Sous-section 1. Les raisons dans le choix d’une telle étude

Il est d’abord important de préciser que deux raisons ont motivé le choix d’une telle étude : le terrorisme religieux qui est un problème croissant dans le monde entier, relève de plus en plus de difficultés en Turquie et le rôle de la Police Nationale qui est l’institution principale de lutte antiterroriste, augmente contre ce type de menace. Dans ce contexte, une thèse sera écrite sur « la police et le terrorisme religieux en Turquie » nous permettra de mieux comprendre non seulement la question, mais également les mesures pour la résoudre.

Lors qu’on demandait il y a des années, si c’était un bon choix de travailler sur la sécurité et le terrorisme ou les politiques publiques antiterroristes quand existaient tant d’autres sujets à étudier dans les sciences humaines et sociales, il était facile de répondre à cette question du côté d’un journaliste ou d’un professionnel mais non plus pour un universitaire. Car ce type d’approche signifiait le courage pour un journaliste et le succès professionnel pour un membre d’un service de sécurité, mais pas pour un universitaire. Selon beaucoup de chercheurs, ce type d’approche ne se considérerait plus comme une démarche positive pour un universitaire.

Selon François Dieu84, il y a encore une vingtaine années, un manuel de politiques publiques de sécurité aurait probablement été perçu par de nombreux universitaires comme « une gageure, comme une provocation émanant sans aucun doute d’une auxiliaire zélé de la répression ». Il est vrai d’ailleurs que cette démarche n’aurait guère eu d’intérêt. Pour Didier Bigo85, étudier le terrorisme pour un universitaire, c’était « d’accepter de se livrer au soupçon de certains de ses collègues ». Car le sujet était perçu « comme un manquement à la déontologie professionnelle du moins comme une faute de goût. ». Pendant des années, la tendance s’est inversée, et le terrorisme, surtout le terrorisme religieux, a été l’un des sujets les plus actuels du domaine des recherches en sciences sociales. En choisissant l’utilisation du terme de « la violence politique », Philippe Braud, professeur français de sociologie politique, précisait que ce type de menace méritait d’occuper une place centrale dans l’analyse scientifique, car, invisible ou spectaculaire, concrète ou fantasmée, elle était, en effet, présente en permanence dans l’espace public comme menace, comme défi ou comme recours.86 Il est possible de voir aujourd’hui l’augmentation des études et des recherches voire des thèses notamment dans le monde anglo-saxon.

En Turquie, l’intérêt académique pour les travaux scientifiques sur le terrorisme était limité. Malgré la popularité du sujet les conséquences de ce type d’intérêt n’étaient pas bonnes, car les chercheurs étaient menacés par les organisations terroristes d’une part, et ont ressenti une pression de société et des lois d’autre part.87 C’est pour cette raison qu’il n’était pas possible de parler d’une abondance des travaux écrits sur le terrorisme. En plus, les travaux présents étaient plutôt des rapports officiels ou des ouvrages médiatiques mais non plus des travaux scientifiques.

Jusqu’à la fin des années 1990, la question du terrorisme religieux ne constituait pas un intérêt pour les chercheurs. Ces dernières années, notamment après les opérations réalisées par la Police Nationale contre le cadre dirigeant de l’organisation terroriste religieuse Hizbullah 88 en 2000 à Istanbul, les chercheurs turcs se sont de plus en plus intéressés à une telle question. Quelques ouvrages, plutôt médiatiques, ont été publiés par les journalistes, par contre le monde universitaire s’est désintéressé de ce type de recherches. Seulement, quelques mémoires de masters ont été faits plutôt par les professionnels 89 qui suivaient des études supérieures au sein des universités. Quant aux thèses effectuées 90 , elles ne représentaient qu’un faible nombre. Les événements du 11 septembre 2001 ont accéléré le processus de la production de nouveaux travaux, car l’actualité du terrorisme a augmenté le désir de quelques journalistes et chercheurs afin de produire de travaux plutôt médiatiques et parfois scientifiques. Mais ce type de recherche n’a pas pu trouver assez d’écho au sein des universitaires.

Les recherches sur la police nous rappellent tout de suite l’hégémonie des études anglo-saxonnes. Cette hégémonie parait « incontestable aussi bien d’un point de vue quantitatif du fait de l’abondance des écrits, que qualitatif en raison de la valeur paradigmatique des hypothèses énoncées » 91. L’obtention aisément d’une autorisation d’une enquête dans une structure fédérale, la connaissance sociologique de la police, le soutien des universités et de centres stratégiques de recherche etc. sont des raisons qui favorisent la production plus de travaux scientifiques dans les Etats anglo-saxons.

Les recherches du monde francophone, surtout françaises, sur la police se caractérisent par les travaux qui ont commencé dès le début des années 1990. Avant cette date-là, il n’existait plus de travaux scientifiques. Comme la police française est centralisée et une« institution fermée » 92 , elle n’a pas permis de faire de recherches sur elle-même. En plus, comme la connaissance scientifique de la police est « traditionnellement juridique » 93 les chercheurs de sciences sociales n’ont pas eu plus d’intérêts de faire d’une telle recherche. C’est pour ces raisons que les recherches francophones sont très restreintes que celles du monde anglo-saxon.

En Turquie, les travaux sur la police sont sous-développés par rapport à ce qu’elles sont dans les pays occidentaux. Cette situation est due à l’attitude de chercheurs qui se sont toujours désintéressés du sujet, mais elle est surtout une conséquence des caractéristiques du modèle policier central qui ne déploie pas des efforts pour des recherches scientifiques. Dès l’année 2000, la Police Nationale a commencé un projet de faire des recherches scientifiques sur elle-même. Elle a ouvert ses travaux aux chercheurs et a encouragé son propre personnel afin de faire des recherches scientifiques sur elle-même et les institutions policières étrangères. Elle a aussi publié quelques ouvrages et documents. Cependant, malgré de ces efforts récents, elle n’a pas encore suscité assez de travaux sérieux sur son fonctionnement, son organisation et ses missions. En plus, ses publications officielles visaient plus souvent le prestige ou la publicité que la connaissance.

La lutte policière contre le terrorisme religieux est un sujet peu étudié dans les recherches en sciences sociales. Même s’il existait déjà quelques travaux sur les politiques de lutte antiterroriste, notamment dans le monde anglo-saxon, la police a été présentée seulement comme l’une des institutions opérationnelles concernées. Depuis le 11 septembre 2001, il y a une abondance de travaux à la fois journalistiques et scientifiques sur la lutte contre le terrorisme. Quelques universitaires ont publié des ouvrages sérieux et quelques étudiants et doctorants ont soutenu des mémoires et des thèses, vraiment de bonne qualité. Mais en ce moment il n’existe plus de travaux effectués exclusivement sur la lutte anti-terroriste policière. Aux Etats-Unis, le poids lourd de lutte contre le terrorisme religieux sur les politiques intérieures et extérieures, la création des nouveaux départements de « criminal justice » au sein des universités, l’intérêt de plus en plus progressant de centres de recherches sur un tel sujet ont augmenté la production de ce type de travaux.

Quant au monde francophone, malgré l’abondance des ouvrages publiés en matière de terrorisme d’après 11 septembre, il n’existe plus d’informations relatives à la lutte antiterroriste policière. En plus, le monde universitaire ne s’est plus intéressé à ce type de sujet. Il est possible d’expliquer une telle manque par quelques raisons : l’inexistence du département de « criminal justice » ; la concentration des départements de « sciences pénales et criminelles » plutôt sur l’évaluation de police de proximité ; la considération de la question du terrorisme religieux par des centres de recherches comme politique qu’opérationnel etc.

En Turquie, le monde universitaire a été vraiment loin de présenter une vision réelle et scientifique pour ce type de recherche.94 Comme la mission contre le terrorisme religieux est l’un des sujets très sensible pour l’institution policière, il est toujours très difficile pour un universitaire de faire une recherche scientifique sur ce sujet. Pour résoudre ce problème, depuis quelques années, la Police Nationale autorise et encourage son personnel à réaliser ce type de recherche. Mais encore il y a des difficultés. Par exemple, la dimension entre les attentes de chercheurs et de l’administration de la Police Nationale pose une vraie difficulté. C’est-à-dire, l’administration de la police souhaite avoir des résultats immédiats, des solutions pragmatiques et d’obtenir un panorama général de toutes les menaces actuelles et possibles tandis que les chercheurs travaillent dans un long terme, posent des questions méthodologiques et trouvent un intérêt professionnel à travailler plutôt sur la menace séparatiste ou révolutionnaire.

Les thèses effectuées en France sur la Turquie n’étaient pas nombreuses jusque dans les dernières années. Comme l’a précisé Isabelle Rigoni95, « aucune thèse sur la Turquie n’avait été réalisée en sciences sociales avant 1983 ». Depuis le milieu de la décennie on voit « une reconnaissance et un intérêt grandissant des sciences sociales pour la Turquie, conformée par le nombre croissant travaux entamés sur cette thématique ». Ces études représentent des interventions d’une part optimistes comme les efforts en matière de démocratisation et la rapide croissance économique et d’autre part pessimistes comme la montée de l’islamisme radical, la conséquence de la question du terrorisme séparatiste kurde liée particulièrement au PKK. Depuis quelques dernières années, l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne est le sujet le plus choisi pour les publications des travaux sur la Turquie.

Dans cette perspective, nous pouvons considérer que les recherches sur la police et le terrorisme religieux sont encore peu développées dans les sciences sociales. En plus, travailler sur « la police et le terrorisme religieux en Turquie » en tant que sujet de la thèse dans une université française, constitue un essai à la fois original et nouveau. Sujet de controverses et de polémiques, le phénomène du terrorisme religieux en Turquie constitue naturellement la menace la plus directe pour les intérêts fondamentaux de l’Etat et de la société, et il doit être examiné avec toute la prudence caractérisée par une recherche scientifique.

Notes
84.

DIEU François, Politiques publiques de sécurité, op.cit., p.7.

85.

BIGO Didier, « Les Attentats de 1986 en France  : un cas de violence transnationale et ses implications », Cultures & Conflits, Document 129, Consultable sur http://www.conflits.org/document129.html

86.

BRAUD Philippe, « La violence politique : repères et problèmes », art. pp.13-42, in BRAUD Philippe (sous la dir.), La violence politique dans les démocraties européennes occidentales, Paris, L’Harmattan, 1993, 415p.

87.

Anonyme, « Medya ve terorizm » (Media et terrorisme), Site officiel d’Internet de Wikipedia Ozgur Ansiklopedi, Pour les détails, voir http://tr.wikipedia.org/wiki/Ter%C3%B6rizm

88.

L’organisation terroriste religieuse Hizbullah, indépendante du Hezbollah libanais, est active sur le territoire turc depuis la fin des années 1980. Elle a été l’organisation terroriste religieuse la plus dangereuse à partir des années 1990 notamment à l’est de la Turquie.

89.

En Turquie, il y a une tendance parmi des fonctionnaires de la Police Nationale, de suivre des études supérieures au sein des universités. Il est possible de dire que cette tendance qui n’est pas institutionnelle, mais relève plutôt des intentions individuelles.

90.

Il est possible de voir toutes les thèses et les mémoires effectués en Turquie dans le site officiel du Conseil Supérieur de l’Education (Yuksek Ogretim Kurumu – YOK), www.yok.gov.tr

91.

GLEIZAL Jean-Jacques, GATTI-DOMENACH Jacqueline et JOURNES Claude, La Police : le cas des démocraties occidentales, op.cit., p.15-43.

92.

DEMONQUE Pierre, Les policiers, Paris, La Découverte, 1983, p.5-8.

93.

GLEIZAL Jean-Jacques, GATTI-DOMENACH Jacqueline et JOURNES Claude, idem.

94.

Il est intéressant de noter que l’Université Bahcesehir qui se trouve à Istanbul, a débuté un programme de certificat sur « la menace globale : le terrorisme » à la fin de l’année 2005. Au début, le programme a été présenté comme le premier pas d’une « école de terrorisme ». Ces dernières deux ans, seulement quelques séminaires plutôt médiatiques ont été réalisés au sein de cette Université, les fonctionnaires des services de sécurité ont été les participants et l’intérêt académique est resté limité. Pour les informations voir le site d’Internet officiel de l’Université Bahcesehir : www.bahcesehir.edu.tr

95.

RIGONI Isabelle (coordination), Turquie : les mille visages, Paris, Editions Syllepse, 2000, p.7-8.