Le curriculum caché (Jackson, 1968) témoigne de l’existence d’intentions implicites chez les enseignants. Il est apparu que les scénarii d’apprentissage sont dissimulés dans l’architecture des situations d’apprentissage, que certains possèdent une unité symbolique fonctionnelle en rapport avec l’histoire de l’éducation physique et sportive et que d’autres sont une organisation pragmatique des variables les plus significatives du contexte d’enseignement. Éclairant les décisions de l’enseignant, l’écrit de planification est un projet d’enseignement qui dit un curriculum.
Selon Evelyne Charlier, les traces écrites de planification permettent à l’enseignant de « prendre des décisions dont l’exécution dépend des préacquis des apprenants »359, que ce soit au niveau du discours ou des contenus d’enseignement. Selon elle, cette prise de décision « constitue une manière de placer l’élève au centre du processus d’enseignement »360. Il y aurait alors un effet rétroactif de la trace écrite, ce qui rappelle la fonction d’interactivité telle qu’elle s’applique non plus à l’élève mais à l’enseignant. En ce sens, le centre dont parle Charlier pourrait se déplacer vers le second, comme second apprenant. Il ressort en tout cas que le rôle des traces écrites est trop souvent compris comme représentant un contenu d’enseignement ou un savoir à transmettre alors qu’il est de comprendre un discours professionnel. La prise en compte de ce rôle remet dès lors en cause des conceptions bien affirmées.
Chaque enseignant peut changer ses préparations à partir de la variable niveau de classe, mais il peut faire varier ses conceptions d’enseignement à l’intérieur même d’une leçon. On peut s’interroger sur certaines logiques d’enseignement, telle celle suivie par l’enseignant d’expérience n°22 dont les six situations d’apprentissage sur dix correspondent à la conception sociomotrice. Cet enseignant est résolument tourné vers la recherche de principes généraux, mais nous pensons que l’effet classe est déterminant dans le choix de sa conception de l’enseignement des sports collectifs car il aurait peut-être une tendance plus techniciste s’il avait affaire à des classes de lycée. Il n’y a pas de raison d’imaginer qu’un enseignant obéisse à une tendance bien définie, et les traces écrites gardent mémoire de ces choix professionnels.
Synthèse
En tant que traces d’une profession donnée, les écrits de planification sont des documents qui font source d’autorité par « la signifiance attachée à la trace »361 même. Ils préservent et conservent le discours et la pensée des enseignants. Ils peuvent cependant prendre une autre importance, plus grande peut-être, dès lors qu’ils sont un document témoignant, involontairement pour ceux et celles qui les lisent, de pensées professionnelles.
Paul Ricoeur rappelle la formule de Marc Bloch selon laquelle un signe, une trace, des documents sont des « témoins malgré eux »362. Les traces écrites de planification ne mettent pas en cause le statut épistémologique des écrits ; au contraire, elles tiennent le discours des tactiques didactiques et des "micro-stratégies" employées par les enseignants ainsi que celui de leur formation. L’écrit de planification a cette particularité qu’il est à la fois un langage de la pratique, dans et sur la pratique.
Les situations d’apprentissage rendent présent un objet d’enseignement. Elles agissent ainsi comme un système de significations qui diffuse secrètement le savoir. Ces enseignants ne transmettent pas un savoir objectivé mais plutôt une intention363 de faire, donc un savoir.
Pour cela, nous avons tenté la description du sens en train de se faire au sein des situations d’apprentissage. Leur étude permet d’approcher, de mieux comprendre la forme d’enseignement qui a été, est, et sera délivrée sur le terrain. Ainsi, les enseignants construisent et réglementent leurs situations d’apprentissage comme un système sémiotique. L’enseignant crée un milieu signifiant364 pour favoriser la rencontre entre l’objet d’enseignement choisi et l’élève. La planification est enseignement : enseigner c’est planifier ; planifier est une activité qui enseigne d’autant mieux qu’elle est recueillie.
Charlier, E. (1989). Déjà cité. (109).
Charlier, E. (1989). Déjà cité. (109).
Ricoeur, P. (1985). Déjà cité. (p.175).
Ricoeur, P. (1985). Déjà cité. (p.183).
Rey, B. (1996). Déjà cité. Pour cet auteur les compétences résident essentiellement dans la possibilité qu’à un apprenant à vouloir voir ou vouloir concevoir le milieu dans lequel il se trouve. Nos enseignants semblent favorables à cette conception de l’apprentissage en privilégiant l’intention du sujet apprenant.
Durand, M. (1999). Déjà cité.(p.5) : « la signification pour un acteur n’est pas le codage d’un sens « déjà là », mais une construction dans le moment même où se déploie l’action. ».