Les années 1960 de Turquie étaient marquées par les activités de gauche, notamment celles du Parti Communiste Turc (Turkiye Komunist Partisi - TKP) et des Foyers Culturels des Révolutionnaires de l’Est (Dogu Devrimci Kultur Ocaklari - DDKO). En dehors de ces acteurs, le Parti Ouvrier de Turquie (Turkiye Isci Partisi - TIP) en tant que parti politique, la Confédération des Syndicats des Ouvriers Révolutionnaires (Devrimci Isçi Sendikalari Konfederasyonu - DISK) en tant qu’organe des ouvriers et la Fédération des Clubs d’Idées (Fikir Kuluperi Federasyonu - FKF) en tant qu’organisation d’étudiants, ont été les autres acteurs dominants du mouvement de gauche. Les années suivantes, les trois derniers ont joué un rôle important dans la naissance des activités violentes, en suivant une stratégie pour provoquer particulièrement les étudiants contre le gouvernement et les institutions étatiques.
La création du Parti Ouvrier de Turquie, le 13 février 1961 a été considérée, tout d’abord, dans l’histoire politique turque, comme la première représentation officielle d’un parti politique qui avait pour but de s’opposer directement aux intérêts des classes dirigeantes. Car le TIP a eu, pendant dix ans, non seulement une influence militante mais également une influence importante sur la vie politique turque. A partir de la création du TIP, la lutte contre la domination du capitalisme occidental, notamment la critique contre l’OTAN, s’est faite plus systématique et devenue en même temps un enjeu de politique intérieure. Dans cette conjoncture, Le TIP a mené un combat politique et a radicalisé quelques groupes de gauche en considérant les Etats-Unis et ses alliés comme l’ennemi principal.
La Confédération des Syndicats des Ouvriers Révolutionnaires a été fondée en février 1967 par les syndicats séparés du syndicat Turk-Is. Elle avait pour but de « lutter contre le fascisme, la junte, l’oligarchie et les autorités dictatoriales… » 129 . Cette confédération était un organe d’ouvriers et a mené une lutte acharnée notamment dans le milieu du travail. En soutenant les stratégies des politiques et les mouvements des étudiants par les appels à la grève générale, elle a été l’un des principaux acteurs du mouvement de gauche et révolutionnaire tout au long de période de conflits idéologiques.
La Fédérations des Clubs d’Idées a été fondée en 1965 par les membres et les sympathisants du TIP, afin de résoudre les problèmes de la jeunesse et du pays en luttant pour la révolution socialiste. Selon Turhan Feyzioglu130, politologue turc, elle était « une organisation socialiste d’étudiant participant à la lutte pour la démocratie et pour les droits de l’homme en Turquie » et disposait d’une capacité intellectuelle sensible aux problèmes de la société. Elle a participé aux manifestations anti-impérialistes avec le TIP et la DISK et a joué un rôle important dans l’évolution du mouvement de gauche.
Les activités de gauche de cette période se sont orientées de plus en plus vers des activités violentes. Le terrorisme révolutionnaire est né à la fin des années 1960, juste avant le deuxième coup d’Etat militaire de 1971. L’une des premières organisations terroristes était la Jeunesse Révolutionnaire (Devrimci Gençlik - Dev-Genç). En fait, la Dev-Genç n’était que le changement du nom de la Fédération des Clubs d’Idées en 1969. Après la naissance de Dev-Genç, plusieurs groupes et organisations terroristes révolutionnaires sont nés ultérieurement : l’Armée de Libération du Peuple de Turquie (Turkiye Halk Kurtulus Ordusu - THKO), le Front – Parti de Libération du Peuple de Turquie (Turkiye Halk Kurtulus Partisi / Cephe THKP/C), le Parti Communiste Turc / Marxiste – Léniniste (Turkiye Komunist Partisi / Marksist Leninist – TKP/ML) et l’Armée de Libération des Travailleurs et Paysans de Turquie (Turkiye Isci Koylu Kurtulus Ordusu - TIKKO) ont suivi la lutte armée, en accusant l’Etat comme capitaliste et impérialiste et ayant pour but de « détruire le système de l’Etat par une révolution armée et d’unifier le prolétariat ».
Il a fallu attendre 1973 pour voir la naissance des premiers actes violents des groupes d’extrême droite. Cette année-là, les groupes de droite, en particulier les Loups Gris (Bozkurtlar - Ulkucu) et les Attaquants (Akincilar) sont nées comme alternatives des révolutionnaires. La volonté principale de ces groupes était de « créer un Etat fort et autoritaire ». Les Loups Gris se sont organisés particulièrement dans tous les domaines où les révolutionnaires étaient déjà en activité.
Selon les autorités et beaucoup de spécialistes, les groupes de droite comme les Loups Gris n’avaient ni un objectif politique ni une idéologie destructive à changer le système et le régime de l’Etat, leurs actes ne sont pas considérés comme terroristes. Par contre, quelques spécialistes et intellectuels, notamment de gauche, n’ont pas hésité à qualifier leurs actes comme illégaux voire terroristes. Car, selon eux, « même si les Loups Gris sont restés sur le plan légal, ils visaient finalement une lutte armée ». De l’autre côté, quelques revendications des attaques violentes sous des noms comme l’Armée de Libération de Sauvegarde des Esclaves Turcs (Esir Turkleri Kurtarma Ordusu - ETKO), la Brigade Turque de la Haine (Turk Intikam Tugayi - TIT), l’Armée Turque de la Haine des Loups Gris (Turkiye Intikamci Bozkurtlar Ordusu - TIBO), les Commandos Rapides Turcs (Turk Yildirim Komandolari - TYK) ont été considéré par ces derniers comme l’affaire des Loups Gris. Selon les spécialistes de l’idéologie de droite, « ces groupes armés n’ont jamais été créés et l’utilisation de ces noms par les gauchistes avait pour but de montrer les Loups Gris comme illégaux ». En fait, les Loups Gris disposaient d’un soutien politique 131 , et ils ont continué de poursuivre leurs activités jusqu’au coup d’Etat militaire de septembre 1980.
Les points intéressants de cette période c’était l’utilisation de l’idéologie religieuse pour les actes violents. Les Attaquants qui constituaient l’un des groupes d’extrême droite, ont été les premiers, utilisant la religion comme l’instrument idéologique de leurs actes. Les Lycéens Attaquants (Akinci Liseliler) et l’Association des Attaquants (Akincilar Dernegi –Ak-Der) ont réalisé des actes illégaux et violents dans le cadre d’une idéologie à la fois nationaliste et religieuse. Toutes les branches des Attaquants se sont épuisées après l’intervention des militaires en 1980.
Toute la période des années 1970 est marquée par les conflits entre les groupes idéologiquement opposants. Beaucoup de militants et sympathisants sont assassinés des deux côtés. Les universités, les entreprises, les usines, presque tous les locaux ont été occupés par ces groupes d’idéologie différente. Le plus fort en profitait pour occuper les établissements en dépit des autres. Cette période a été aussi témoin des conflits ethniques (alévis - sunnites) dans quelques villes de la Turquie, notamment Kahramanmaras et Corum. Beaucoup de gens, motivés par des groupes opposants, sont morts dans ces conflits. Le bilan de ces conflits était la mort de cinq milles jeunes environ.
Les conflits et les actes terroristes ont augmenté vers la fin des années 1970. Cette fois-ci, les intellectuels, les politiques et les journalistes de deux idéologies ont été les cibles privilégiées de deux côtés : Gun Sazak, Ilhan Egemen Darandelioglu, Hamit Fendoglu de l’idéologie droite, Bedrettin Comert, Abdi Ipekci, Umit Kaftancioglu de la gauche, sont assassinés par ces groupes opposants.
L’Etat major est retourné pour la troisième fois sur la scène politique en septembre 1980 en prenant des mesures très sévères et sécuritaires. Quelques membres des organisations terroristes sont tués dans les opérations et beaucoup d’entre eux ont été emprisonnés et les autres se sont enfuis à l’étranger. Ce type d’intervention est considéré par les responsables étatiques de l’époque, comme des mesures nécessaires et efficaces. Mais dans les années qui suivirent on n’a vu aucun changement. Il a fallu attendre quatre ans seulement, l’année 1984, pour que la menace terroriste soit retournée sur la scène.
L’article 3 du programme officiel de la Confédération des Syndicats des Ouvriers Révolutionnaires (Devrimci Isci Sendikalari Konfederasyonu Tuzugu). Consultable sur le site d’Internet officiel de la Confédération des Syndicats des Ouvriers Révolutionnaires, www.disk.org.tr .
FEYZIOGLU Turhan, Fikir Kulupleri Federasyonu.Demokrasi mucadelesinde sosyalist bir ogrenci hareketi (La Fédération des Clubs d’Idées. Un mouvement socialiste d’étudiant dans la lutte de la démocratie), Istanbul, Ozan Yayincilik, 2002, 808p.
CRISS Bilge, « Turkiye’nin terorizmle mucadelesi » (La lutte de la Turquie contre le terrorisme), Strateji Dergisi, Sayi : 2, 1995, p.160.