Section 3. Les années 1990 : la montée en puissance du terrorisme religieux

Le terrorisme a été l’un des enjeux cruciaux des trois dernières décennies en Turquie et notamment depuis le milieu des années 1990, la menace religieuse est montée en puissance. Car, les religieux ont complété leurs organisations et sont passés à l’acte. Le Hizbullah parmi eux a été l’acteur déterminant de cette période. Les principales raisons qui prouvent la montée en puissance du terrorisme religieux sont, d’une part, la naissance de plus de cinq organisations terroristes dans une courte durée de dix ans et, d’autre part, l’augmentation des attentats réalisés par lesdites organisations.

Selon les statistiques officielles134 publiées par la Police Nationale, dès le milieu des années 1990, les attentats terroristes de toutes motivations ont diminué, de 4561 cas à 1611. Par contre, les attentats de nature religieuse ont augmenté, de 34 cas à 125 cas.

Figure 1.1 : Les attentats teroristes entre 01.011984 – 31.12.2007
Figure 1.1 : Les attentats teroristes entre 01.011984 – 31.12.2007

Source135 : Site d’Internet officiel de la Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme de la DGPN, http://www.egm.gov.tr/temuh/index.html

Figure 1.2 : Les attentats des organisations terrosrites religieuses dans le zone de la Police Nationale entre 01.01.1996 – 31.12.2007
Figure 1.2 : Les attentats des organisations terrosrites religieuses dans le zone de la Police Nationale entre 01.01.1996 – 31.12.2007

Source : Site d’Internet officiel de la Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme de la DGPN, http://www.egm.gov.tr/temuh/index.html

Une autre raison qui prouve la montée en puissance du terrorisme religieux est le changement de politiques de sécurité vis-à-vis du terrorisme religieux notamment sur le plan opérationnel. Par exemple, la mise de la menace religieuse sur l’agenda politique des gouvernements, les discours sérieux relatifs à la menace et la lutte antiterroriste dans les débats publics, les modifications institutionnelles et juridiques de la lutte antiterroriste, la consécration d’un grand effort et d’effectifs sur le plan opérationnel, l’augmentation de la capacité personnelle et matérielle de service de sécurité, etc. sont des changements contre cette montée en puissance.

Au début des années 1990, c’était le cas de l’IBDA/C que la Police Nationale a connu comme le premier acte des religieux. Cette organisation était déjà connue en 1989, par ses manifestations illicites tenues à Ankara et Istanbul. En plus, elle publiait des revues et utilisait un langage radical afin de faire sa propagande et de gagner de nouveaux sympathisants. La réalisation de quelques attentats à la bombe par ses membres a alerté la police et les services de sécurité, et ces derniers ont considéré l’organisation IBDA/C comme dangereuse et importante. L’IBDA/C a préféré généralement créer des activités sans risques mais également sensationnelles comme jeter des cocktails molotov et saboter. Comme l’action d’IBDA/C représentait les premiers actes des religieux, elle était suffisante pour alerter les services de sécurité. Dès la connaissance du Hizbullah, l’organisation IBDA/C a perdu sa priorité pour la Police Nationale et les services de sécurité. Cependant cette organisation a joué un rôle important dans la montée en puissance de la menace religieuse.

Quant au Hizbullah, il a gagné, dans une période d’une dizaine d’année, un caractère plus dangereux que ni la Police Nationale ni les services de sécurité n’avaient pu saisir. Quelques facteurs ont empêché l’élucidation des activités du Hizbullah. Par exemple, au début il a bénéficié de l’appui des personnalités religieuses et d’hommes d’affaires désirant s’opposer à l’influence du PKK. En plus peut-être, selon quelques sources136, il a été soutenu aussi par quelques hommes d’Etat ou par quelques responsables de services de sécurité qui étaient en activité dans la région à cette époque-là. En effet, la Police Nationale a déclaré pour la première fois l’existence de cette organisation en 1991. Après cette déclaration les conditions ont changé pour le Hizbullah et les services de sécurité.

De sa naissance à 1991, le Hizbullah a pu trouver une conjoncture vivable dans le sud-est de la Turquie. Mais après 1991, les conditions étaient difficiles pour ce dernier 137 pour trois raisons principales : tout d’abord, le Hizbullah a du mener une lutte armée contre le PKK et il a perdu une partie de ses effectifs ; ensuite, les règlements de compte internes entre deux fractions, le groupe de Science de Huseyin Velioglu et le groupe de Menzil de Fidan Gungor, ont entraîné des conflits internes et sévères ; enfin, la Police Nationale et les services de sécurité ont été de plus en plus actifs dans la région.

Le conflit entre le Hizbullah et le PKK a été vu intensivement aux centres de la ville comme Diyarbakir, Batman, Mardin et dans les zones comme Nusaybin, Silvan. Pendant ce conflit qui a duré pendant 4 ans, il y a eu comme conséquence beaucoup de décès des deux côtés, approximativement plus de sept cents personnes.138 Il est intéressant de préciser que le nom « Hizbullah » a été lancé pour la première fois par le PKK. Car le Hizbullah utilisait le nom Groupe de Science (Ilim Grubu). Le PKK a accusé le Hizbullah de débuter les conflits armés. Mais du coté de Hizbullah, « les conflits ont été commencés par le PKK et le Hezbollah a lutté pour garder ses intérêts par légitime défense » 139. Selon le chercheur turc Ercan Citlioglu, « ces conflits sont terminés par un accord dans la ville de Qum d’Iran en 1995 » 140 .

Figure 1.3 : L’assassinat pendant les conflits armées entre le Hizbullah et le PKK
Figure 1.3 : L’assassinat pendant les conflits armées entre le Hizbullah et le PKK

Source : La Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme, citée par Derya KILIC, Tespihin ipi koptu (le fil du chapelet s’est détaché), op.cit., p.168.

En fait, les conflits armés contre le PKK, ont été une bonne occasion pour le Hizbullah dans le recrutement de nouveaux membres et pour trouver assez des sources matérielles. Dès que le Hizbullah a empêché la force du PKK dans la région, il a gagné une force de plus en plus croissante et a complété rapidement son organisation. Ses membres ont contrôlé les mosquées en faisant peur ou en assassinant les imams officiels de l’Etat 141 et ils ont fait la propagande du Hizbullah en utilisant l’idéologie et les dynamiques religieuses. Les mosquées ont été utilisées pendant des années comme les camps de l’éducation du Hizbullah. Ce processus de formation et de recrutement a continué jusqu’à ce que la Police Nationale et les services de sécurité saisissent ce dernier et interviennent.

Les différences idéologiques entre les groupes Ilim et Menzil ont évolué vers la lutte armée après 1993. Dans ces conflits, beaucoup de membres des deux côtés, approximativement cinquante, sont morts. Le groupe Menzil de Fidan Gungor a perdu sa puissance et s’est déplacé des villes de l’est comme Diyarbakir, Mardin et Batman sur les villes de sud et sud-est comme Adana, Sanliurfa, Mus, et Bingol. Le départ de groupe Menzil a permis une bonne occasion au groupe d’Ilim d’être la seule organisation monopolisant l’idéologie religieuse dans la région.

A partir du milieu des années 1990, les services de sécurité, en particulier les unités de la Police Nationale, ont pris le contrôle de la zone urbaine dans la région. Les unités antiterroristes policières ont déchiffré par des rapports officiels, l’organisation du Hizbullah et les activités violentes. Dès cette connaissance, la Police Nationale a augmenté ses effectifs de lutte antiterroriste dans la région pour prendre les mesures nécessaires et urgentes. A cause de ce changement majeur de la fin des années 1990, le Hizbullah a dû renouveler sa stratégie et a quitté le terrain pour s’installer à l’ouest, dans les grandes métropoles.

Vers la fin des années 1990, les conditions de la région étaient difficiles pour le Hizbullah. Il avait besoin de nouvelles ressources personnelles et matérielles pour ses activités. Dans ce contexte, le cadre dirigeant du Hizbullah a changé son lieu d’établissement et il s’est installé à Istanbul. Cette installation a préparé la fin temporaire de l’organisation. La Police Nationale a déchiffré l’archive du Hizbullah dans quelques villes comme Batman, où résidaient la majorité des membres, et elle a suivi les traces des membres dirigeants. Les opérations de Police Nationale qui ont été débuté dès juin 1999, ont mis fin au Hizbullah par une dernière opération, le 17 janvier 2000 à Istanbul.

Pour résumer, le Hizbullah a eu une vision très étroite sur le plan idéologique et politique mais il a mené une lutte armée très violente. Pendant qu’il était actif, il a considéré tous les gens, en dehors de ses membres, comme des ennemis ou des infidèles. Non seulement les services de sécurité ou les institutions étatiques mais également les organisations terroristes comme le PKK ou les groupes religieux, voire quelques unes de ses membres n’ont pu échapper à son approche et à ses cibles. Lorsque la Police Nationale a commencé à réaliser des opérations sévères contre les cellules du Hizbullah, il a suspecté lui-même, ses propres membres. Il a interrogé ses quelques membres pendant des mois comme des suspects ou des agents secrets de services de sécurité. La plupart de ces interrogations se sont achevées par des persécutions. Ce type d’approche a eu un grand impact négatif sur ses membres et son fonctionnement. Dans cette perspective, des centaines de gens ont été tués et interrogés par le Hizbullah jusqu’à la fin des années 1990.

L’une des organisations religieuses de cette période était l’Armée de Jérusalem. Les membres de cette organisation ont réalisé des attaques meurtrières à Ankara en assassinant des universitaires Muammer Aksoy et Bahriye Ucok en 1990 et Ahmet Taner Kislali en 1999, le journaliste Ugur Mumcu en 1993 à Ankara. L’armée de Jérusalem est toujours restée dans l’actualité grâce à ses relations avec les services secrets iraniens.

Depuis sa naissance, l’Etat Islamique Fédéral d’Anatolie a suivi sa stratégie en dehors du territoire turc. Comme son chef et les membres du cadre dirigeant se trouvaient en Allemagne, l’organisation AFID n’a pas pu diriger convenablement ses actions en Turquie. Elle a envoyé du matériel de propagande comme des brochures ou des cassettes vidéo etc. afin de critiquer le système laïc et le fonctionnement des institutions légales. En fait, ses activités n’ont plus eu d’impact sur la population ciblée.

Dès la fin des années 1990 l’organisation AFID a décidé de passer à l’acte violent. La plupart de ses tentatives d’actes, par exemple les attaques par avion contre l’Assemblée Nationale pendant des cérémonies de fête de l’indépendance en Octobre 1998 et contre le mausolée d’Atatürk pendant des cérémonies commémoratives d’Atatürk du novembre 1998, ont été empêchées par la Police Nationale. Dans les années suivantes, les activités de l’organisation AFID ont été saisies et interdites par les autorités et les services de sécurités allemandes.

Pendant cette période, deux organisations terroristes religieuses, le Ceysullah et le Vasat, n’ont pas pu rester en activité. L’organisation Ceysullah a été inactive tandis que le Vasat a pu réaliser un seul acte violent, en tuant un enfant et vingt-quatre personnes à Malatya, une ville à l’est de la Turquie en 1997. Dans les années suivantes les unités policières ont déchiffré tout le fonctionnement de ces deux organisations et elles ont attrapé la plupart des membres comprenant les chefs. Après ces opérations, ces deux organisations se sont épuisées.

Notes
134.

Il nous semble mieux de préciser quelques remarques sur l’utilisation des statistiques : d’une part, des statistiques seules ne sont pas suffisantes pour une évaluation définitive et d’autre part tous les services de sécurité ne les publient pas. Cependant elles sont indispensables en cas de manque d’autres informations nécessaires.

135.

La Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme a publié les statistiques relatives aux attentats terroristes jusqu'à la fin de 2005. A partir de janvier 2006, la Direction Centrale de Commandement et de Control Principal (Ana Komuta ve Kontrol Merkezi Dairesi Baskanligi - AKKM) publie toutes les statistiques de la Direction Générale de la Police Nationale. Il est possible de trouver les statistiques concernées de 2006 et 2007 sur le site officiel de la Direction Centrale AKKM.

136.

Il existe plusieurs ouvrages précisant le soutient de l’Etat par ses services de sécurité en matière de fondation et de développement du Hizbullah. Mais Muzaffer ERKAN, l’un des grands chefs de la police de renseignement et de lutte antiterroriste, a précisé définitivement que la Police Nationale n’a eu aucune relation illégale avec cette organisation terroriste. Entretien avec Muzaffer Erkan qui est ancien chef de la Direction Centrale du Renseignement Généraux, réalisé par le commissaire de police turc Necati ALKAN, Ankara, 2005.

137.

BAGASI I., Kendi Dilinden Hizbullah (Hizbullah de son langage), Diffusion électronique, 2004, p.35. Cet ouvrage est la première publication ouverte du Hizbullah. Selon Rusen Cakir, I. Bagasi est Isa Altsoy lui-même qui est probablement le chef actuel du Hizbullah après la mort de Huseyin Velioglu.

138.

Parmi elles, on peut citer les militants et les sympathisants du PKK, approximativement cinq cents et du Hizbullah, approximativement deux cents, mais également de quelques citoyens.

139.

BAGASI I., Kendi Dilinden Hizbullah (Hizbullah de son langage), op.cit., 45.

140.

CITLIOGLU Ercan, Tahran Ankara hattinda Hizbullah (Hizbullah dans la ligne entre Tehran et Ankara) , Ankara, Umit Yayincilik, 2001, p.307.

141.

En Turquie, les affaires religieuses sont gérées par une administration centralisée de l’appareil de l’Etat, la Présidence des Affaires religieuses qui a été instaurée en mars 1924, le jour même de l’abolition du califat, afin d’assumer l’administration des affaires relatives à la croyance, à la pratique et aux préceptes de moralité de la religion islamique, d’éclairer la population sur les sujets religieux et d’assurer l’administration des lieux de culte. La Présidence est représentée par un mufti dans les départements et les sous-préfectures et elle envoie ses imams officieux qui sont fonctionnaires de l’Etat. Voir les détails, le site officiel d’Internet de la Présidence des Affaires religieuses, www.diyanet.gov.tr