En Turquie, les conséquences des événements du 11 septembre 2001 sont très intéressantes du point de vue des organisations terroristes religieuses et des services de sécurité. Alors que les terroristes religieux considéraient les attaques comme le renouvellement de leurs espoirs, les autorités et les institutions de lutte contre le terrorisme ont ressenti le sentiment de se renouveler. Quant à l’opinion publique, elle est plutôt restée passive dans l’interprétation des événements terroristes.
Il nous semble que la menace terroriste de ces dernières années en Turquie a évolué à l’égard de quatre domaines : la naissance de la branche turque d’Al-Qaida, la renaissance du Hizbullah, le recours aux armes chimique, biologique, radiologique et nucléaire – CBRN et la naissance de la menace du cyberterrorisme. Toutes ces conséquences sont actuellement présentes dans la liste des institutions turques concernées par la lutte contre le terrorisme.
L’une des conséquences importantes de cette période était la naissance de la branche turque d’Al-Qaida . Les membres turcs de cette branche ont été formés dans les camps d’Al-Qaida en Afghanistan et ils sont retournés en Turquie après les attentats du 11 septembre afin de s’organiser. Ils ont réalisé leurs premiers attentats, faisant plus de soixante morts à Istanbul en 2003. Par ces attentats, la Turquie a découvert la branche d’Al-Qaida comme une nouvelle organisation terroriste religieuse.
Il est difficile de définir l’organisation terroriste Al-Qaida, car il existe plusieurs idées sur cette dernière et les chercheurs, les experts, les universitaires ou les journalistes offrent des différentes définitions selon leurs visions. Par exemple, elle est « est une entité terroriste d’un nouveau genre … première organisation terroriste non gouvernementale, transnationale et autosuffisante » 142 ou « une confédération de groupes terroristes de toute taille … une holding du terrorisme … une centrale d’assistance technique du terrorisme … aussi une idéologie … » 143. Les chercheurs de terrain qui ont fait plusieurs entretiens avec les terroristes, y compris les membres d’Al-Qaida, dans une quinzaine de pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe occidentale, ne parlent plus de la même signification à propos de cette organisation. Par exemple, selon Rohan Gunaratna 144, Al-Qaida est la première organisation terroriste multinationale, à la fois très structurée et insaisissable. Pour Jason Burke 145 , elle n’est pas une organisation terroriste mais plutôt une armée de disciples fidèles menée par un seul leader terroriste.
De notre côté, Al-Qaida est une structure complexe qui se compose d’un noyau central autour de Ben Laden et ses hommes, et de nombreuses cellules terroristes enracinées dans leurs pays respectifs. Elle dispose d’une autonomie financière et d’une capacité d’action vraiment très intéressante. Elle fonctionne non seulement sur le principe d’une organisation internationale mais « également en termes idéologiques et organisationnels à la façon d’une secte » 146 . Les différentes branches d’Al-Qaida sont en fait libres dans leurs actions. Ni Ben Laden, ni aucun de ses hommes proches n’a un commandement hiérarchique centralisé sur les opérations d’une telle branche. Ce que le noyau central de l’organisation fait c’est d’informer les différentes branches et cellules en matière de stratégie organisationnelle, de cibles à frapper et de méthodes à utiliser, en diffusant ses informations par les instruments de communication, notamment par Internet. En plus le noyau central assure les fonds et le soutien logistique pour les branches locales et de formation 147 pour les membres de ces branches.
Dans les dernières années, la menace du terrorisme religieux a radicalement changé de nature avec Al-Qaida. Car, « elle est plus protéiforme, plus éclatée et plus mondiale. Ses réseaux opèrent dans plus de soixante pays, c’est-à-dire que 80% du ‘réseau des réseaux terroristes’ existe en dehors de l’Afghanistan et les terroristes disposent de points d’ancrages sur tous les continents. » 148 Selon Olivier Roy149, les objectifs d’Al-Qaida sont les objectifs classiques de l’extrême gauche tiers-mondiste moderne occidentale… La guerre de Ben Laden n’est pas une guerre religieuse. Derrière sa rhétorique religieuse, il a un discours qui est profondément politique…Il parle de djihad comme on parlait de révolution autrefois.
La branche turque d’Al-Qaida a été connue par l’opinion publique pour la première fois en 2003 après les attentats très violents réalisés à Istanbul. Avant ces attentats-là, aucune action de cette branche n’était connue. Selon Cemal Kuloglu, chef adjoint de la Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme de la DGPN turque, la branche turque d’Al-Qaida, « a été fondée par l’ensemble des turcs qui sont allés en Afghanistan pour le djihad, au milieu de l’été 2001 » 150. Mais selon Mehmet Farac151, journaliste turc, la fondation de la branche turque est plus ancienne et les services de lutte antiterroriste n’ont pas pu saisir les allers-retours des militants en Afghanistan depuis 1987.
Les membres de la branche turque d’Al-Qaida sont éduqués et formés dans un camp préparé par Al-Qaida en Afghanistan. Parmi ces hommes, Habib Aktas a été choisi comme émir de cette branche et Baki Yigit comme son adjoint. Un autre membre du cadre dirigeant, Harun Ilhan a été nommé comme responsable pour la Turquie pour envoyer de nouveaux sympathisants au Pakistan et Adnan Ersoz a été chargé des affaires organisationnelles en Afghanistan afin de faciliter le passage de nouveaux sympathisants de Turquie en Afghanistan. L’émir Habib Aktas et son adjoint Baki Yigit se sont occupés de la formation de nouveaux sympathisants. Après le 11 septembre 2001, ces hommes sont retournés en Turquie afin de trouver de nouveaux membres et de compléter l’organisation de la branche turque.
Les hommes de la branche turque d’Al-Qaida ont été formés par l’idéologie salafiste. En fait, la Salafiya, terme arabe, signifie « les ancêtres » et désigne les compagnons du prophète Mahomet. Mais ce terme est utilisé aujourd’hui par les organisations terroristes religieuses, notamment par Al-Qaida et ses branches, comme une stratégie de violence afin de restaurer un islam authentique. Selon Cemal Kuloglu, les membres de la branche turque d’Al-Qaida, « étaient en recherche d’une identité religieuse. Ils refusaient toutes les structures religieuses comme la communauté religieuse, tarîqat ou école et s’étaient orientés vers l’idéologie salafiste – vahhabiste. Ils croyaient qu’ils étaient seuls sauvés et que les autres étaient infidèles et impies. » 152
Selon Marc Sageman, l’idéologie salafiste mondiale est « un mouvement religieux revivaliste dont l’objectif est de restaurer la gloire musulmane d’autre fois par la création d’un grand Etat islamiste s’étendant du Maroc aux Philippines, effaçant les frontières nationales actuelles » 153 . Ce type d’idéologie permet aux membres turcs de fonder un Etat islamique sur le territoire turc en étant lié au grand Etat islamique du monde promis par les dirigeants d’Al-Qaida.
Selon les paroles de Baki Yigit, deuxième responsable de la branche turque d’Al-Qaida, arrêté par la police après les attentats à Istanbul, les membres de la branche d’Al-Qaida ont suivi une formation de quatre étapes dans les camps militaires d’Al-Qaida :
A la fin de ces formations, il y avait une dernière étape, la formation de gestion pour les futurs dirigeants. Mais les militants simples n’ont pas pu suivre ce type de formation.
Les premiers attentats suicides ont été réalisés contre les deux synagogues Neve Shalom et Beth Israël, situées dans le centre de la ville d’Istanbul en novembre 2003154. Deux voitures piégées ont explosé devant les synagogues en faisant vingt-cinq morts et des centaines de blessés. Ce type d’attentat a marqué la naissance de la branche turque d’Al-Qaida, en choquant non seulement l’opinion publique turque mais également la communauté juive 155 peu habituée à ce genre d’attaques sur le territoire turc.
Cinq jours après les deux attentats suicides contre les deux synagogues du centre ville, deux attentats simultanés ont été réalisés contre les intérêts britanniques à Istanbul. Le premier a visé le Consulat général britannique, le 20 novembre 2003. Le consul général de Grande-Bretagne et quinze autres personnes, dont neuf employés de la mission diplomatique ont été tués dans un attentat à la voiture piégée. Le deuxième a été réalisé quelques minutes plus tôt contre le siège de la banque britannique HSBC tuant dix-sept personnes, dont trois employés de la banque. Après ces deux attaques meurtrières, la branche turque d’Al-Qaida a réalisé son dernier attentat à Istanbul contre la loge maçonnique en tuant l’agent de sécurité du bâtiment.
Au total, plus de soixante personnes ont trouvé la mort, dont les quatre membres de l’organisation terroriste, et quelque sept cents cinquante autres ont été blessés dans ces attentats. L’opinion publique a découvert la réalité de la menace d’Al-Qaida sur le territoire turc. Une nouvelle organisation terroriste religieuse est née et nécessitait de nouvelles tâches pour la police et les services de sécurité.
Ces attentats ont montré que la Turquie se trouvait dans la liste des Etats cibles visés par l’organisation terroriste Al-Qaida et ses branches organisées en Turquie. En effet, Ben Laden et ses hommes ont déclaré plusieurs fois que la Turquie était responsable d’une insulte que l’islam a subie depuis l’abolition du califat en 1924 et qu’elle ne pratiquait pas réellement l’Islam. Selon Akagul et Vaner, la Turquie « apparaît aux yeux des terroristes religieux comme une provocation à plusieurs égards : Premièrement, parce qu’elle est un pays musulman, mais avec un Etat laïque ; deuxièmement, parce qu’elle est membre de l’OTAN qui entretient des relations stratégiques avec Israël ; troisièmement, parce qu’elle est dirigée par un gouvernement ‘islamique’ décidé à démontrer que l’Islam est compatible avec la démocratie ; et enfin, elle est candidate à l’entrée dans l’Union Européenne » 156 .
Pourquoi les services de sécurité et la police n’ont pas pu saisir les attentats d’Istanbul ? Selon les autorités policières157, la branche turque d’Al-Qaida s’est organisée d’abord dans les mosquées en secrétant et en camouflant ses activités comme de simples relations des pratiquants musulmans. En plus, les militants ont loué des établissements pour l’hébergement, le travail. Ils ont ouvert de nouveaux magasins de matériaux de nettoyage afin de produire eux-mêmes des bombes. Ils ont aussi ouvert des petits magasins de téléphones portables pour faciliter les communications des membres de l’organisation. Ils ont communiqué par l’intermédiaire de nouvelles technologies de communication en utilisant les cafés Internet. La plupart des membres de ladite organisation ont été utilisés seulement dans un seul acte. Les planificateurs et les acteurs des attaques suicides n’ont pas participé à une autre action terroriste, c’est-à-dire qu’ils ne se qualifiaient pas comme « terroristes » avant les attentats d’Istanbul en novembre 2003.
Dans les mois suivants, la Police Nationale a arrêté plus de trente membres de cette organisation qui se sont implantés dans des cellules différentes et qui avaient pour but de réaliser des attentats à Istanbul notamment pendant le sommet de l’OTAN. On a compris par les opérations policières que la menace était présente sur le territoire turc et la branche turque d’Al-Qaida en était le représentant du terrorisme international.
La deuxième conséquence des années 2000 était la renaissance du Hizbullah . Ce dernier s’est organisé en changeant sa stratégie organisationnelle. Dans sa nouvelle stratégie, cette organisation terroriste s’est organisée en Europe et a réactualisé sa propagande afin de trouver de nouveaux membres et de nouveaux terrains d’activité. Elle a cherché de nouveaux alliés et de nouvelles ressources financières.
Dans la période de la montée du terrorisme religieux en Turquie, le Hizbullah était l’organisation la plus dangereuse. A la fin des opérations policières réalisées à Istanbul, cette organisation est entrée en phase de voir la fin. Son chef, Huseyin Velioglu, a été tué et ses deux dirigeants importants Cemal Tutar et Edip Gumus ont été arrêtés comme plusieurs autres membres de l’organisation. Les membres du cadre dirigeant se sont enfuis en Europe.
Selon le commissaire de police turc Derya Kiliç 158, l’avenir du Hizbullah était imprécis, parce qu’il y avait encore assez de membres de l’organisation qui n’avaient pas encore arrêtés. Le Hizbullah avait réalisé son dernier et grand acte violent en janvier 2001 en assassinant le chef de police de Diyarbakir et cinq policiers. Après cet assassinat, la police a mené une lutte très sévère et sérieuse contre l’organisation. Après le 11 septembre 2001, le Hizbullah a modifié sa stratégie pour la renaissance en s’organisant surtout en Europe.
Dans cette nouvelle stratégie, l’organisation du Hizbullah a commencé à s’organiser en Europe sous la direction des anciens membres du cadre dirigeant qui ne sont pas arrêtés. Selon un rapport publié par la Washington Institute 159, « depuis 2002, l’organisation a augmenté ses activités parmi des Kurdes en Europe, en particulier en Allemagne , en Hollande , en Suisse , et en Autriche , établissant des associations, des mosquées, des clubs de sport, et des petites entreprises ». Elle a aussi coopéré avec les autres organisations terroristes comme notamment le PKK et Al-Qaida. Elle a commencé à faire de propagande en diffusant des messages et des ouvrages électroniques sur l’Internet. Elle s’est efforcée de masquer son vrai visage en essayant d’apparaître comme communautés religieuses et confréries. Elle a cherché de nouvelles ressources en Turquie et en Europe pour résoudre ses problèmes financiers.
S’organiser en Europe a été important pour le Hizbullah au regard de deux enjeux : la base et le financement. L’implantation en Europe lui a permis d’échapper à la surveillance de la Police Nationale et des services de sécurité turcs. Comme toutes les autres organisations terroristes, le Hizbullah a eu aussi besoin de ressources matérielles stables pour réaliser ses actes. Son réseau européen a permis la réception de dons de quelques musulmans tel que l’aumône (fitre) ou la dîme (zakat). D’autres moyens de gain financier comme les fonds recueillis dans les mosquées, les gains des petites entreprises possédées par ses membres, et la rançon payée par des hommes d’affaires enlevés par l’organisation terroriste lui ont permis de résoudre son problème financier en Europe. Aujourd’hui aussi, le Hizbullah force ses membres non déchiffrés à fonder de nouvelles entreprises ou de nouvelles librairies en Turquie et en Europe, afin d’augmenter ses ressources financières.
Dans sa nouvelle stratégie, le Hizbullah a coopéré avec les groupes et cellules liés au PKK et à Al Qaida. Sa coopération avec le PKK lui a permis d’influencer les groupes religieux Kurdes proches du PKK qui résidaient en Europe tandis que son lien avec Al Qaida lui a assuré l’occasion de former ses militants en Iraq et dans les camps d’Al-Qaida en Afghanistan et d’obtenir un financement pour ses actes en Europe. Selon le rapport de Washington Institute, le Hizbullah a commencé à « obtenir une aide financière d’Al-Qaida » 160.
Le Hizbullah faisait sa propagande très secrètement dans les mosquées, les écoles coraniques voire dans les maisons de ses membres en invitant des autres membres et les amis proches des membres et en discutant avec eux. Après les opérations de janvier 2000, il a quitté ce type de propagande. Dans sa nouvelle stratégie, il a voulu réactualiser ce mécanisme, notamment en Europe, afin de trouver de nouveaux membres. Il a commencé, dès 2002, à publier pour la première fois des écrits, par exemple des ouvrages, sur la stratégie et le fonctionnement de l’organisation, et les a notamment diffusés par l’Internet. Depuis cette date-là, le net a été l’une des pistes les plus importantes de la propagande pour cette organisation.
Selon la Direction Centrale des Renseignements Généraux de la DGPN turque, le nouveau cadre du Hizbullah a donné ordre à ses membres d’« apparaître comme membres de communautés religieuses, notamment nurcus et suleymancis » 161 mais non pas d’apparaître comme des radicaux. En cachant son vrai visage terroriste, le Hizbullah a visé les jeunes croyants, les jeunes diplômés des écoles de prédicateurs. En plus, il a visé à échapper à la surveillance des services de sécurité turcs et étrangers.
Pendant cette période, le Hizbullah s’est éloigné de la violence pour une période donnée et a consacré sa force et ses effectifs afin d’établir une base solide, notamment en Europe. Ses membres, notamment ceux de l’aile militaire, ont pu échapper aux services de sécurité. Sa coopération avec le PKK lui a permis de recruter de nouveaux membres et son lien avec Al-Qaida et de renforcer sa capacité de formation et de financement. Tous ces changements ont permis au Hizbullah de se renouveler en étant plus dangereux que jamais.
La troisième conséquence des années 2000 est le recours à l’utilisation probable par les terroristes religieux des armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN), dites des armes de destruction massive (AMD). La prolifération de ces armes est une menace planétaire parmi les plus sérieuses. Après le 11 septembre 2001, l’Etat turc comme le monde entier a tenu compte de la menace des armes de destruction massive dans l’élaboration de ses futurs scénarios et plans, car, selon les autorités, ce type de menace signifiait la réalité et pouvait causer la mort des milliers de personnes par une seule attaque à un moment donné. Selon les experts, la Turquie constitue une cible éventuelle de la menace CBRN, mais en ce moment, cette menace n’est pas encore suffisamment prise en considération par les responsables et les autorités turques intéressés.
Pourquoi les organisations terroristes religieuses ont pour but d’avoir les armes CBRN ? Selon François Géré, « le terrorisme nucléaire pourrait exister et être pratiqué en raison de motivations sévères et limités » 162 . Pour Claude Meyer, « les facteurs favorisant le recours aux armes chimiques peuvent être de nature politique, psychologique ou technique » 163. En fait, les organisations terroristes disposaient déjà d’une idéologie suffisante en tant que facteur favorisant leur utilisation et une stratégie d’actes violents visant à causer le maximum de pertes humaines et désordres importants. Sur ce point, l’utilisation des armes CBRN, notamment biologiques ou chimiques, gagne l’importance par son caractère plus destructif, pour elles.
Parmi les armes CBRN, les chimiques et biologiques sont plus faciles à produire et sont moins coûteuses que les autres radiologiques et nucléaires. Une équipe terroriste possédant une certaine formation technique peut fabriquer une arme chimique ou biologique rudimentaire dans un simple laboratoire. L’utilisation de ce type d’armes dans un acte terroriste permettrait, d’une part, de développer systématiquement les effets spectaculaires et, d’autre part, de causer le maximum de pertes de vies humaines.
En fait, la plupart des organisations terroristes dans le monde n’ont pas assez de capacité technique et matérielle pour obtenir et employer les armes radiologiques et notamment nucléaires. Ces deux dernières sont plus complexes à produire et plus chères à acheter. En revanche, il est possible pour une organisation terroriste de contaminer l’air ou l’eau d’une région par une arme radiologique.
Selon les services de sécurité, quelques organisations terroristes, notamment Al-Qaida, s’intéressent de plus en plus à l’acquisition de telles armes. En plus, il ne faut pas oublier que de nombreux Etats disposent déjà des armes CBRN et pendant les dernières années, certains Etats, les Etats sponsors du terrorisme inclus, se sont efforcés d’en acquérir ou de développer leurs capacités. Personne ne peut prouver que ces Etats ne servent pas ce type d’armes à l’utilisation des organisations terroristes.
A titre d’exemple, rappelons qu’en 1995, la secte religieuse japonaise, Aum Shinrikyo, a utilisé un agent neurotoxique, une arme biologique, en faisant douze morts et des milliers de blessés, dans le métro de Tokyo. L’attaque d’Aum était « la première tentative connue dans le monde entier d’utilisation par un groupe non étatique d’armes de destruction massive » 164 mais elle a clairement démontré qu’il était possible d’exécuter avec succès une attaque chimique.
Il faut accepter qu’il n’y ait eu aucune attaque à l’aide des armes CBRN jusqu’aujourd’hui sur le territoire turc ou contre les intérêts turcs à l’étranger. Cependant, selon la Police Nationale165, la Turquie se trouve dans une région où sont situés plusieurs pays possédant ou enrichissant les matériaux nucléaires et les organisations terroristes ont / auront l’espoir de les avoir. Dans une période de treize ans (1993-2006), treize opérations ont été réalisées par les unités policières et soixante-sept personnes ont été interpellées avec 17142 gr uraniums, 3gr américiums, césium et 1857 gr scandiums.
Pour les prochaines années, « la menace terroriste potentielle la plus grave est le terrorisme nucléaire » 166 et les organisations terroristes dans l’avenir « pourraient bien tenter de marcher sur les traces ou même dépasser l’attentat de Tokyo, soit en termes de nombre de morts et de destruction, soit en employant une arme non conventionnelle de destruction massive… » 167 . Il nous semble que les organisations terroristes religieuses s’intéresseront plutôt aux armes biologiques et chimiques. En effet, ces armes « représentent, de loin, la plus grande menace, car elles peuvent être aussi mortelles que les armes nucléaires et sont bien plus faciles à obtenir » 168 .Comme l’a dit Henri Hubert Mollaret, « les armes biologiques (et chimiques) seront, pour les terroristes, les armes nucléaires du XXIe siècle »169. En apparence pour la Turquie, les organisations terroristes religieuses n’ont ni de ressources ni d’expertise nécessaires afin d’obtenir et utiliser les armes radiologiques et nucléaires. Mais il est probable que la branche turque d’Al-Qaida suit une stratégie parallèle à celle d’Al-Qaida afin de les utiliser.
La dernière conséquence de cette période est l’utilisation probable par les organisations terroristes religieuses d’ une nouvelle méthode terroriste , celle du cyberterrorisme . Ce dernier ne signifie pas la mort directe mais constitue un vecteur capable d’apporter la mort. Ce type de menace est ainsi présent dans la liste des menaces terroristes de l’Etat turc.
L’incroyable développement technologique des sociétés constitue à la fois leur force et leur faiblesse. Leur modernité s’accompagne d’une immense vulnérabilité. Des attaques minutieusement planifiées par les organisations terroristes contre des points sensibles de l’économie et des réseaux de transports, exploitant les possibilités du cyberterrorisme, peuvent altérer le fonctionnement d’une société.170
Depuis plusieurs années, les organisations terroristes ont déjà recours à l’informatique pour stocker ou transmettre les données concernant leurs actions. Depuis quelques années, elles ont commencé à réaliser la propagande relative à la cause qu’elles défendaient, notamment sur Internet. En plus, elles ont essayé d’activer ou de mettre en place quelques actes terroristes par l’intermédiaire des nouvelles technologies de l’information et de communication qu’on définit comme le cyberterrorisme.
Le mot du cyberterrorisme a été inventé pour la première fois par Barry C. Collin171 au début des années 1980. Par la suite, ce mot a été dénaturé par amalgame avec la cybercriminalité. Par ailleurs quelques spécialistes ont choisi d’utiliser le terrorisme informatique ou le terrorisme digital 172 pour le décrire. Au final, toutes ces utilisations avaient pour but de signaler la naissance du cyberterrorisme comme une nouvelle forme du terrorisme et comme « un nouvel acte contre la démocratie » 173 .
Selon certains spécialistes, le cyberterrorisme est la convergence du terrorisme et du cyberespace. On a tenté de le définir comme une attaque visant à « détruire ou corrompre les systèmes informatiques » 174 . Dorethy Dening, professeur des universités, le définit au sens large, comme « l’action délibérée de destruction, dégradation ou modification de données, de flux d’informations ou de systèmes informatiques vitaux d’Etats ou d’entreprises cruciales au bon fonctionnement d’un pays, dans un but de dommages et / ou de retentissement maximum, pour des raisons politiques, religieuses ou idéologiques. Ces dommages peuvent être économiques, sociaux, environnementaux, et même vitaux pour les individus dans certains cas. » 175 En fait, cette menace n’est ni l’utilisation facile de l’informatique ni la propagande sur l’Internet, mais elle est l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour activer ou mettre en place des actes terroristes.
Le cyberterrorisme est une nouvelle notion en Turquie. Il n’existe ni une définition définitive acceptée ni un texte juridique consacrée par les autorités compétents. Quelques spécialistes du terrain ont publié des articles et des rapports afin de montrer ce que la menace du cyberterrorisme représentait. Selon le commissaire de police turc Bilal Sen, « on n’a pas encore connu une cyberattaque en Turquie ou les responsables concernés n’ont pas déclaré si elle existait » 176 . Mais Mehmet Ozcan, professeur turc de droit international, a remarqué que « les organisations terroristes étaient déjà actives sur le cyberespace pour faire de la propagande, pour assurer la communication parmi les membres et les éduquer sur la fabrication et pour utilisation des bombes, des armes radioactives ou encore bactériologiques. Elles sont aujourd’hui présentes afin de réaliser les cyberattaques contre les systèmes informatiques vitaux d’Etat » 177 .
Il est possible de trouver, dans les enquêtes de la Police Nationale, l’intérêt des organisations terroristes pour les cyberattaques. Par exemple, selon une opération réalisée par la police à Istanbul contre l’organisation terroriste IBDA/C, « les trente trois membres de l’organisation terroriste ont avoué qu’ils avaient été informés sur le site officiel d’Internet d’IBDA/C afin d’assassiner les personnes importantes du gouvernement. Les services de police ont trouvé des milliers de pages sur la fabrication et l’utilisation de bombes, les listes des personnes ciblées par l’organisation à assassiner… » 178 . Une autre enquête est intéressante pour montrer le soutien technique des Etats sponsors aux organisations terroristes. Dans cette enquête réalisée par les unités policières, les membres de l’organisation terroriste DHKP/C (Parti Révolutionnaire pour la Libération du Peuple / Front) ont avoué qu’« ils avaient suivi une formation dans un Etat voisin, sur les cyberattaques contre le gouvernement turc » 179 .
Ces dernières années, surtout après le 11 septembre 2001, en Turquie comme dans le monde, les organisations terroristes, notamment religieuses, sont à la recherche de nouvelles méthodes à réaliser. La cyberattaque est l’une des plus économiques, les plus incontrôlables et les plus faciles à réaliser. En cas de manque d’expérience et de capacité techniques, il est aussi très facile de prendre le soutien technique des Etats sponsors. La branche turque d’Al-Qaida ou le Hizbullah sont les organisations religieuses les plus aptes à utiliser ce type d’attaques dans un avenir proche.
Avec Al-Qaida, le terrorisme religieux s’est mondialisé non seulement dans le monde réel mais également dans le monde virtuel. Grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment Internet, Al-Qaida a regroupé de nombreuses cellules, sans centre de décision, sans aucune organisation hiérarchique et formelle. Le noyau central diffuse des informations, transmet des messages codés par Internet180 afin d’apprendre et d’informer les cellules. Ainsi, il est plus facile pour une cellule d’Al-Qaida implantée sur n’importe quel pays, par exemple en Turquie, d’accéder aux informations relatives à la fabrication de bombes et d’armes chimiques ou biologiques.
Finalement, le cyberterrorisme n’est pas aussi dangereux pour la Turquie que pour les pays plus développés en informatique comme les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni. En plus, « les ordinateurs ne sont pas encore être inclus dans la catégorie des armes de la destruction massive » 181 . Cependant, le cyberterrorisme est une menace invisible du monde virtuel182 et la Turquie est aussi un Etat de plus en plus dépendant de l’informatique. Comme la menace terroriste religieuse est réelle et toujours présente sur le territoire turc, il est certain que les organisations terroristes, notamment la branche turque d’Al-Qaida, pourront réaliser des cyberattaques contre les intérêts vitaux et les infrastructures de l’Etat turc. L’inconvénient pour la Turquie et les autres Etats est que « le progrès technique accroît les vulnérabilités plus vite qu’il n’augmente les moyens de les combattre » 183 .
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DENNING Dorethy E., Consultable sur Dorathy Denning’s home page, http://www.cs.georgetown.edu/~denning
Entretien réalisé avec Mr. Bilal SEN, commissaire de police, la Direction Centrale turque de la Lutte Contre la Fraude et le Crime Organisé, le 15 novembre 2005, Ankara.
Entretien réalisé avec Mr. Mehmet OZCAN, professeur associé, Académie de police turque, le 16 novembre 2005, Ankara.
YAMAC Fatih, « Siberterorizm » (Cyberterrorisme), Polis Dergisi, Yil :7, Sayi :29, Ankara, EGM, 2002, p.153.
Idem, p.155.
Il est intéressant de préciser que les unités antiterroristes ont trouvé déjà des messages codés par Al-Qaida sur des images érotiques et pornographiques diffusées sur l’Internet. Ce type de choix a permis à Al-Qaida de s’échapper à la surveillance électronique de services de sécurité.
CLIFFORD Ralph D., Cyber crime: The investigation, prosecution and defense of a computer-related crime, North Carolina, Carolina Academic Press, 2001, p.69.
VERTON Dan, Black ice: The invisible threat of cyber-terrorism, California. McGraw-Hill / Osborne, 2003, 273p.
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