Section 2. Les problèmes socio-économiques : un cause catalyseur pour le désespoir des individus

Les problèmes socio-économiques comme les difficultés économiques ou le partage injuste des sources et de la richesse parmi les gens sont des arguments renforçants la force des organisations terroristes en Turquie. Ce type de problème a été toujours l’un des meilleurs arguments des organisations terroristes pour recruter de nouveaux membres et en les motivant dans la lutte armée contre les institutions et les autorités étatiques. En effet, il a été toujours plus facile pour elles de recruter de nouveaux militants dans les milieux pauvres que riches.

Les problèmes socio-économiques influencent les gens non seulement sur le plan physique mais également sur le plan intellectuel. Dans la motivation des militants, il est possible de voir une place importante des problèmes liés aux difficultés économiques. Selon les recherches réalisées, notamment par la Police Nationale, la participation à un mouvement radical voire terroriste a été l’une des réponses pour la plupart des terroristes religieux contre les problèmes socio-économiques qu’ils ont rencontrés.

Selon Tariq Ramadan, « on peut être très à l’aise, particulièrement érudit, évolué, éduqué, jouir de l’esprit le plus fin en de multiples domaines et toutefois interpréter sa tradition et ses lectures de la manière la plus extrême » 198 . Marc Sageman199, ancien agent de CIA, chargé de recrutement des moudjahiddins en Afghanistan dans les années 1987-1989, et qui a réalisé un sondage sur quatre cents membres d’Al-Qaida, vérifie l’approche de Ramadan en nous éclairant sur la situation socio-économique des membres des organisations terroristes religieuses. Selon lui, les religieux, notamment les militants d’Al-Qaida, ne viennent pas de milieux économiquement pauvres. Ils ont assez de richesses sur le plan socio-économique et la pauvreté n’est plus une cause qui entraîne la participation des gens aux organisations terroristes.

De notre côté, il n’est pas possible de participer totalement à ces idées quand on examine bien les conséquences des échecs économiques du monde musulman et arabe, comme l’absence de redistribution des richesses, car, les Etats de ce monde regroupent à la fois les individus les plus riches et les plus pauvres du monde et produisent une grande partie des terroristes religieux des dernières années. En plus, l’interprétation de la tradition et de la lecture la plus extrême par une personne à l’aise est possible mais ne signifie que des cas exceptionnels. De l’autre côté, quand on analyse les situations socio-économiques des terroristes religieux en Turquie, le panorama général est totalement différent des situations évoquées par Marc Sageman et Tariq Ramadan. Comme l’ont dit Dorronsoro et Grojean200, les organisations terroristes telles que le Hizbullah, sont généralement formées d’individus dépourvus de capital social et économique.

Selon un sondage réalisé par la Direction Générale de la Police Nationale turque en 2000, sur les membres des organisations terroristes de toutes motivations idéologiques en Turquie, presque la moitié des familles des militants disposaient d’une situation économique « pas bonne » et seulement 10% d’entre eux vivaient dans des conditions très bonnes.

Tableau 1.2 : Situation socio-économique des terroristes de toutes motivations idéologique (960 personnes)
Tableau 1.2 : Situation socio-économique des terroristes de toutes motivations idéologique (960 personnes)

Source : Site officiel de la Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme, http://www.egm.gov.tr/temuh/index.html

Quant aux membres des organisations terroristes religieuses, l’écart entre les riches et pauvres augmente en faveur des pauvres. Selon un sondage réalisé par la même direction centrale de la DGPN en 2000, la plupart des membres de ces organisations terroristes venaient de familles pauvres.

Lors qu’on analyse la situation socio-économique des organisations terroristes religieuses, notamment celle du Hizbullah, on voit à peu près le même schéma. Car, dans les autobiographies 201 déposées par les membres du cadre dirigeant du Hizbullah, il est possible de voir les difficultés socio-économiques qui ont poussé les gens à entrer dans une telle organisation terroriste. Les possibilités économiques proposées par cette organisation à la population visée, comme un travail simple ou un revenu moyen, ont permis à l’organisation de recruter facilement des milliers de membres.

Tableau 1.3 : Situation socio-économique des terroristes religieus – Hizbullah (2853 personnes)
Tableau 1.3 : Situation socio-économique des terroristes religieus – Hizbullah (2853 personnes)

Source : Site officiel de la Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme de la DGPN, http://www.egm.gov.tr/temuh/index.html

Quelques détails relatifs au profil social de deux milles membres du Hizbullah ont été publiés par Ertugrul Kurkcu202, en utilisant les recherches et les données de la police. Selon cesdits détails, la plupart des membres du Hizbullah sont jeunes (16-29 ans), disposent d’une formation assez suffisante (62,5%), vivent en zone urbaine (97,5%) et n’ont pas un revenu assez suffisant (84%).

Tableau 1.4 : La situation d’âge dans l’organistaion terroriste Hizbullah (2000 personnes)
Tableau 1.4 : La situation d’âge dans l’organistaion terroriste Hizbullah (2000 personnes)
Tableau 1.5 : Le niveau de formation dans l’organisation terroriste Hizbullah (2000 personnes)
Tableau 1.5 : Le niveau de formation dans l’organisation terroriste Hizbullah (2000 personnes)
Tableau 1.6 : La situation sur le lieu de résidence dans l’oraganisation terroriste Hizbullah (2000 personnes)
Tableau 1.6 : La situation sur le lieu de résidence dans l’oraganisation terroriste Hizbullah (2000 personnes)
Tableau 1.7 : La situation du métier dans l’organisation terroriste Hizbullah (2000 personnes)
Tableau 1.7 : La situation du métier dans l’organisation terroriste Hizbullah (2000 personnes)

Source : KURKCU Ertugrul, « Hukumet, devlet, Islami siddet » (Gouvernement, Etat, Violence islamiste), www.bianet.org/bianet/kategori/siyaset/26566/hukumet-devlet-islami-siddet , les données sont citées par YILMAZER Ali Fuat, Dini kaynakli terorun sosyolojik nedenleri ve El Kaide ornegi : Turkiye orneklemi (Les raisons sociologiques du terrorisme religieux et Al-Qaida : Le cas en Turquie), Le mémoire du mastère IIe année, Harran Universitesi, Sanliurfa, 2006, p.37.

Si on fait une comparaison sur la situation socio-économique des religieux avec les séparatistes et révolutionnaires, on pourra voir facilement une ressemblance. En effet, les sondages réalisés parmi les membres des organisations séparatistes et révolutionnaires nous prouvent cette réalité. Par exemple, selon le sondage réalisé par l’Association de Recherches Sociales KOK (KOK Sosyal Arastirmalar Vakfi) 203 , la situation économique des membres du PKK n’était pas bonne et dès l’amélioration du niveau économique, la participation à l’organisation terroriste diminuait.

Tableau 1.8 : Situation socio-économique des terroristes séparatistes (960 personnes)
Tableau 1.8 : Situation socio-économique des terroristes séparatistes (960 personnes)

Source : OZONDER Cihat, « Terorun sosyokulturel yonleri » (Les caractéristiques socioculturelles de la terreur), Dogu Anadolu Guvenlik ve Huzur Sempozyumu, Elazig, Firat Universitesi, 1998, p.292.

Quant aux révolutionnaires, leur situation socio-économique représente à peu prés les mêmes conditions. En effet, selon un sondage réalisé par les Ministère de la Justice et de l’Intérieur sur les prisonniers révolutionnaires, 46% d’entre eux vivaient dans des conditions économiques difficiles. Seulement 1% d’entre eux disposaient d’un revenu idéal selon les conditions de la Turquie.204

Tableau 1.9 : Situation socio-économique des terroristes révolutionnaires (1055 personnes)
Tableau 1.9 : Situation socio-économique des terroristes révolutionnaires (1055 personnes)

Source : YILMAZ Bulent, ALKAN Necati et KOLBASI Derya, Aileye acik mektup projesi arastirma raporu (Rapport de recherche du projet de lettre ouverte à la famille), Ankara, Adalet Bakanligi, 2003.

Selon le commissaire de police turc Necati Alkan205, « les individus ne sont pas nés terroristes mais devient terroristes. Les organisations terroristes construisent un terroriste grâce à quelques facteurs comme par exemple les problèmes socio-économiques. Les organisations terroristes religieuses recrutent les nouveaux membres généralement des familles qui ont des problèmes socio-économiques. Par exemple, le Hizbullah a visé généralement à recruter des nouveaux membres notamment dans des familles qui sont pauvres et qui ont beaucoup d’enfants. En effet, l’insuffisance des ressources matérielles de ce type des familles et quelques problèmes économiques liées à la pauvreté forcent les individus à chercher des solutions à la fois légales et illégales. C’est sur ce point que les organisations terroristes contactent avec les individus et les offrent des possibilités. Au début, un simple boulot et un revenu minimum ne signifient pas un lien direct avec l’organisation terroriste. Au fil du temps, l’organisation terroriste suit une stratégie patiente afin d’augmenter ses relations avec l’individu visé. L’augmentation des relations permet de plus en plus à inviter l’individu aux activités illégales. En effet, les problèmes socio-économiques sont utilisés par lesdites organisations terroristes comme un instrument pour recruter des nouveaux membres. »

En fait, nous acceptons que les conséquences des enquêtes et des résultats écrits ci-dessus soient évidemment discutables. La pauvreté ou les difficultés liées aux problèmes économiques ne sont pas les seules causes du terrorisme religieux et les attentats terroristes ne sont pas directement les conséquences des problèmes socio-économiques. Etre pauvre ou être dans la misère n’exige pas de tuer les autres, des gens censés comme infidèles. Cependant, ce type de problèmes conduit les gens au désespoir et les organisations terroristes religieuses sont présentes pour les manipuler.

Notes
198.

RAMADAN Tariq, « Reconnaître la légitimité de la foi et de la conviction de l’autre (de la violence et du religieux) », p.112, in LELIEVRE Henry (sous la dir.), Terrorisme : questions, op.cit.

199.

SAGEMAN Marc, Le Vrai visage des terroristes, Paris, op.cit. 396p.

200.

En se fondant notamment sur les biographies utilisées dans les réquisitoires lors des procès Hizbullah, Dorronsoro et Grojean montrent que les chefs de Hizbullah et du PKK, Huseyin Velioglu et Abdullah Ocalan aussi sont issus de milieux modestes, sans capital social ni économique. Pour les détails, voir : DORRONSORO Gilles et GROJEAN Olivier, « Engagement militant et phénomène de radicalisation chez les Kurdes de Turquie », art.cit., Consultable sur www.ejts.org/document198.html

201.

Il est vraiment intéressant de préciser que les nouveaux membres du Hizbullah déposent un document intitulé « ozgecmis raporu » (CV) aux responsables pour les transmettre au comité dirigeant. Ce document n’est pas complètement identique au CV mais il contient des informations relatives à l’identité et aux rapports personnels d’un nouveau membre en matière de religion, de politique, etc. Il existe également dans ce type de document des informations relatives aux parents des membres.

202.

KURKCU Ertugrul, « Hukumet, devlet, Islami siddet » (Gouvernement, Etat, Violence islamiste), www.bianet.org/bianet/kategori/siyaset/26566/hukumet-devlet-islami-siddet

203.

OZONDER Cihat, « Terorun sosyokulturel yonleri » (Les caractéristiques socioculturelles de la terreur), Dogu Anadolu Guvenlik ve Huzur Sempozyumu, Elazig, Firat Universitesi, 1998, p.292.

204.

YILMAZ Bulent, ALKAN Necati et KOLBASI Derya, Aileye acik mektup projesi arastirma raporu (Rapport de recherche du projet de lettre ouverte à la famille), Ankara, Adalet Bakanligi, 2003, 262p.

205.

Entretien avec Necati ALKAN, commissaire de police, Direction Centrale des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme, Ankara, le 17 novembre 2005.