I.3. Faire apprendre, mais comment ?

Chaque catégorisation et chaque analyse d’énoncés font entrevoir comment les enseignants pensent faire apprendre dans le domaine de la motricité. L’étude de l’expertise des enseignants de nos trois groupes montre que la structure de la situation d’apprentissage implique la liberté dans les décisions à prendre ainsi que la contrainte dans la forme des actions à réaliser.

Soit le cas d’un travail de « passe et suit » sans opposant proposé par beaucoup d’enseignants ; si ce type de travail fait comprendre le principe, il ne permet pas de l’apprendre car les variables constitutives du savoir sont absentes. Ce type d’approche méthodologique dans l’enseignement d’une activité sportive ne correspond pas à un véritable enseignement dès lors que l’on prend en considération l’humain. Il n’est pas possible dans un seul cycle d’enseignement de déconstruire à l’infini la motricité et de la reconstruire d’une façon scientifique, rationnelle et planifiée. Le paradigme systémique convient mieux à l’enseignement en éducation physique et sportive. Le « passe et suit » peut par exemple être inclus dans le jeu de la passe à dix comme consigne d’objectif avec orientation vers des zones de marques, etc. Ces contraintes d’objectifs respectent l’idée de situation en respectant l’intention de faire du sujet apprenant. L’atomisation de l’action poussée par des procédures de didactisation fait perdre l’aspect fonctionnel de l’activité à apprendre dont l’intelligence repose sur la capacité à comprendre fonctionnellement l’objet dans sa complexité.

L’apprentissage mêle verbalisation et monstration. L’enseignement planifié d’une motricité par nos trois groupes d’enseignants reste plus au niveau de la monstration et les concepts émergeant et accompagnant les procédures employées par les élèves ne sont pas systématiquement identifiées dans leurs écrits. Si cela n’est pas fait dans le cadre des traces écrites, il y a de fortes chances que le discours soit alors très réduit sur le terrain.

La procédure qui lie finalement objectifs et techniques ne fait pas partie du discours didactique habituel dans la planification, même s’il est encore vain en éducation physique et sportive de vouloir faire coïncider l’action et sa compréhension. On découvre souvent l’essentiel après coup en apprentissage, ce qui n’exclut pas par anticipation un discours didactique sur l’action de celui qui est en train d’apprendre. L’activité de planification a aussi sa part de didactique et suppose une variation sur les façons de faire.

Soit l’exemple de la situation d’apprentissage de l’enseignant expert handball n°03 (leçon 1, situation d’apprentissage 5).

Traces écrites Analyse compréhensive et interprétation
L1 S5 : Colonne 1. Croquis d’un terrain de handball. Quatre attaquants contre quatre défenseurs d’un côté du terrain. Quatre attaquants contre trois défenseurs de l’autre côté du terrain. Un gardien de but dans chaque but. Deux secteurs sont délimités par une ligne au niveau de l’axe central. Colonne 2 : « Créat. Et exploitation du surnombre. Obligat. de recevoir la balle en mvnt pr pouvoir att le but. Cr max 4 passes sinon on repart de l’autre côté. 10 passages. Mini 5 pts. » Colonne 3 : « Si réussite fermeture d’angle à l’aile ». Un autre dessin de terrain de handball fait partie de cette situation d’apprentissage. Il est dans la colonne 1 mais dans la ligne en dessous. C’est un quatre contre quatre, un gardien. Le petit secteur gauche du terrain est condamné. On repère un axe de compréhension.
1er situation : activer, faire repérer l’activité de défense et d’attaque en mouvement, poser le problème de la défense passive.
2ème situation : 1C1, faire repérer en priorité le travail de manœuvre pour l’attaquant et le secteur de défense, car le défenseur peut aussi manœuvrer l’attaquant
3ème situation : 2C2, faire repérer la fixation et la coordination des actions, la fixation et la coordination des actions tant pour les défenseurs que pour les attaquants
3ème situation : 4c4, faire repérer les secteurs excentrés, la création d’incertitude et le jeu en mouvement.
4ème situation : jeu, la défense en sous-effectif oblige à travailler l’entraide (3c4). L’attaque va travailler l’excentration par rapport à l’axe du terrain en agissant sur un côté spécifique du terrain.
Les situations apportent chacune un élément du savoir « création et exploitation du surnombre ». Le déroulement temporel des situations explique comment l’enseignant pense faire apprendre. Il ne s’agit pas simplement l’association d’éléments, il s’agit plutôt d’une combinaison d’approches (à dominantes) successives pour faire comprendre. Nous débouchons alors sur une autre compréhension du travail de planification comme celle qui suit :
Approche par la nécessité : la situation 1 à pour double objectif d’échauffer les joueurs et de mettre à jour la « nécessité » de revenir rapidement en défense étant actif comme défenseur.
Approche par l’aspect spatio-temporel : 1X1, repérer l’espace de proximité.
Approche par l’aspect collectif : 2X2, jouer avec et contre.
Approche par l’aspect combinatoire et décisionnel : 4X4, jouer dans un système complexe.

Ainsi, la modélisation d’une situation d’apprentissage comprend une variation d’approches concernant les aspects de la connaissance à acquérir.

Chez l’enseignant expert handball n°4 (leçon 2, situations d’apprentissage 3 et 4) les actions à faire sont fragmentées et se font sans opposition réelle c’est-à-dire trop imposées pour le tireur et sans gêne pour le passeur. Les lieux sont fixes et fixés à l’avance, il y a peu d’incertitude et les seules incertitudes possibles n’en sont plus puisqu’elles sont programmées. La mise en jeu didactique de l’action de tir épure les variables préalables pour maîtriser les variables finales. La volonté didactique d’identifier une action simple et réalisable et de faire apparaître trois variables annoncées relève d’un formalisme didactique qui est : gestion des joueurs, présentation du savoir, isolement des variables, programmation des actions à faire. Dans un milieu complexe tel que le jeu de handball, la question se pose de savoir s’il faut isoler artificiellement un savoir de ses sources ou bien s’il faut faire identifier ce savoir dans sa genèse. Ce même enseignant tente plus loin (leçon 4, situation d’apprentissage 2) de remédier à l’effet didactique d’isolation et d’imposition. La construction même de la situation d’apprentissage tente d’atténuer la procédure didactique de saucissonnage du savoir.

Pour faire apprendre et comprendre, l’enseignant expert handball n°6 (leçon 4, situation d’apprentissage 4) construit de manière globale sa situation et agence les actions à faire, puis il corrige les positions et donne des consignes. Il planifie le savoir technique à enseigner et développe un discours spécifique : il envisage les possibles dérives du jeu.

Dans sa situation d’apprentissage 3 (leçon 3), il utilise une corde comme artefact pour faire comprendre le flottement de la défense. La corde devient une aide à la compréhension, rendant en temps réel les problèmes liés aux flottements de la défense. Dans sa transposition didactique de l’activité, cet enseignant expérimente des procédés personnels pour faire acquérir savoir et savoir-faire. Cette planification montre un milieu effervescent complexe, pensé pour faire apprendre et comprendre.

L’enseignant d’expérience n° 29 (quatrième leçon, situation d’apprentissage 3) adapte une situation de recherche d’universaux « passe à 10 » en situation de référence. Il ne planifie que les premières règles de la situation d’apprentissage pour que cette dernière soit viable. Les contraintes mises en place vont créer des effets pervers puisque d’autres règles seront nécessaires pour les neutraliser, sauf si les élèves sont vraiment obéissants et passifs. L’enseignant ne planifie que les règles qui vont assurer une mise en place grossière du principe à apprendre ; la logique de l’écriture ainsi que la hiérarchisation temporelle des actions à faire se concentrent sur des énoncés d’organisation. La planification des contenus d’enseignement représente surtout les préalables indispensables qui engagent autant l’action de l’enseignant que celle des élèves. La planification concerne les conditions d’existence d’une intention d’agir : faire apprendre et comprendre s’associe dans l’agir à venir. Dans sa situation d’apprentissage 4 de cette même leçon, l’enseignant fait comprendre un principe d’attaque à ses élèves en l’exagérant par la réduction des pouvoirs moteurs des acteurs. Il n’explique pas le principe mais le rend indispensable en restreignant volontairement une partie des possibilités motrices des élèves. La situation d’apprentissage interpelle les élèves en ce qu’elle contient des informations qui les aident à penser leurs actions.

Faire apprendre revient à faire comprendre, l’apprentissage se fait par le sens, la signification.