Le phénomène terroriste n’est pas nouveau, mais l’utilisation de ce terme est récente. Le terme de terrorisme 2 a été inventé en 1794, lorsque le philosophe Emmanuel Kant l'a utilisé pour décrire « une conception pessimiste du destin de l'humanité » 3. Ce terme qui est aujourd’hui à la mode, est apparu pour la première fois en 1798, dans le supplément du Dictionnaire de l’Académie Française, en se définissant comme « système, régime de la terreur».4
C’est une idée répandue que le terrorisme ne peut être défini, car il n’y a aucune définition du terrorisme universellement acceptée.5 Mais en ce moment, les sciences humaines peuvent apporter, chacune avec sa caractéristique, des éléments d’analyse souvent en concurrence mais toujours insuffisants pour le définir. On peut trouver des exemples pour le définir dans les dictionnaires, dans les ouvrages écrits par des spécialistes du terrorisme, ou dans les lois antiterroristes des différents Etats.
Le terrorisme est un phénomène en pleine expansion. Des nouvelles formes de menace terroriste apparaissent de plus en plus. En fait, on distingue d’ordinaire deux grands types de terrorisme : le terrorisme d’Etat et le terrorisme de groupes ou d’organisations minoritaires. Cette différence est illustrée par les expressions « terrorisme d’en-haut » et « terrorisme d’en-bas », employées par certains spécialistes.6 Ce qui nous intéresse ici ce n’est pas le terrorisme d’Etat, mais exclusivement celui des groupes ou des organisations minoritaires, c’est-à-dire le « terrorisme d’en-bas ».
Dans le dictionnaire Robert Micro, la terreur se définit comme « la peur collective qu’on fait régner dans une population, un groupe pour briser sa résistance » et le terrorisme comme « l’emploi de la violence pour atteindre un but politique; actes de violence destinés à déclencher des changements politiques ». Jacques Baud, ancien membre des services de renseignement suisses et expert en politique de sécurité, définit le terrorisme, dans son Encyclopédie des terrorismes, comme « une méthode de combat fondée sur l’usage de la terreur » 7 . Ainsi, alors que la terreur signifie une action ou une situation d’action, le terrorisme signifie une méthode.
Selon Isabelle Sommier8, le terrorisme qui occupe régulièrement la scène politique depuis trentaine d’années, constitue par excellence la violence politique moderne. Les informations relatives à la construction de la menace terroriste proviennent presque et exclusivement du Département d’Etat américain et le pôle britannique a un consensus entourant le terme. En effet, le terrorisme est considéré comme toutes initiatives violentes dirigées contre l’Etat.
Les spécialistes du monde anglo-saxon, et surtout les Américains, ont une forte tendance à définir le terrorisme comme les actes violents commis par des groupes s’opposant à l’agenda politique d’un certain pays. Selon Walter Laquer, professeur américain des relations internationales, le terrorisme est « l’usage d’une violence masquée par un groupe à des fins politiques et dirigée contre un gouvernement, un autre groupe ethnique, des classes ou des partis » 9 . Le britannique Paul Wilkinson, professeur anglais des relations internationales, définit le terrorisme comme « une forme particulière de violence dont le but est de créer un climat de peur dans un groupe cible plus large que les victimes directes, généralement à des fins politiques » 10.
Lorsqu’on analyse les apports du monde francophone pour la définition du terrorisme, on peut dire que la plupart des spécialistes abordent la notion mais ne proposent pas de définition précise et concrète. Le mot terrorisme, à la différence de son usage contemporain, fut d’abord popularisé pendant la Révolution française au sens positif. Le régime de la Terreur a été utilisé comme un instrument de pouvoir instauré par le gouvernement révolutionnaire de l’époque. Ainsi, Jean-Luc Marret, docteur en science politique et chercheur à la Fondation pour la recherche scientifique (FRS) 11 , ne donne aucune définition du terrorisme dans son manuel Techniques du Terrorisme 12 . Thierry Vareilles13, chercheur français, n’écrit pas sa propre définition du terrorisme dans son ouvrage de plus de cinq cents pages sur le terrorisme. L’un des spécialistes du terrain, Michel Wieviorka14, sociologue français, fait une analyse du terrorisme en montrant la définition objective et subjective du terrorisme. Selon lui15, une définition objective est généralement technique, apparemment indifférente à la cause que le terrorisme prétend soutenir… tandis que la définition subjective définit le terrorisme à partir des perceptions de ceux qui en parlent. Ainsi, toute définition est nécessairement relative puisque commandée par les intérêts ou les représentants propres à ceux qui la proposent.
En Turquie, il est difficile de trouver une définition du terrorisme acceptée par tout le monde. La tendance générale dans les ouvrages et les documents écrits est l’utilisation de la définition du terrorisme établie par la loi turque relative à la lutte contre le terrorisme 16 . Une autre tendance est de se référer généralement aux sources étrangères, surtout anglo-saxonnes, décrites ci-dessus. La poursuite d’études supérieures par les chercheurs turcs dans les Etats anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, est la principale raison d’une telle tendance. C’est pourquoi les chercheurs et les spécialistes du terrain, par exemple Ihsan Bal ou Onder Aytac, professeurs associés dans l’Académie de Police 17 turque, ont développé leurs travaux scientifiques sur le terrorisme à partir d’une approche et définition inspirées du monde anglo-saxon.
Si le terrorisme constitue un acte contre les gouvernements ou les Etats au sens large, la nature des menaces diffère en effet selon les Etats. C’est pour cette raison que la plupart des Etats disposent, généralement, d’une loi anti-terroriste spécifique et le terrorisme y est défini selon leur culture et leur compréhension de la sécurité. Par exemple, alors que la loi américaine le définit comme « la violence préméditée, à motivations politiques, exercée contre des cibles non combattantes par des groupes subnationaux ou des agents clandestins, dont le but est généralement d’influencer une opinion» 18 , la menace signifie « la pratique ou la menace d’une action qui a pour but d’influencer le gouvernement ou d’intimider le public ou une partie de celui-ci, afin de promouvoir une cause idéologique, religieuse ou politique » 19 dans la loi britannique. Quant à loi française, elle le définit comme « des actes intentionnellement en relation avec une entreprise, ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité de la personne, l’enlèvement ou la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport » 20 .
Pour la Turquie, on se réfère à l’article 1 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme 21 . Cette loi définit le terrorisme en tant qu’« actes commis par une ou plusieurs personnes appartenant à une organisation dans le but de changer les caractéristiques de la République définis dans la Constitution, son système économique, politique, légal, social, laïc et, portant atteint à l’unité indivisible de l’Etat avec son territoire et la nation, mettant en danger l’existence de l’Etat turc et la République, affaiblissant ou détruisant ou saisissant l’autorité de l’Etat, éliminant des droits et des libertés fondamentales, ou portant atteint à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat, de l’ordre public ou de la santé générale par l’une des méthodes de pression, de force, de violence, d’intimidation, d’oppression ou de menace ». A la lumière de cette définition, il est possible de dire que la loi antiterroriste turque considère le terrorisme comme tous les actes violents contre l’existence, l’intégralité et le système de l’Etat et de la nation.
Deux chercheurs néerlandais, Alex P. Schmid et Albert J. Jongman22, ont adopté une approche intéressante du problème de la définition du terrorisme en examinant les cent neuf définitions différentes du terme auprès d’universitaires et de fonctionnaires. Dans cette recherche, les deux chercheurs ont analysé les définitions pour trouver leurs principales composantes : la violence – la force, la politique, la terreur – la peur – la crainte, la menace, les effets et les réactions, la victime – le choix de cible, l’action organisée, la méthode de combat etc. sont les notions utilisées pour une telle définition du terrorisme. Par ce travail, s’appuyant sur les vingt-deux catégories de mots qui figurent dans les cent neuf définitions, les deux chercheurs montrent la difficulté de trouver un consensus sur une seule définition qui sera acceptable par tout le monde.
No | Elément | Fréquence |
1 | Violence, force | 83,5 |
2 | Politique | 65 |
3 | Terreur, peur, crainte | 51 |
4 | Menace | 47 |
5 | Effets et réactions | 41,5 |
… | … | … |
21 | Criminel | 6 |
22 | Demandes faites à des tierces parties | 4 |
Source : SCHMID Alex P. et JONGMAN Albert J., Political terrorism : a new guide to actors, authors, concepts, data bases, theories and literature, New Brunswick, Transaction Books, 1988, p.5-6.
Pourquoi le terrorisme est-il si difficile à définir ? Parce que le terrorisme est d’abord « un phénomène contemporain et le fruit de la modernité technologique et médiatique pour les uns, arme de faibles pour les autres »23. Ensuite, il est « employé comme synonyme de rébellion, de batailles de rues, de lutte civile, d’insurrection, de guérilla rurale, de coup d’Etat et autres »24. Dans cette perspective, il est aussi difficile de définir le terroriste et l’organisation terroriste, car le membre d’une organisation terroriste est un simple criminel, un résistant ou un combattant de la liberté ou il est un terroriste pour les uns, guérilla de liberté pour les autres.
Quant au terrorisme religieux, ce dernier reste difficile à définir également. Il est intéressant de remarquer que plusieurs expressions comme le nouveau terrorisme, le terrorisme religieux, le terrorisme extrémiste religieux, le terrorisme islamiste ou islamique – juif - chrétien, le terrorisme fondamental, le terrorisme djihadiste, le terrorisme apocalyptique, le terrorisme à caractère religieux, le terrorisme de motif religieux etc., sont tous ont été utilisés ces dernières années, pour définir ce type de menace. Alors que les autorités étatiques utilisent plutôt des expressions comme le terrorisme à caractère religieux ou de motif religieux, les spécialistes et les chercheurs n’hésitent pas à le qualifier de terrorisme religieux, islamiste ou islamique – juif – chrétien etc.
Mark Juergensmeyer, sociologue américain des religions, cherche dans son ouvrage25, la relation entre le terrorisme et la religion en se demandant, « pourquoi la religion a-t-elle besoin de violence, et la violence de religion ? Pourquoi les fidèles acceptent-ils si facilement de se livrer à la violence au nom de leur foi ? ». Dans l’histoire de l’homme, un terrorisme fondé exclusivement sur une argumentation religieuse a toujours existé. Il y a toujours eu des exemples de groupes radicaux, des fondamentaux musulmans, juifs ou chrétiens, ou encore des autres religions ou sectes qui ont des activités terroristes dans le monde entier. En effet, les terroristes ont utilisé la religion comme un instrument, car ni Dieu et ni la religion n’a besoin de terroristes pour imposer sa suprématie.
A l’origine du terrorisme moderne, depuis les années 1960, les terroristes s’inspiraient plutôt d’une idéologie d’extrême gauche. Mais aujourd’hui, ils sont de plus en plus motivés par l’idéologie séparatiste ou religieuse. En s’inscrivant dans une croisade contre les infidèles, le terrorisme religieux se distingue des autres par une violence plus intense 26 . Les membres des organisations terroristes sont largement motivés par la religion, mais ils sont également guidés par des considérations politiques. Pour ce type d’organisation, commettre des actions terroristes signifie, d’une part, une défense et une réaction contre les ennemis infidèles et, d’autre part, la seule voie pour l’opposition politique. Ainsi, il est difficile de distinguer les sphères religieuses et politiques dans les organisations terroristes religieuses.
A la lumière de ces explications, il nous semble que deux remarques sont importantes : D’abord, il faut apporter une définition simple du terrorisme sans expliquer tous les détails comme la motivation politique invoquée, l’activité faite, les moyens utilisés et la gravité des résultats etc. Sinon cette définition serait très large et soulèverait des difficultés pour une compréhension commune. Ensuite, il faut qualifier la menace du terrorisme religieux de ces dernières années comme l’utilisation de l’idéologie religieuse par les organisations terroristes, car la considération des actes terroristes comme un résultat de l’Islam, entraîne à l’augmentation de l’hostilité des croyants du monde musulman, notamment arabo-musulman, et renforce la mainmise d’organisations terroristes religieuses. Dans ce contexte, on peut définir le terrorisme d’en-bas très brièvement comme toute activité criminelle, coercitive, violente et organisée à motivation politique contre les autorités étatiques et le terrorisme religieux comme l’instrumentalisation de la religion à des fins de transformation politique terroriste .
Il nous semble que l’utilisation du singulier du mot « terrorisme » en renforce la puissance. En plus, le pluriel de ce mot n’existe plus dans la littérature turque.
Les Cahiers de Médiologie, La scène terroriste, no : 13, Premier semestre, Paris, Gallimard, 2002, p.1.
V. Dictionnaire de l’Académie française, supplément, an VII, 1798, p.775. Cité par GOZZI Marie-Hélène, Paris, Ellipses, 2003, p.8.
Ces dernières années, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, les Nations Unies et l’Union Européenne ont défini le terrorisme dans le cadre de leur évaluation de la menace terroriste. Néanmoins, il est encore difficile de dire que leurs définitions ont été acceptées par tous les Etats membres.
Par exemple en Turquie, Dogu Ergil, professeur turc de sociologie politique, a largement utilisé ce type de qualification dans son ouvrage, Turkiye’de teror ve siddet : yapisal ve kulturel kaynaklari (Le terreur et la violence en Turquie : les ressources structurelles et culturelles), Ankara, Turhan Kitabevi, 1980, p.26-48. De l’autre côté, Yilmaz Altug, professeur turc de droit international, a utilisé également cette approche en définissant le terrorisme, dans son ouvrage, Teror : dunu bugunu yarini (Terreur : hier, aujourd’hui et demain), Istanbul, Altin Kitaplar, 1995, 223p.
BAUD Jacques F., Encyclopédie des terrorismes, Paris, Lavauzelle, 1999, p.229.
SOMMIER Isabelle, Le terrorisme, Paris, Flammarion, 2002, 128p.
LAQUER Walter, The Age of terrorism, Boston, Little Brown, 1987, p.72.
WILKINSON Paul, Terrorism and the liberal state, London, McMillan Press, 1977, p.30.
La Fondation pour la Recherche Stratégique est une fondation française fondée en 1993 à Paris. Elle est en effet un institut indépendant au service de la communauté de sécurité et de défense en exercant ses activités à travers quatre principaux axes : les grands domaines de la défense, la nature des crises et des conflits, la sécurité du citoyen et des aires géographiques ciblées. Pour les détails, voir le site officiel d’Internet de la Fondation pour la Recherche Stratégique : http://www.frstrategie.org/
MARRET Jean-Luc, Techniques du terrorisme, Paris, PUF, 2002, 170p.
VAREILLES Thierry, Encyclopédie du terrorisme international, Paris, l’Harmattan, 2001, 548p.
Michel WIEVIORKA est notamment reconnu internationalement pour ses travaux consacrés au terrorisme, à la violence, au racisme et aux mutations de la société. On peut citer trois ouvrages de WIEVIORKA sur le terrorisme : Face au terrorisme, Paris, Liana Lévi, 1995, 170p ; (sous la dir.), Un nouveau paradigme de la violence ?, Paris, L’Harmattan, 1997, 468p ; avec WOLTON Dominique, Terrorisme à la une, Paris, Gallimard, 1987, 257p.
WIEVIORKA Michel, « Terrorisme et démocratie », p.171-174, in Stratégique, no : 66-67, Décembre 1997.
Loi relative à la lutte contre le terrorisme (Terorle Mucadele Kanunu -TMK) no : 3713, le 12 avril 1991. Consultable, en langue turque, en ligne à : http://www.adalet.gov.tr ; Consultable, en langue français dans l’annexe.
En Turquie, l’Académie de Police est une université qui contient actuellement une faculté, un institut de recherche et plus de vingt écoles de police. Pour les détails, voir le site officiel de l’Académie de Police, www.pa.edu.tr
Office of the Coordinator for Counterterrorism, Patterns of Global Terrorism 2002, US Department of State Publication 11038, Washington DC, Avril 2003, page 13. Consultable en ligne à : http://www.state.gov
Terrorism Act 2000. Consultable en ligne à : http://www.homeoffice.gov.uk
Code pénal du 10 septembre 1995, le titre II. Consultable en ligne à : http://www.legifrance.gouv.fr
Loi relative à la lutte contre le terrorisme, loi no : 3713, le 12 avril 1991. Consultable en ligne à : http://www.adalet.gov.tr
SCHMID Alex P., JONGMAN Albert J., Political terrorism: a new guide to actors, authors, concepts, data bases, theories and literature, New Brunswick, Transaction Books, 1988, p.5-6.
CRETTIEZ Xavier (dir.), Le Terrorisme : violence et politique, no : 859, Paris, La Documentation française, 2001, p.3.
LAQUER Walter, The Terrorism Reader: A Historical Anthology, New York, Meridian, 1978, p.262.
JUERGENSMEYER Mark, Au nom de Dieu, ils tuent !, Paris, Autrement, 2003, 237p.
BAUD Jacques F., « Le terrorisme », Le site officiel d’Internet de Terrorwatch, pour les détails, www.terrorwatch.ch/fr/terrorism.php