GB dabs chq but. 5 balles et on change les rôles :
consignes : → harceler → dissuader passe courte ou au moins contrôler son adversaire direct → intercepter passes longues ou au moins contrôler son adversaire direct et l’excentrer » « Harceler sans faire faute sur le PB. Trouver la bonne distance de combat pour ne pas se faire déborder. Orienter ses appuis pour excentrer le PB » « augmenter l’espace déf ».
L’objectif de la situation est : « améliorer la récupération collective de la balle ». Pour cela, l’enseignant délimite un espace réduit pour favoriser la multiplication des événements sur le terrain. Il donne des intentions d’action aux attaquants, lesquelles sont dans la logique fondamentale du jeu « aller marquer » ; pour qu’il y ait une opposition suffisante et équitable, il donne aussi des intentions de jeu aux défenseurs : « récupérer la balle, essayer d’excentrer les tirs ». L’enseignant organise la contradiction des intentions afin de favoriser un vrai contexte d’énonciation et d’échange. Il préserve la densité réelle du jeu en faisant un 3 contre 3 dans un demi-terrain. Il met en évidence les actions des joueurs en spécifiant les types d’actions de bases qu’ils doivent remplir : « harceler, dissuader, intercepter ». Il attire l’attention sur les conditions de régulation des actions de bases : « harceler sans faire faute sur le PB », « trouver la bonne distance de combat ». Il crée et délimite ainsi les conditions matérielles et spatiales pour faire apparaître le savoir à apprendre. Il fixe les fondamentaux du savoir et décline les types d’actions validant le principe étudié (c'est-à-dire le savoir) en spécifiant les types de comportements admis (harceler, dissuader, intercepter). Il concrétise ces types de comportements en définissant le comment « dissuader sur passe courte ».
Nous avons ainsi l’enchaînement transpositif suivant (pour le statut défenseur) :
Construction du cadre d’expression du savoir : « schéma, consignes, organisation ».
Intention principale ou raison d’agir : « récupérer la balle » (cela repose sur une logique interne du jeu, qui se transforme en logique d’action).
Principe fondamental du savoir : «  dissuader, intercepter ».
Définition du savoir en savoir-faire : « dissuader sur passe courte, intercepter passes longues ».

Chez l’expert, le savoir ne repose pas sur une émergence occasionnelle comme le font parfois les enseignants du secondaire ; il est décliné et enchâssé dans un enchaînement transpositif déduit de logiques de jeu.

L’enseignant expert handball n°2 construit sa première leçon sur une logique cumulative de situations de laquelle s’entend une dissonance entre l’objectif annoncé et les consignes écrites planifiées, et on s’aperçoit que la transposition d’un savoir propre à l’activité handball se fait d’une façon indirecte ; cette activité intéresse la réciprocité attaque/défense dans un sport collectif. Les énoncés des situations d’apprentissage de cet enseignant s’adressent plus à l’attaque, alors que l’objectif annoncé est l’amélioration de la coordination défensive. Dans ce cas, le travail de planification impose de penser d’abord à l’objectif de la séance et ensuite à la construction des situations pour y répondre.

Selon un discours répandu, le maître annonce le savoir à apprendre : il faut fermer les espaces, être mobile, etc. Pour transposer le savoir, cet expert handball propose des énoncés qui s’adressent justement à l’autre face du rapport de forces c’est-à-dire à l’attaque. Des consignes d’action sont données à l’attaque pour faire travailler un principe de défense, l’opposition devenant essentielle à l’utilisation de la présupposition comme source du connaître : les élèves vont devoir imaginer la solution du problème posé par l’attaque. Pour faire apprendre un principe (ici la coordination défensive), on pose un problème aux acteurs par des indications portant atteinte au principe à apprendre. Ainsi, le but est de tester le principe et de voir ce qu’en savent les joueurs en cherchant les points faibles tels que s’engager dans l’espace, se démarquer, jouer en bloc. C’est un mode d’apprentissage par réfutation(s) qui donne consistance à ce qu’il y a à apprendre. En suivant l’ordre de la planification des leçons, on comprend la stratégie planificatrice de cet enseignant. La première séance met en place les actions qui vont rendre le principe nécessaire : si l’attaque arrive à passer dans un secteur, il faut alors travailler la coordination défensive. La deuxième séance donne des connaissances et des savoirs sur la façon de pouvoir respecter le principe de coordination défensive. L’alternance entre faire apparaître une nécessité et y répondre par apports de connaissances est continuelle.

L’enseignant expert handball n°6 (leçon 7, situation d’apprentissage 1) construit un dispositif d’apprentissage assez complexe.

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L7 S1 : « Echauffement. Enchaîner des actions pr faire circuler la B. MeP et Fct : 1 J aux 6 postes, 2B → 2 circulation de B différentes. AL-DC-AL ARL-PVT-ARL → Circulation simultanée. Cptes attendues. Course vers le but. Tps d’engage. Orientation des appuis. Désengagement après passe. Qualité des passes. Evolutions : Déf. sur 1 min sans faire tomber la B Sinon gage, ajouter 2 déf » Un dessin représente un demi terrain de HB. Les joueurs, des flèches indiquent les déplacements joueurs ballon. Dans ce type de situation, l’enseignant propose finalement un repérage spatial des postes de jeu. Ce qui est intéressant, c’est qu’il mise sur l’expérience du corps en action pour faire acquérir des connaissances d’ordre spatial. Le corps peut intégrer le milieu simplement par le vécu visuel, mais aussi kinesthésique que sont les déplacements vécus. L’enseignant tente de combiner le repérage des postes et les déplacements joueurs/ballon par une logique de jeu préétablie : ne pas mettre en danger un secteur, entourer suffisamment la défense, rééquilibrer la densité des joueurs sur la surface totale de l’attaque, permettre la conservation du ballon tout en favorisant le placement pour étirer la défense en largeur et en profondeur. De plus, l’enseignant demande de respecter des temps d’engagement pour éviter l’encombrement dans un secteur ainsi que des pertes de balles par gêne.
L’écrit de planification prend de l’ampleur, le scénario d’apprentissage se complique. L’enseignant ne pense pas faire exécuter simplement une circulation de joueurs ou quelques actions isolées ; il pense l’ensemble des problématiques possibles en s’appuyant sur des fondamentaux vérifiés en jeu. Il choisit les variables-clefs pour justifier ses propositions tout en anticipant des solutions pour les joueurs. L’enseignant agit comme metteur en scène tentant de régler dans le détail les actions porteuses de significations. Dans ce cas, les énoncés de planification ne sont pas là seulement pour engager l’action d’enseignement. Les traces écrites de planification reconstruisent tout système complexe. Ce qu’il y a à apprendre est immédiatement impliqué dans un réseau de savoir-faire construit par l’enseignant. Le savoir-faire est objet d’enseignement parce qu’il implique l’être apprenant en sa totalité ; l’enseignant construit le scénario pour faire vivre la dimension de l’acte en mouvement. Le langage de l’action est planifié par lui selon un savoir à dire sur l’action même si le savoir-faire s’inscrit toujours dans un savoir plus général. L’engagement du joueur dans un espace libre est un savoir et un savoir-faire ; sans jeu de mot, il engage le joueur dans un autre savoir c'est-à-dire quelle est l’utilisation de cet engagement dans le jeu. L’expert dépasse le stade du connu pour aller dans celui du probable; il repousse en permanence le seuil de la certitude pour aller dans celui, bien nommé par Jacky Beillerot et Paul Ricoeur, de l’horizon du savoir.

Dans sa leçon 7 comme dans l’ensemble de son cycle, il y a enchâssement de ses situations d’apprentissage. Cela explique peut-être que les experts handball travaillent sur un champ plus réduit de l’activité, alors que les enseignants du secondaire couvrent plusieurs thématiques sur un seul cycle.

Synthèse.

Les enseignants performants dans leurs planifications ébauchent des situations que nous appelons à « fragmentation » par rapport au savoir de référence que représente l’activité handball. Ces situations d’apprentissage sont structurées presque en totalité et sont volontairement incomplètes dans un endroit de la structure. Les actions sont incontournables et un espace de liberté est laissé dans un secteur très précis. Ce dispositif favorise le jugement des élèves et la soudaine advenue du sens. La situation d’apprentissage devient un agencement qui fait sens dans les rapports croisés milieu/élèves. La plupart du temps, les contraintes d’action deviennent des procédures d’allocation et de sélection des savoirs et savoir-faire à apprendre. Nous passons d’un savoir d’action/intention à un savoir d’expérience désormais connu.

Cet ensemble planifié exprime l’idée du savoir qu’en a l’enseignant qui veut établir les conditions de possibilité de la reconnaissance d’un savoir par les élèves. Bernard Charlot n’hésite pas à dire que « produire de l’intelligibilité, c’est articuler de la mise en désordre et de la mise en ordre »349. La situation d’apprentissage doit être comprise comme un « système complexe »350 au sens où le « savoir à enseigner » et le « savoir enseigné » possèdent leur spécificité c'est-à-dire font sens selon l’enseignant et selon l’élèves. En ce sens, les traces écrites relèvent d’un « art du possible »351. Ces enseignants planifient ce qu’ils croient juste didactiquement et pédagogiquement.

Selon Philippe Perrenoud, « la transposition didactique et la création de curriculum se jouent constamment dans le travail quotidien »352 des enseignants. C'est dire que les choix d’enseignement sont déposés dans les traces écrites, ces écrits du quotidien professionnel.

La situation d’apprentissage est à chaque fois un événement qui tient de l’idée du savoir en totale liberté et de contraintes d’action favorables aux savoirs visés. En tant que milieu dans lequel sont immergés élèves ou joueurs, elle demande compréhension et interprétation de parts et d’autres. Elle est construite pour participer à la constitution même du savoir chez l’élève ; l’effet produit est causalement impliqué par les actions imposées selon un corps de règles. Par exemple, l’interdiction du dribble impose la justesse des actions entre attaquants et défenseurs sans expliquer l’idée du jeu en mouvement. Il est utile de questionner les agencements ou/et les obligations d’action pour reconstituer la construction de la situation d’apprentissage. Il existe certes des didactiques dont les effets sont négatifs sur l’apprentissage, mais ils relèvent d’un autre type d’analyse. Il y a ainsi une limite didactique à priver l’élève d’initiative et de questionnement, comme c’est parfois le cas pour les situations d’apprentissage technicistes. Il n’est pas sûr que les situations d’apprentissage en général atteignent les effets prévus même si les enseignants tentent d’en régler les rouages dans le feu de l’action, car certains bilans expriment des insatisfactions renouvelant les intentions d’enseignement. Les échecs des élèves deviennent ainsi des facteurs de réglages perpétuels par rapport aux « modèles »353 planifiés, le risque étant que le modèle manque de cohérence. Les situations d’apprentissage sont chacune une proposition d’actions pratiques qui ne veut qu’être un modèle producteur d’ajustements nécessaires.

Annie Malo354 défend l’idée que la pratique quotidienne des enseignants est un processus de transformation de la pratique et de constitution d’un savoir d’expérience. Or, l’écrit de planification permet d’accéder à cette mémoire professionnelle quotidienne enfouie au sein d’un discours a priori bien banal. La planification réinscrit le temps vécu sur le terrain pour un temps futur : c’est un savoir didactique sur la matière.

Les enseignants planificateurs savent construire355 la situation qui donne aux élèves la possibilité de connaître leurs raisons d’agir. Ils ne respectent pas la logique interne de l’activité mais construisent une logique de situation. La situation d’apprentissage est ainsi pensée comme système sémiotique conduisant à la transformation des modes de penser et d’agir des élèves. L’activité handball l’enseigne en proposant la réciprocité "attaque-défense"; car l’attaque est toujours dans l’incertitude face à la défense, le rôle de l’une ou de l’autre contredisant les intentions des uns et des autres.

Les particularités de l’enseignement tiennent à la structure de la situation d’apprentissage. Cette connaissance professionnelle écrite – ces « tours de mains », ces « manières de faire », ces « façons de s’y prendre »356 – relève du discours solitaire de l’enseignant dont il faut restituer la partie inexprimable pour mieux la connaître. Les traces écrites fixent un « savoir d’expérience » 357 qui se lit au fil du texte et qui est la synthèse de tous les savoirs acquis jusqu’à la préparation de la leçon à venir. À des degrés divers, ces dispositifs didactiques – ces ruses pédagogiques – sont présents chez nos trois groupes d’enseignants.

Ces scénarios faussement simplistes sont à associer à une lecture pointue des situations d’apprentissage. Les processus mentaux déposés dans les traces écrites révèlent certainement mieux la pensée des enseignants qu’une simple observation in situ qui impliquerait une réorganisation de leur pensée a posteriori.

Pour échapper à la naïveté didactique, l’analyse de traces écrites moins denses s’impose. Au moyen d’un important arsenal didactique incontrôlé ou d’écrits avares de mots, l’écrit de planification est parfois pauvre en sens.

Notes
341.

Chevallard, Y. (1985). Déjà cité. (p.57).

342.

Chevallard, Y. (1985). Déjà cité. (p.88).

343.

Searle, J.R. (1985.b.). Déjà cité. (p.116).

344.

Rey, B. (1996). Les compétences transversales en question. Paris : ESF éditeur. (p.204).

345.

Gréhaigne, J.F. (2003). Vers une didactique constructiviste en sport collectif. In C. Amade-Escot (Dir.), Didactique de l’éducation physique. État des recherches (pp. 79-102). Paris: Éditions Revue EP.S. (p.81).

346.

Bruner, J.S. (1993). Déjà cité. Paris : PUF.

347.

Vergnaud, G. (2001). « Un psychologue didacticien ». Revue EP.S., 288, 9-13.

348.

Tochon, F.V. (1993.b.). (p.48).

349.

Charlot, B. (1994). Pistes de recherche et questions. In Actes du colloque organisé à l’Université Lumière Lyon 2. Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue (pp. 85-91). Lyon : CRDP. (p.86).

350.

Wirthner, M. Et Schneuwly, B. (2004). Déjà cité. (p.108).

351.

Siedentop, D. (1994). Déjà cité. (p.240).

352.

Perrenoud, P. (1993). Déjà cité. (p.73).

353.

Tochon, F.V. (1996). Grammaires de l’expérience et savoirs-objets: Le savoir focal dans la construction de nouveaux modèles de formation. In J.M. Barbier (Dir.), Savoirs théoriques et savoirs d’action (pp. 249-273). Paris : PUF. (p.263). « L’on peut considérer la pratique éducative comme l’intégration parallèle de connaissances diachroniques issues des modèles didactiques, et synchroniques dans l’action pédagogique ».

354.

Malo, A. (2000). Savoirs de formation et savoir d’expérience : un processus de transformation. http://www.acelf.ca/c/revue/revuehtml/28-2/11-Malo.html.

355.

Giordan, A. (1993). Savoirs disciplinaires et savoirs didactiques. In Technologie et didactique des Activités Physiques et Sportives. Quels enseignements ? Actes du colloque de Strasbourg 10-11 avril 1992 (pp.105-117). Clermont-Ferrand : Éditions AFRAPS. (p.115) : « l’enseignant est irremplaçable : il devient même l’organisateur des conditions de l’apprentissage. Il crée l’environnement pour que cet apprentissage puisse se réaliser ».

356.

Clermont, C., & Tardif, M. (1993). Déjà cité.

357.

Tardif, M., Lessard, C., & Lahaye, L. (1991). Déjà cité. (p.65).